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Marc Trévidic sort une BD: "C'est assez horrible à dire, mais j'ai un don pour imaginer des attentats"

Marc Trevidic et son double fictif le juge Duquesne.

Marc Trevidic et son double fictif le juge Duquesne. - Martin Bureau / AFP / Rue de Sèvres 2018

L'actuel vice-président du TGI de Lille a écrit le scénario d'une BD qui s'inspire de son expérience de juge d'instruction au pôle antiterroriste.

Marc Trévidic revient dans l'actualité. Non pas pour parler de terrorisme, mais de deux ouvrages qu'il a écrits. Le premier, Le Magasin jaune, est un roman se déroulant dans "l'entre-deux-guerres". Le second, Compte à rebours, est une bande dessinée et le premier tome d'une trilogie concoctée avec le scénariste Matz et le dessinateur Giuseppe Liotti. 

Dans Compte à rebours, Marc Trévidic suit le parcours d'un juge d'instruction Tribunal de Grande Instance de Paris. Il enquête sur un jihadiste se faisant passer pour mort et revenu en France pour y commettre des attentats. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite, comme on dit. 

Marc Trévidic a accepté de répondre aux questions de BFMTV.com. Outre la genèse de l'album, il évoque la difficulté d'écriture un scénario de BD, se souvient de son amour pour Blueberry et développe un point de vue inattendu sur... Babar.

Couverture de la BD de Marc Trevidic
Couverture de la BD de Marc Trevidic © Rue de Sèvres 2018

En ouvrant une BD sur l’antiterroriste écrite par Marc Trévidic, on s’attend à trouver des scènes en prison, des explosions, mais pas une scène d’amour avec… vous.

Oui, mais il n’y en a qu’une seule! On a beau être un juge anti-terro, on n’en reste pas moins un homme, comme on dit (rires). Ce que l’on voudrait faire avec ces trois BD, c’est raconter tous les aspects de la lutte antiterroriste. Les personnages sont importants, comme leur vie et les liens qu'ils tissent entre eux. Il ne s’agit pas de faire une BD qui soit complètement désincarnée.

D’où l’importance de montrer la vie quotidienne du juge et ses discussions avec ses enfants, qui lui demandent s’il y aura des terroristes dans l’espace?

(Rires). Quand j’écris un roman, les personnages sont ce qu’il y a de plus importants. Il est important qu’on s’y attache. Il n’y a rien de pire que de lire un livre où le personnage ne vous attire pas. Une BD, c’est un peu pareil. J’ai commencé au début de la mondialisation du terrorisme avec Al-Qaeda. Le terrorisme qui était local est devenu mondial - donc pourquoi pas dans l’univers? Se demander s’il y a des terroristes dans l’espace, c’est une réflexion d’enfant, mais cela trahit le fait que c’est bien devenu un phénomène mondial.
"Les aliens, de manière générale, sont des terroristes"

Et si on regarde les comics Marvel, Galactus et son héraut le Surfeur d’Argent sont des terroristes. Ils viennent sur Terre pour la détruire (et le Surfeur se retourne contre Galactus).

On peut voir cela comme ça, je n’avais pas raisonné comme ça. Les aliens, de manière générale, on peut considérer que ce sont des terroristes. Ils terrorisent, en tout cas. Ils font peur. On a peur aussi de ce que l’on ne connaît pas, de ce qui est étranger et de ce que l’on ne comprend pas. Et s’il a bien quelque chose que l’on ne comprend pas, ce sont des jeunes de France qui sont prêts à se faire sauter.

Le Juge Duquesne, alias Marc Trevidic
Le Juge Duquesne, alias Marc Trevidic © Rue de Sèvres 2018

Avez-vous eu peur de vous lancer dans la BD?

Je reçois beaucoup de propositions sur le terrorisme et je refuse pratiquement tout. Rue de Sèvres est arrivé au bon moment. J’en avais marre d’écrire sur le terrorisme. Le roman que je préparais, Le Magasin jaune, ne parlait pas de ça. Mais ça me manquait quand même. L'aborder avec un support neuf, la BD, m’a intrigué. Je ne savais pas du tout comme ça se fabriquait. J’avais un peu peur, mais en même temps, au stade où on en est, je trouve que c'est une évidence de faire des BD sur le terrorisme. Rue de Sèvres a bien fait les choses. J’ai tout de suite été rassuré…
"J’ai un don pour imaginer des attentats"

… par Matz, qui est un spécialiste du polar en BD?

Exactement. J’ai écrit une histoire. Après en avoir discuté, il me disait: "Là, il va falloir un petit attentat de plus, parce que le récit perd d’intensité". Il y a eu une vraie interaction.

Matz voulait rajouter des attentats?

On a rajouté celui d’Amsterdam. C’est assez horrible à dire: j’ai un don pour imaginer des attentats (rires).

BD de Marc Trevidic
BD de Marc Trevidic © Rue de Sèvres BD

Les attentats mis en scène dans l’album ont-ils été déjoués dans la réalité?

Non. Ce sont des attentats que j’aurais bien imaginés. Il ne s’agit pas de leur donner des idées, mais il y a des endroits où ça me semblait un peu évident pour différentes raisons. On est dans le symbole: Amsterdam, la débauche… Vu leur côté puritain extrême… Le périphérique aux heures de pointe, à cause de la densité importante... Je me suis toujours dit que c'était bizarre que rien ne s'était passé à ces endroits-là. Ça les rend très crédibles, de fait. Dans les prochains albums, il y aura un attentat qui n’a pas été déjoué, mais qui a été une idée d’Al Qaeda. J’ai puisé dans des documents que l’on a retrouvé dans une grotte à Tora Bora. Sinon, je m’inspire de la psychologie de ces gens pour imaginer ce genre de choses.

Parce que vous avez envie de fiction ou à cause du secret défense?

Il n’y a pas trop d’intérêt à raconter quelque chose qui a vraiment été déjoué ou pas. Il n’y a pas besoin, en fait. Si vous réfléchissez, il y a tellement de cibles possibles qu’il n’y a pas besoin de chercher dans la réalité. On sait ce qu’ils cherchent: tuer le plus grand nombre possible dans des endroits symboliques. Après, l’imagination prend le dessus sans problème.
"Ça ressemble pas mal à ce que j’ai pu être"

Le juge, c’est vous?

C’est moi sans être moi. C’est comme dans un roman. On met une partie de soi dans les personnages, mais pas uniquement. Ça ressemble pas mal à ce que j’ai pu être sans être complètement moi non plus.

Cette BD a une ambition pédagogique?

Oui, mais on y va mollo. Je veux montrer toutes les facettes de la lutte antiterroriste. On a trois BD. Dans la deuxième BD, on rentrera plus dans la guerre des polices. La troisième évoquera plus la géopolitique. Je n’aurais pas accepté pour une seule BD. Il faut distiller, comprendre la psychologie sans faire quatre planches sur un discours religieux salafiste.

La BD de Marc Trevidic
La BD de Marc Trevidic © Rue de Sèvres 2018

Quel était votre rapport à la BD?

J’ai connu la BD par des séries: Buck Danny, Les Bidochons... J’ai été très marqué par Blueberry, de loin la BD que je préfère. Ça reste pour moi le must. Maintenant, c’est plus ponctuel les BD. De temps en temps, j’en achète une. La dernière que j’ai lue, c’est Arsène Lupin, les origines. J’ai beaucoup aimé les romans adaptés en BD. A la Recherche du temps perdu de Proust en BD, c’était pas mal. J’ai bien aimé aussi les adaptations de Shakespeare et de Sherlock Holmes.

Qu’est-ce qui vous plaît dans Blueberry?

Les personnages sont complexes. La BD a besoin de ce réalisme humain. C’est de la BD adulte. Pour les enfants, il y a Babar. Babar, ça reste une escroquerie. Ca consiste à dire aux enfants que le chef de l’Etat nous aime (rires). Le fond du fond, c’est: on est les sujets de Babar, c’est le roi, il est bienveillant et il nous aime. Il ne nous veut pas de mal, mais que du bien. Quand on est adulte, on se rend compte que c’est des conneries (rires). On n’imagine pas Babar avec des comptes off-shores (rires). Et on ne voit jamais le peuple dans Babar!
"Babar, ça reste une escroquerie"

Ce n’est pas le cas dans Compte à rebours ?

Les gens en prennent plein la gueule là. C’est ça le terrorisme.

Que pensez-vous de séries comme Homeland ou Le Bureau des Légendes?

Le Bureau des légendes, c'est vraiment très bon. Je crois que la DGSE a contribué d’une manière ou d’une autre. Le problème de Homeland, c’est que c’est trop. Ce n’est pas aussi noir tout le temps.

Il y aura un happy end dans Compte à rebours?

Il n’y a jamais vraiment de happy end dans l'antiterrorisme. Il y aura de la logique. Les terroristes sont tués, mais sont remplacés par d’autres.

Compte à rebours, Marc Trevidic et Matz (scénario) et Giuseppe Liotti (dessin), Rue de Sèvres, 56 pages, 15 euros.

Jérôme Lachasse