Antisémitisme : «Les Français juifs concentrent à peu près 40% des actes de haine»

Quel est le visage de l’antisémitisme en France ? Polymorphe, en augmentation dans sa forme la plus violente, responsable d’au moins 11 morts depuis 2005 selon les associations... L’Etat a fait de la lutte contre cette forme de racisme une priorité.

 Les hommages se multiplient dans le quartier de Paris où vivait Mireille Knoll, tuée et brûlée, peut-être en raison de ses origines juives comme le soupçonne la justice.
Les hommages se multiplient dans le quartier de Paris où vivait Mireille Knoll, tuée et brûlée, peut-être en raison de ses origines juives comme le soupçonne la justice. AFP

    Le meurtre de Mireille Knoll, poignardée puis incendiée dans son appartement, a mis la France en émoi. Deux hommes ont été mis en examen pour « homicide volontaire » à caractère antisémite et écroués alors que ce drame suscite une vive émotion dans la communauté juive et au-delà, un an après celui de Sarah Halimi. En avril 2017, cette femme juive de 65 ans avait été tuée à Paris par son voisin aux cris d' « Allah Akbar ».

    Si la justice venait à confirmer lors des procès le caractère antisémite de ces deux derniers crimes, cela porterait à 11 le nombre de Français juifs tués en raison de leur confession depuis 2005 en France, selon des statistiques de Fondapol, mises à jour par Le Parisien*. Un chiffre inégalé en Europe, où seul le Danemark compte un mort en 2015, lors de l'attaque contre la synagogue de Copenhague.

    Un constat accablant qui inquiète au plus haut niveau de l'Etat Français. « L'antisémitisme est profondément ancré dans notre pays, il n'y a pas hélas de surprise sur cette tendance. Ce qui nous préoccupe, c'est qu'il y a une tendance à la baisse des menaces mais les actes de violences contre les personnes et les biens sont en augmentation », confirme Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, contacté par le Parisien.

    Que disent vraiment les chiffres ? Le bilan global de la place Beauvau pour les actes à caractères « haineux » fait état de 950 actes racistes, antisémites et antimusulmans en 2017 contre 1 128 en 2016, soit un repli de 16 %.

    Dans le détail, les faits racistes ont baissé de 14,8 %, les faits antimusulmans de 34,5 % et les faits antisémites de 7,2 %. Mais les actions violentes dirigées contre les minorités sont toutes en hausse, particulièrement celles contre les Juifs (de 77 à 97).

    « Notre devoir de Républicain, c'est de continuer le combat »

    « Les Français juifs concentrent à peu près 40 % des actes de haine alors qu'ils sont moins d'1 % de la population. Evidemment qu'il y a une concentration de haine envers les Français juifs qui vient de loin, qui est ancienne, mais aussi en raison d'un nouvel antisémitisme qui se propage », constate amèrement le préfet Potier. La France compte la plus grosse communauté juive d'Europe : environ 550 000 personnes, ce qui correspond à moins de 1 % de la population française. Elle constitue la quatrième communauté religieuse de France, après les catholiques, les musulmans et les protestants.

    Le plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme 2018-2020, présenté par le Premier ministre le 19 mars dernier va dans le sens du combat contre ce fléau. « Face à une haine qui se métamorphose, notre devoir de Républicain, c'est de continuer le combat en l'adaptant. En se dotant des bonnes armes », analysait le locataire de Matignon.

    « Pas de fatalité ni de résignation »

    « Il n'y a pas de baguette magique, ni de recette miracle contre l'antisémitisme, mais il n'y a pas non plus de fatalité ni de résignation », abonde Frédéric Potier, le responsable gouvernemental, que la question des Français juifs tués révolte. « On travaille avec des lieux de mémoire, on a des conventions avec le mémorial de la Shoah à Paris, avec Drancy, avec le camp des Milles à Aix-en-Provence pour bien former les agents publics à lutter contre les clichés et les stéréotypes. Notre mission c'est d'aller attaquer l'antisémitisme là où il est le plus prégnant », précise-t-il.

    « L'antisémitisme traditionnel qui vient du XIXe siècle alimente à l'évidence le nouvel antisémitisme, c'est l'un des messages du djihadisme radical, qu'il faut combattre : les vieux mythes comme le « protocole des sages de Sion », les liens entre les juifs et l'argent, les juifs et le pouvoir... Tous ces clichés, il faut qu'on aille les combattre sur le terrain avec les associations, dans les territoires populaires », martèle le représentant de l'Etat.

    Des vidéos de contre discours sur les réseaux sociaux

    « Nos interventions vont prendre des formes multiples : un chantier législatif sur le modèle de nos voisins allemands, notamment sur les délais de retrait des contenus haineux sur Internet et les sanctions contre les messages haineux. Mais aussi un chantier de contre discours. Nous sommes en contact avec de très nombreuses associations pour produire notamment des vidéos pour les réseaux sociaux, des messages bien calibrés comme récemment une vidéo sur le thème du grand remplacement », précise Frédéric Potier sur le plan gouvernemental.

    La violence au quotidien, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, s'opère aussi contre les lieux de culture et de culte de la communauté juive en France. La tendance est aussi à la hausse, avec une augmentation de 22 % des atteintes entre 2016 et 2017.

    20 000 départs entre 2014 et 2016

    Cette situation, mais surtout le meurtre d'Ilan Halimi (2006), l'attaque de l'école juive Ozar Hatorah (2012) ou encore l'attentat de l'Hyper Casher (2015), ou celui récent de Mireille Knoll, qui avait échappé à la rafle du Vel d'Hiv de 1942 selon son fils, ont fini par inquiéter profondément la communauté juive, dont les envies de quitter l'Hexagone ont été très fortes ces dernières années. Plus de 20 000 départs entre 2014 et 2016 selon le JPPI, l'organe de planification de l'Agence juive mondiale.

    « On a pleinement conscience des inquiétudes et de l'émotion, mais les juifs de France ont pleinement leur place au sein de la République. La France ne serait pas la France sans les juifs de France. Le départ pour des motifs sécuritaires est pour nous tous une défaite. Il faut lutter collectivement contre ça », conclut Frédéric Potier.

    * Meurtre d'Ilan Halimi en 2006 ; tuerie à l'école juive Ozar Hatorah à Toulouse en 2012 (meurtre de Jonathan Sandler, Gabriel Sandler, Arié Sandler et Myriam Monsonégo) ; prise d'otages à l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris en 2015 (meurtres de Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Hattab)