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Le gouvernement éteint le gaz réglementé

Dans l'avant-projet de loi sur «la croissance et la transformation des entreprises», l'exécutif compte acter la fin des tarifs réglementés de gaz naturel d'ici le 1er juillet 2023.
par Lilian Alemagna et Jean-Christophe Féraud
publié le 27 mars 2018 à 17h07

Coupure définitive. Sans prévenir, le gouvernement a finalement choisi la future loi Le Maire pour en finir avec les tarifs réglementés du gaz d'ici le 1er juillet 2023. Tarifs qui sont fixés par l'Etat selon une formule de calcul prédéfinie. A l'article 56 de l'avant-projet de loi «relatif à la croissance et la transformation des entreprises» (Pacte) – auquel Libération a eu accès – l'exécutif finalise ainsi la libéralisation du marché de l'énergie initiée en 2007 à la demande de la Commission européenne. «L'extinction des tarifs réglementés de vente du gaz naturel est l'occasion de donner aux entreprises de ce marché de nouvelles opportunités de croissance et d'innovation, tout en permettant aux consommateurs de bénéficier d'une fourniture de gaz naturel adaptée à leurs besoins», est-il écrit dans ce texte prévu en Conseil des ministres le 2 mai.

«Entrave»

Le gouvernement s'estime contraint de mettre fin à ces tarifs du fournisseur historique de gaz en France et fixés chaque année par arrêté ministériel à cause d'une directive européenne de juillet 2009 et deux décisions de justice. La première est un arrêt de septembre 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour qui ces tarifs réglementés constituent «une entrave à la réalisation d'un marché du gaz naturel concurrentiel». La seconde vient du Conseil d'Etat en juillet 2017. Les concurrents d'Engie – opérateur historique du gaz – réunis au sein de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode), avaient porté la question des tarifs réglementés devant la plus haute juridiction administrative. S'appuyant sur cette même décision de la CJUE, le Conseil d'Etat avait lui aussi qualifié ces tarifs «d'entrave à la réalisation du marché concurrentiel du gaz, sans que cette restriction respecte les conditions qui auraient permis de la regarder comme admissible au regard du droit de l'Union européenne».

Depuis 2007, les 10,6 millions de consommateurs abonnés au gaz ont le choix entre les tarifs réglementés de l'ancien monopole GDF devenu Engie, et les prix de marché proposés tant par Engie que par ses concurrents comme EDF, Direct Energie, Eni ou Total qui s'est lancé l'an dernier sur le marché de la fourniture de gaz et d'électricité. Aujourd'hui, 5,4 millions de particuliers (dont 5,2 millions chez Engie, les autres chez des petits fournisseurs locaux) et 73 000 professionnels sont encore titulaires d'un contrat au tarif réglementé. Ces clients qui avaient souscrit des contrats à tarif réglementé vont pouvoir choisir d'ici 2023 des offres tarifaires jusqu'ici plus intéressantes proposées par les fournisseurs alternatifs. Ces derniers auront accès au fichier clients d'Engie : ce même article 56 de l'avant-projet de loi prévoit en effet de donner aux concurrents «un accès aux données relatives aux clients actuellement bénéficiaires des tarifs réglementés de vente de gaz naturel […] afin que les consommateurs bénéficient du meilleur prix» et «dans une optique d'animation de la concurrence».

Récupérer les marges 

Mais la libéralisation totale des prix du gaz va-t-elle vraiment profiter aux clients ? Direct Energie, Dyneff, Eni ou Total proposent aujourd'hui des contrats de fourniture de gaz naturel en moyenne 10% moins élevés que les tarifs réglementés. Mais ces prix bas ne sont pas garantis dans la durée ou ils le sont moins quand le consommateur choisit la sécurité d'une offre à prix bloqué sur trois ans. Les tarifs réglementés, qui ont baissé de 12,3 % depuis le 1er janvier 2015 selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE), avaient le mérite de stimuler la concurrence.

Mais rien ne dit que, sans cette jauge des tarifs réglementée, les fournisseurs ne vont pas réaugmenter progressivement leurs tarifs pour récupérer les marges perdues lors de leur phase de conquête de clientèle. D’autant que le marché du gaz est ultra-dépendant (à 97%) des importations de la mer du Nord (Norvège), de Russie et d’Algérie et corrélé au prix du baril de pétrole. Soumis au soubresaut des crises géopolitiques et énergétiques, le marché du gaz est loin d’être celui des télécoms, où un acteur comme Free a pu casser les prix et entraîner tout le monde à la baisse.

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