Offensive turque en Syrie : "Nous craignons l'installation d'un foyer djihadiste à Afrin"

Offensive turque en Syrie : "Nous craignons l'installation d'un foyer djihadiste à Afrin"
Des décombres à Afrin ((NAZEER AL-KHATIB / AFP))

Pour le coordinateur du Comité de soutien pour Afrin, ville du nord de la Syrie, l'opération militaire turque ne fait pas seulement courir un danger humanitaire.

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Mannan Seuleiman, maître de conférences à l'Institut parisien de Chimie moléculaire et originaire d'Afrin, est coordinateur du Comité de soutien pour cette ville du nord de la Syrie. Alors que l'armée turque y a mené une violente offensive, il alerte sur la situation humanitaire mais surtout sur les dangers à venir après la déstabilisation de la région.

Que se passe-t-il à Afrin depuis l'intervention militaire turque ?

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L'opération militaire menée par l'armée turque, membre de l'Otan, a poussé les milliers d'habitants, en majorité kurdes, à fuir Afrin. Cette population est désormais réfugiée principalement sur le plateau Saint-Siméon, au sud-est de la ville. Elle ne peut ni poursuivre sa route vers Alep, bloquée par les soldats du régime syrien, ni revenir sur ses pas, au risque de tomber aux mains des djihadistes, qui ont pris possession de leurs biens.

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Les maisons des habitants ont été pillées par ces supplétifs du régime turc, qui occupent désormais le terrain. La maison de mon frère, par exemple, est occupée par ces barbus en armes. Je ne vous rapporte pas des informations glanées sur internet, ce sont les témoignages que nous recueillons auprès de nos familles, de nos amis. Ils ont tout perdu et survivent difficilement car aucune aide humanitaire ne leur parvient. Ils manquent de nourriture, d’eau, de médicaments, de lait pour les bébés… Ils n'ont pas non plus d'abris pour se protéger.

Ce déplacement de population n'est pas seulement dû à une fuite des civils devant la violence de la guerre, il a été programmé. L'opération militaire turque a été menée pour faire le vide : la région a été encerclée, un seul couloir menant vers le Sud-Est étant laissé ouvert. Puis, les troupes turques ont mis en place une stratégie pour affamer la population anéantissant prioritairement le château d'eau qui alimente Afrin, s'en prenant au bétail…

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Pourquoi Recep Tayyip Erdogan souhaiterait vider Afrin de ses habitants ?

Erdogan l'a dit lui-même, il a l'intention de relocaliser les réfugiés syriens dans cette région. Il souhaite empêcher les Kurdes et les autres populations qui vivaient pacifiquement à Afrin de revenir à la frontière turque tout en expulsant les réfugiés syriens de Turquie. Des personnes qui ont vu la guerre, qui ont laissé leur maison à Homs, Deraa ou Hama, et que le président turc veut déplacer une deuxième fois, dans une nouvelle logique de confrontation, cette fois-ci avec les Kurdes.

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Ce qui se passe est très grave car les hommes qui s'implantent en ce moment dans notre région, ceux qui occupent les maisons, ces supplétifs d'Erdogan, ne sont ni plus ni moins que des djihadistes. Notre crainte est qu'ils constituent ici un nouveau foyer terroriste qu'on ne pourra pas cette fois éradiquer facilement : nous sommes dans une région montagneuse très profitable à des petits groupes d'hommes armés déterminés.

Nos gouvernements veulent-ils laisser s'implanter le nouveau foyer d'où partiront les prochains terroristes en direction des capitales européennes ? Ils ont la possibilité de prendre le problème à son démarrage.

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C'est là votre principale réclamation aux autorités européennes ?

Ce n'est que l'une d'elles. Le problème humanitaire est également urgent et nous souhaitons que tout soit mis en œuvre pour que les ONG puissent accéder aux populations car elles manquent de tout. C'est une question de survie.

Mais il est capital que les autorités françaises et européennes prennent la mesure de la situation : ces djihadistes implantés à Afrin à la faveur de l'intervention turque doivent quitter la région. Si nos familles peuvent rejoindre leur maison, elles pourront s'en sortir. Malgré les pillages, elles sauront repartir de zéro.

Mais si cette situation perdure, non seulement elles sont en danger mais la région sera déstabilisée et le risque de l'installation d'un foyer djihadiste fera courir un danger bien au-delà du nord de la Syrie. Il y a des moments où il faut réagir. La France peut faire pression sur Erdogan.

Propos recueillis par Céline Lussato

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