Recours aux ordonnances : Macron encore loin des champions Hollande, Chirac et Sarkozy

Depuis le mandat de Jacques Chirac, le recours aux ordonnances pour faire passer des réformes s’est largement démocratisé. Les huit présidents de la Ve République en ont même signé près de 900 depuis que la Constitution les y autorise.

 Jacques Chirac et François Mitterrand ont utilisé très différemment les ordonnances. Le président de la droite a été le champion de cette méthode de gouvernance.
Jacques Chirac et François Mitterrand ont utilisé très différemment les ordonnances. Le président de la droite a été le champion de cette méthode de gouvernance. Le Parisien archives

    « Encore! » Après la loi Travail et bientôt la réforme de la SNCF, Emmanuel Macron et Édouard Philippe vont une fois de plus avoir recours aux ordonnances pour faire passer une partie de la loi Pacte, consacrée à la croissance des entreprises. De quoi donner l'impression que le président et son Premier ministre en abusent, ne laissant que peu de place aux débats.

    Si les syndicats appellent régulièrement l'exécutif à entamer de véritables « négociations » et que l'opposition s'offusque de la « précipitation et la brutalité » de la méthode, le duo au pouvoir est toutefois loin des scores d'autres chefs de l'Etat et du gouvernement des deux dernières décennies. En effet, après des utilisations ponctuelles par Valéry Giscard d'Estaing ou François Mitterrand, le recours aux ordonnances s'intensifie depuis la présidence de Jacques Chirac, champion inégalé de cette technique prévue par la Constitution de 1958.

    874 ordonnances sous la Ve République

    Selon nos calculs réalisés à partir du site Legifrance - où sont recensés tous les textes du Droit français ainsi que les traités auxquels l'Hexagone est soumis -, 874 ordonnances ont été publiées sous la Ve République, dont 87,3 % l'ont été ces vingt dernières années. Parmi elles, une minorité vise simplement la transposition de textes européens et bon nombre en revanche concernent des exceptions accordées à l'outre-mer, surtout avant les années 1990. Mais globalement, cet outil encadré par l'article 38 de la Constitution permet au gouvernement d'intervenir rapidement dans des domaines qui sont normalement réservés au pouvoir législatif, sans passer par la potentielle laborieuse navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

    En un peu moins d'un an, Emmanuel Macron et son gouvernement ont ainsi été à l'origine de 37 ordonnances, dont 32 sont en vigueur. Soit tout de même 4,2 % de l'ensemble de celles signées sous la Ve République, quand le champion Jacques Chirac et ses quatre Premiers ministres en comptabilisent 282 (32,3 %) en douze ans.

    Hollande discret mais vice-champion

    Parmi les ordonnances publiées sous l'actuel quinquennat, trois concernent des adaptations du droit européen à la France et six ont été prises dans le cadre de la fameuse loi Travail (ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique, relative à la négociation collective ou encore relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l'exposition à certains facteurs de risques professionnels). D'autres visent à « moderniser notre système de santé » ou encore la sécurité des transactions électroniques.

    En dix mois au pouvoir, Emmanuel Macron a ainsi atteint 13,5 % de l'utilisation totale des ordonnances par son prédécesseur, François Hollande. Avec 274 ordonnances signées en cinq ans, le socialiste arrive, lui, en deuxième position des présidents de la Ve qui y ont eu le plus recours, juste derrière Jacques Chirac qui est resté bien plus longtemps au pouvoir. Le socialiste, en temps passé au pouvoir est donc le véritable champion des ordonnances.

    /
    / Le Parisien archives

    L'ex-mentor d'Emmanuel Macron les a toutefois utilisées sans fracas médiatique ni contestation notable de la part des députés, et principalement pour mettre en œuvre la réforme de procédures juridiques, la simplification du droit ou pour les entreprises. Fort de cette discrétion, l'ex-chef de l'Etat s'était même permis en janvier 2017 de critiquer l'intention de certains candidats à sa succession, François Fillon en tête, de gouverner par ordonnances « au nom d'une impatience qu'on peut parfois comprendre ou d'une rupture dont il faut toujours se garder ».

    Malgré cette absence de publicité pour ses propres ordonnances, François Hollande a tout de même inversé la tendance qui plaçait jusque-là la droite championne dans le domaine. Outre le record de Jacques Chirac, c'est en effet Charles de Gaulle qui avait lancé la machine à réformer sans le Parlement. Dès son accession au pouvoir en 1958, le Général a exploité ce droit que la nouvelle Constitution lui octroyait. De son arrivée au pouvoir le 13 mai 1958, sous feu la IVe République, à la fin de son septennat le 14 avril 1962, en passant par son élection en tant que 1er président de la Ve, 89 ordonnances ont été publiées, dont seules 24 ont été abrogées et une dite « périmée ». Parmi elles, seules vingt-cinq ont toutefois été signées sous la Ve République.

    De grandes réformes par ordonnances

    Si le pionnier des ordonnances les a véritablement utilisées pour réformer le pays, autoriser l'Etat à prendre des mesures de maintien de l'ordre en Algérie ou encore créer l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), ces successeurs ont presque boudé la méthode jusqu'à l'élection de Jacques Chirac. Ce dernier n'y avait d'ailleurs lui-même pas eu recours lorsqu'il était Premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing, contrairement à son successeur Raymond Barre sous qui VGE a signé 17 ordonnances. Avant eux, Georges Pompidou et ses deux Premiers ministres n'y ont eu recours qu'une seule fois, pour modifier une loi sur les sociétés commerciales.

    Si François Mitterrand ne fait pas partie des recordmen, il les a utilisées de façon très politique. En 1982, son Premier ministre Pierre Mauroy y a d'abord recours pour concrétiser les promesses de campagne du socialiste. C'est comme ça qu'il institue les 39 heures de travail au lieu de 40 par semaine. De même pour la cinquième semaine de congés payés, contre quatre auparavant. Et bien sûr l'âge de la retraite à 60 ans. Autrement dit, des réformes phares qui sont aujourd'hui encore dans tous les esprits.

    Valls et Fillon, champions des Premiers ministres

    Sous Mauroy et Fabius, Mitterrand signe 34 ordonnances. Soit moins que ses prédécesseurs mais bien plus marquantes pour ce premier président socialiste de la Ve. Ensuite en revanche, il change de stratégie. Lors de la première cohabitation de l'Histoire de France, le chef de l'Etat boycotte son Premier ministre de droite en refusant de signer ses ordonnances emblématiques. Cette fois, Jacques Chirac aurait bien aimé y recourir mais le président réfute toute idée d'urgence. Mitterrand l'oblige à passer par la voie classique, notamment pour autoriser la privatisation de plusieurs groupes industriels.

    La droite se rattrape dès 1993, avec la réforme des retraites d'Édouard Balladur, sous Mitterrand. Puis le premier chef de gouvernement de Jacques Chirac, Alain Juppé, fait passer sa très contestée réforme de la Sécurité sociale en 1996. Les ordonnances deviennent un réflexe lors de ces deux mandats, y compris lorsque Lionel Jospin est Premier ministre : 77 ordonnances pendant que le socialiste est à Matignon, 93 sous Jean-Pierre Raffarin et 103 sous Dominique de Villepin. Pendant les cinq ans du mandat de Nicolas Sarkozy, son Premier ministre François Fillon poursuit sur la même lancée, avec 170 ordonnances signées. Et comme son successeur François Hollande, Nicolas Sarkozy déconseille désormais à Emmanuel Macron l'utilisation des ordonnances après s'en être largement servi. Selon l'ex-président LR, y avoir recours pour réformer la SNCF est même « la fausse bonne idée, une très mauvaise idée ».