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Faut-il interdire le salafisme?

L'ancien premier ministre Manuel Valls à l'Assemblée nationale en décembre 2017.

L'ancien premier ministre Manuel Valls à l'Assemblée nationale en décembre 2017. - Patrick KOVARIK / AFP

Dans la foulée de l’attaque du Super U de Trèbes, Manuel Valls s’est prononcé pour une "interdiction du salafisme" en France. Les observateurs, juristes ou philosophes, expliquent qu'il faudra d'abord définir ce mouvement.

"Je pense qu’il faut prendre un acte fort, politique, à caractère symbolique, d’une interdiction du salafisme". La proposition de Manuel Valls, formulée dimanche soir sur BFMTV, continue de provoquer des remous. Quelques jours après l’attaque du Super U de Trèbes, la question de la légalité du salafisme, déjà soulevée par Nathalie Kosciuko-Morizet en 2016, est toujours hautement sensible. "C’est à la fois irréaliste et irréalisable, lui a répondu Anouar Kbibech, le vice-président du CFCM, lundi matin. C’est comme si, pour assurer le plein-emploi, on allait décréter que le chômage était interdit".

Légalement, s’il est possible d’expulser des imams salafistes ou de fermer leurs mosquées, l’idée d’une interdiction du salafisme en lui-même serait extrêmement difficile à mettre en place. "Sous l’appellation ‘interdire le salafisme’, on peut prohiber certains comportements qui se rapportent au salafisme. Mais l’interdire en tant que tel, ça dépasse le sens commun", prévient Pierre-Henri Prélot, professeur de droit public à l’université de Cergy-Pontoise.

Pour ce spécialiste du droit des religions, "le salafisme est un courant de pensée, et interdire un courant de pensée c’est très compliqué: On ne peut pas pénétrer dans les consciences des gens pour leur interdire de penser d’une manière ou d’une autre".

"Il faudra établir une grille pour dire ce que c’est qu’un salafiste"

En matière de lutte contre le terrorisme, l’efficacité d’une telle mesure serait par ailleurs discutable. "Il est difficile de nier qu’une partie des jihadistes, mais pas tous, sont passés par le salafisme. Donc dans la plupart des services de renseignement et de sécurité, il y a cette idée qu’il y a quelque chose qui relèverait de l’antichambre, ou du sas, explique Yves Trotignon, ancien cadre de la DGSE, spécialiste du terrorisme et enseignant à Sciences Po. Sauf qu’il n’y a pas de lien mécanique: un salafiste ne va pas devenir automatiquement un jihadiste. De même, un jihadiste peut très bien ne pas être passé par la case salafiste".

Sans parler du fait que dans le cadre d’une interdiction du salafisme par la loi, il faudra bien en donner une définition. "Il faudra établir une grille pour dire ce que c’est qu’un salafiste. On arrivera à une situation absurde où ce sera une république laïque qui va décider de la conformité de pratiques musulmanes radicales et minoritaires par rapport au canon de l’islam, reprend Yves Trotignon. Je me demande bien de quelle façon le législateur peut mettre en place une telle politique".

"L’affaire des autorités musulmanes"

De son côté, Bernard Godard, ancien chargé de mission au Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur, juge la proposition de Manuel Valls "irréaliste". Ce chercheur à l’Ehess, auteur de La question musulmane en France (éd. Fayard), considère qu’il faut traiter le sujet "de manière un peu plus subtile". "Que le salafisme embête tout le monde, c’est une réalité. C’est plutôt l’affaire des autorités musulmanes avec qui on doit s’entendre pour qu’elles prennent position plus durement sur le sujet. Mais je ne suis pas tout à fait contre ce que dit Valls, parce que derrière ce qu’il dit il y a l’idée de la rupture du lien social. Mais le salafisme à lui-seul n’est pas une explication suffisante".

"Je ne l’aurais pas exprimé de la même manière, mais c’est un vrai sujet", rebondit André Gérin, ancien député-maire PCF de Vénissieux. A l’origine de la loi proscrivant le port du voile intégral dans les lieux publics, André Gérin voit dans la sortie de Manuel Valls "un pavé dans la mare qui peut s’avérer salutaire":

"Il pose une question, discutons-en. Dans tous les cas, ça nous permettrait de faire un état des lieux de nos territoires sur la question de l’islamisme, parce qu’on souffre encore dans ce pays d’un décalage horaire fantastique sur le sujet".

Pour Anne-Clémentine Larroque, maîtresse de conférences à Science-Po, spécialiste de l’idéologie islamiste, l’ancien Premier ministre "met le doigt sur quelque chose d’important" même si sa proposition n’est sans doute "pas du tout possible en terme constitutionnel". "Le salafisme est une idéologie religieuse, mais qui a versant politique de plus en plus important", assure l’auteur de L’Islamisme au pouvoir (éd. PUF). 

Selon elle, "en Egypte, vous avez des partis salafistes alors que ce n’était pas du tout le cas avant. En France, le salafisme soutient un message politique de manière assez indirecte, plus opaque. Il véhicule l’idée de l’identitaire et du communautarisme derrière lui. C’est là où ça pose un problème au niveau de l’esprit républicain".

Antoine Maes