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Nicolas Sarkozy au JDD : "Je briserai les auteurs de la machination"

Nicolas Sarkozy livre dans une interview au JDD les détails de sa défense dans l'affaire sur les soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de 2007.

Hervé Gattegno , Mis à jour le
Après sa mise en examen, Nicolas Sarkozy se défend dans le JDD.
Après sa mise en examen, Nicolas Sarkozy se défend dans le JDD. © Reuters

Il parle d’une voix calme mais ses lèvres sont crispées. Nicolas Sarkozy reçoit le JDD dans le vaste salon de sa maison parisienne, au fond d’une impasse gardée par des policiers. Quelques photographes guettent aux alentours. L’ancien président, mis en examen mercredi pour "recel de détournement de fonds publics, corruption passive, financement illégal de campagne électorale", est confortablement installé dans un fauteuil, jambes tendues sur un repose-pieds, pour répondre à nos questions. Aucune note ni document à portée de main – après vingt-six heures d’interrogatoire en deux jours, il connaît en détail le dossier qui l’accuse.

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Il a voulu y répondre dès jeudi soir sur TF1, "pour afficher sa combativité", assure un proche. Il entre ici dans les détails de sa défense , prêt à livrer une nouvelle bataille, qui sera forcément meurtrière. Si les accusations portées contre lui se vérifient un jour, la vie politique française en sera durablement ébranlée. Mais qu’en sera-t-il si l’issue lui est favorable?

Vous avez réagi à votre mise en examen en déclarant, jeudi soir sur TF1, qu'il n'y a "aucune preuve" dans le dossier, mais "de la haine, de la boue, des calomnies". Qui visiez-vous?
En observant les choses avec un peu de recul, sans se laisser entraîner par les passions, il est clair que nous sommes – que je suis – face à une manipulation d'une ampleur inédite. Qui est derrière? Trois groupes d'individus qui, pour des raisons différentes, ont intérêt à me salir. Le premier est constitué d'une bande d'assassins : ceux-là mêmes qui entouraient Kadhafi, un dictateur sanguinaire. Parmi eux, il y a Abdallah Senoussi, son beau-frère, l'homme qui a commandité et fourni les explosifs dans l'attentat contre le DC-10 d'UTA en 1989, dans lequel 170 personnes ont trouvé la mort, dont 54 de nos compatriotes.

Le deuxième groupe, ce sont les gens de Mediapart et leurs comparses, qui ne se comportent pas en journalistes mais en militants politiques. C'est bien pourquoi le premier faux de Mediapart a été publié le 28 avril 2012, entre les deux tours de la présidentielle. Le troisième, ce sont les affidés du régime déchu de Kadhafi, dont le plus visible est Ziad Takieddine, un escroc et un fraudeur notoire, condamné à plusieurs reprises. Ce sont donc ces gens-là qui m'accusent, et rien de ce qu'ils allèguent n'est étayé par la moindre preuve. Malgré leurs multiples annonces promettant des preuves sous forme de vidéos, de virements et de transferts bancaires, cinq ans après le début de l'instruction, rien, absolument rien n'a été produit.

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Takieddine fait partie de ceux qui ont pillé la Libye. En suscitant la coalition internationale contre Kadhafi, je les ai privés de leur "poule aux œufs d'or"

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Selon vous, quelles seraient les motivations de vos accusateurs?
Le clan Kadhafi veut se venger d'avoir été délogé d'un pouvoir qu'il tenait par la force depuis trente ans. Ils m'ont désigné car je suis le premier à avoir reconnu l'opposition libyenne, le CNT [Conseil national de transition], et que j'ai ensuite mené l'action diplomatique qui a permis d'obtenir le mandat de l'ONU et l'intervention de la coalition internationale en Libye. La preuve : j'ai reçu les représentants du CNT à Paris le 10 mars 2011 ; les calomnies de Kadhafi ont commencé le 11 mars, le lendemain. Depuis sa mort, en octobre 2011, ses sbires continuent de me salir.

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Mediapart relaie leurs accusations parce que leur objectif était de me faire perdre, d'abord la présidentielle de 2012 puis la primaire de la droite en 2016 : leurs pseudo-révélations coïncident toujours avec des moments clés de la campagne électorale. Il faut n'avoir aucun principe ni aucune déontologie pour s'acoquiner avec de tels individus, mais il est vrai qu'Edwy Plenel, le directeur de Mediapart, revendique ses fréquentations sulfureuses – après avoir affiché son amitié avec Tariq Ramadan, il n'est pas gêné d'ouvrir ses colonnes à Takieddine et aux sbires de Kadhafi.

Pourquoi un homme d'affaires comme Takieddine vous en voudrait-il à ce point?
Ses mobiles sont financiers. Il fait partie de ceux qui ont pillé la Libye. En suscitant la coalition internationale contre Kadhafi, je les ai privés de leur "poule aux œufs d'or". Le dossier judiciaire montre qu'il a reçu énormément d'argent libyen. Il a été arrêté en 2011 à son retour de Tripoli avec 1,5 million d'euros en liquide. Pendant ma garde à vue, les policiers m'ont appris qu'il avait reçu, en 2006, 2 millions d'euros en provenance d'un compte de Senoussi sur une société offshore. On a prétendu que son "auto-incrimination" donnait de la crédibilité à ses propos ; mais c'est le contraire! M'accuser lui permet de se dédouaner. Puisqu'il est établi qu'il a reçu cet argent, il vaut mieux prétendre que c'était pour ma campagne. J'ai démontré aux enquêteurs les multiples mensonges de ce sinistre individu.

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Qui peut croire qu'alors que je voyais Kadhafi pour la première fois j'aurais pu demander à un dictateur à la réputation sulfureuse le moindre financement?

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Par exemple? Pouvez-vous en dire plus?
M. Takieddine – que j'ai croisé deux fois dans ma vie, la dernière en 2003 – prétend qu'il pouvait entrer comme chez lui au ministère de l'Intérieur, sans même donner son identité. C'est délirant. Même les membres de ma famille devaient présenter leurs papiers pour entrer ! Il soutient m'avoir remis une mallette d'argent en me croisant alors qu'il se rendait au bureau de Claude Guéant, qu'il situe au premier étage du ministère. Or le bureau du directeur de cabinet a toujours été au rez-de-chaussée. Plus incroyable : il raconte qu'après avoir entendu le fils Kadhafi évoquer sur Euronews l'argent qui m'aurait été remis pour ma campagne, il l'a questionné sur ce point au cours d'un voyage à Tripoli. Le problème, c'est que sa visite date du 4 mars 2011, alors que l'interview n'a eu lieu que le 16 mars ! Enfin, il prétend m'avoir croisé au ministère de l'Intérieur autour du 27 janvier 2007. J'ai tous les éléments prouvant que les 27 et 28 janvier 2007 j'étais en Avignon ; que dans la journée du 26, après avoir assisté aux obsèques de l'abbé Pierre, je suis parti en Poitou-Charentes, d'où je me suis rendu directement en Avignon. Le 25, j'étais le matin à Matignon pour un séminaire gouvernemental, l'après-midi à Saint-Quentin. Ce sont ces élucubrations qui fondent les motifs de ma mise en examen… C'est indigne.

On vous suspecte d'avoir directement demandé son aide à Kadhafi en 2005. Que répondez-vous à cela?
Qui peut croire qu'alors que je voyais Kadhafi pour la première fois j'aurais pu demander à un dictateur à la réputation sulfureuse le moindre financement pour ma future campagne? Six ans après, quand il m'a désigné comme son ennemi, il a annoncé publiquement qu'il livrerait "toutes les preuves". Entre le 11 mars 2011 et sa mort, en octobre 2011, il a eu sept mois pour le faire. On n'a jamais rien vu.

ATripoli, l'interprète désignée par le Quai d'Orsay m'accompagnait. J'ai demandé qu'elle soit relevée de son secret professionnel afin qu'elle puisse dire si oui ou non la question du financement de ma campagne a été abordée. C'est une interprète officielle qui exerce toujours sa mission au Quai d'Orsay.

Les juges n'ont pas entendu vos arguments puisque vous voilà mis en examen, notamment pour "corruption passive". Estimez-vous être injustement traité?
Ce n'est pas un débat entre l'institution judiciaire et moi. J'ai été chef de l'Etat, je n'attaque pas les juges. Je veux néanmoins dire mon indignation de voir que l'on puisse justifier ma mise en examen par le motif que j'aurais "favorisé les intérêts de l'Etat libyen". A-t-on passé un marché, signé un contrat, ai-je pris une décision favorable à Kadhafi? Je l'ai reçu à Paris, c'est vrai ; c'était après la libération des infirmières bulgares que son régime avait séquestrées, torturées et violées pendant des années. Et c'est la France, patrie des droits de l'homme, qui a obtenu leur liberté. Dire que j'ai favorisé l'Etat libyen est une monstruosité.

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Sur une campagne qui a coûté 21 millions d'euros, les policiers m'ont parlé d'une somme de 38.000 euros

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Recevoir Kadhafi, c'était une contrepartie?
J'avais mis en avant auprès de ­Kadhafi que la libération des infirmières serait un geste d'humanité qui permettrait à son pays de retrouver un semblant de place dans la communauté internationale. Je rappelle qu'à cette époque, la Libye avait renoncé au terrorisme et à son programme nucléaire. Jacques Chirac s'y était rendu, Tony Blair aussi. La Libye a connu ses premières élections libres en 2012. Hélas, on a abandonné ce pays par la suite, voilà où est la faute. Barack Obama a déclaré que ce fut sa plus grande erreur diplomatique.

L'enquête met en évidence des mouvements d'argent liquide dans votre campagne de 2007. Comment l'expliquez-vous?
Sur une campagne qui a coûté 21 millions d'euros, les policiers m'ont parlé d'une somme de 38.000 euros. Après cinq ans d'enquête, des dizaines de gardes à vue, des commissions rogatoires dans le monde entier, voilà donc ce qu'on a trouvé! A l'origine, dans le faux document de Mediapart, il était question de 50 millions. M. Senoussi, lui, parle de 20 millions. M. Takieddine prétend m'avoir versé 5 millions. Un autre sbire de Kadhafi a parlé de 200 millions de dollars – dans ces conditions, comment peut-on ­prétendre qu'il s'agit d'indices "graves et concordants"?

Mais ces 38.000 euros, d'où venaient-ils?
Je rappelle que l'UMP comptait 350.000 adhérents et que les soutiens affluaient ; je n'avais nul besoin de l'aide d'une dictature, qui plus est impliquée dans un attentat sanglant contre la France! La somme en cause, eu égard au budget de la campagne, sera aisément justifiable. Mais je rappelle que ma campagne de 2007 a déjà fait l'objet d'une enquête approfondie pour savoir si de l'argent liquide m'avait été versé par Mme Bettencourt au prix d'un abus de faiblesse. Mes comptes de campagne ont été passés au laser, tous les fournisseurs ont été interrogés. Conclusion : aucun n'a été payé en liquide et il y a eu un non-lieu définitif le 3 juillet 2013 du chef de financement illégal de la campagne. Voici donc qu'on recommence la même enquête sur la même campagne, mais cette fois-ci pour savoir si ces 38.000 euros viennent du dictateur libyen.

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Je ferai usage de toutes les voies de recours qui me sont ouvertes. J'ai parfois l'impression que notre système est devenu fou

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Vous avez semblé prendre vos distances avec deux de vos proches, Claude Guéant et Brice Hortefeux. Avez-vous des doutes sur eux?
Brice Hortefeux est mon plus vieil ami. Claude Guéant a été un excellent collaborateur. Je n'ai aucune raison de douter que, de près ou de loin, ils n'ont jamais été mêlés au prétendu financement libyen de ma campagne de 2007. J'ajoute que l'on sait par le travail de la police sur la plainte que j'avais déposée et par la synthèse des magistrats libyens qui vient d'être publiée que le document publié par Mediapart qui a lancé l'affaire était un faux – les lieutenants de Kadhafi eux-mêmes le disent. La manipulation est donc démontrée. Reste à en trouver les auteurs. Et puisque le document par lequel tout a commencé est un faux, ne faut-il pas considérer que toute la suite est frappée de la même suspicion?

N'y a-t-il pas tout de même les carnets de l'ancien ministre libyen du Pétrole Choukri Ghanem, mort en Autriche en 2012? Il y évoquait, dès 2007, des versements pour votre campagne…
Pour les raisons que je viens d'indiquer, j'émets les plus grandes réserves sur l'authenticité de ces documents, que l'on ne m'a d'ailleurs pas présentés. Comment sait-on à quelle date leur auteur, retrouvé mort dans le Danube, les a rédigés? La seule chose qui me semble intéressante dans ce prétendu document, c'est qu'il est indiqué que "les émissaires ont empoché une partie des sommes avant de les remettre à destination". Il y a sans doute là la clé de beaucoup de fausses accusations et de certains règlements de comptes entre factions libyennes.

Vous avez annoncé votre intention de vous battre pour défendre votre honneur. Quelles actions envisagez-vous?
Je ferai usage de toutes les voies de recours qui me sont ouvertes. J'ai parfois l'impression que notre système est devenu fou : ce ne serait plus à l'accusation de prouver ce qu'elle avance, mais à la défense de prouver son innocence. Cela fait deux siècles que le droit français affirme qu'on ne peut accuser sans preuves. Chaque fois que j'ai été injustement mis en cause, la justice a fini par m'innocenter. Mais quels dégâts pour mon honneur, ma famille, mes amis! Quel que soit le temps que ça prendra, je briserai les auteurs de la machination honteuse qui porte atteinte, au-delà de moi-même, à la fonction que j'ai exercée et à notre pays.

Avez-vous reçu des témoignages de soutien?
Beaucoup d'élus et de responsables m'ont adressé des messages, publics ou privés. Y compris d'autres familles politiques que la mienne, même parmi ceux qui sont aux responsabilités – ces gestes leur font honneur. J'ai, par ailleurs, reçu des milliers de témoignages de Françaises et de Français, qui m'ont profondément touché. Je veux qu'ils soient persuadés que je n'ai jamais trahi leur confiance, et que je ferai triompher la vérité. Quand les épreuves ne vous tuent pas, elles font de vous un homme meilleur. Définitivement, c'est le chemin que j'ai choisi d'emprunter.

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