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Dans l'espace, "personne n’est prêt à payer pour se débarrasser des poubelles"

Une vue des débris qui gravitent autour de la Terre.

Une vue des débris qui gravitent autour de la Terre. - ESA

Alors que la station spatiale chinoise Tiangong-1 va retomber sur la Terre à la fin du mois, la question des déchets spatiaux toujours on orbite est encore très loin d’être réglée.

Evidemment, on est toujours plus inquiet par ce qui risque de nous tomber sur le coin de la tête. C’est le cas avec Tiangong-1: incontrôlable depuis fin 2016, la station spatiale chinoise devrait se désintégrer pour partie dans l’atmosphère, les débris restants étant attendus dans une très large bande autour de la planète, entre le 29 mars et le 3 avril.

Or, la question reste entière quant au sort de ces déchets qui ne retombent pas tout de suite: on les appelle les débris spatiaux, et ils commencent à poser de sérieux soucis.

"Un débris de 1mm a la même énergie qu’une boule de bowling lancée à 100km/h"

"On estime qu’il y a 30.000 objets de plus de dix centimètres, dont 20.000 qu’on a catalogués", détaille Christophe Bonnal, spécialiste de ces sujets au Centre national d'études spatiales (Cnes). "Et plus on descend en taille, plus il y en a. On estime qu’il y a 750.000 objets de plus d'un centimètre. Et 150 millions de plus d'un millimètre". Avec un risque assez simple à imaginer, celui d’endommager voire de totalement détruire tout ce qui se trouve en orbite.

"Un débris de 1 millimètre a la même énergie qu’une boule de bowling lancée à 100 km/h. Un objet de 1 centimètre, c’est une Laguna à 130km/h", explique Christophe Bonnal.

"Même si on arrêtait d’envoyer des objets dans l’espace, le nombre de débris continuerait à augmenter. Parce que les collisions génèrent des fragments, qui entraînent des collisions, qui créent des fragments, et ainsi de suite", explique Fatoumata Kebe, docteur en astronomie à l’Observatoire de Paris, dont la thèse porte sur le sujet. "Si vous avez vu Gravity, le film d’Alfonso Cuaron, vous voyez exactement de quoi on parle: les spécialistes appellent ça le syndrome de Kessler, quand chaque impact peut déclencher un effet en cascade. Ce qu’on souhaite nettoyer en priorité, c’est l’orbite basse, comprise entre 200 et 2000 kilomètres". C’est justement celle de la Station spatiale internationale (ISS), qui a dû manœuvrer cinq fois en 2015 pour éviter les dégâts, explique Christophe Bonnal sur le site du Cnes.

Vers une partie de "pêche au gros" dans l'espace

Le moment est donc venu pour un grand nettoyage, et les initiatives ne manquent pas. RemoveDEBRIS, E.Deorbit, CleanSpace One… Tous ces programmes travaillent pour tenter de nettoyer l’espace. "Beaucoup de ces technologies sont inspirées de la pêche au gros: filets, harpons, grappins. Il y aussi des choses plus conventionnelles: une sorte de chasseur équipé d’un bras robotique qui va capturer un gros débris, puis qui va après rallumer sa propulsion pour le faire retomber dans le Pacifique", raconte Christophe Bonnal. L'Agence spatiale européenne (ESA) travaille également au programme Clean Space, qui développe actuellement "toutes les technologies nécessaires pour faire une démonstration de désorbitation sur Envisat, un satellite de huit mètres de long et qui pèse huit tonnes".

Problème, "ces projets sont à l’état de recherche et développement. Ça coûte très cher et ça ne rapporte rien, alors qu’on connaît le risque", regrette Fatoumata Kebe. "J’allais dire qu’il y a un business énorme… Non, il y a une activité énorme à faire", reprend Christophe Bonnal. "Il y a plein de start-ups qui disent ‘je suis génial, il suffit de me financer’. Sauf qu’il n’y a pas de business plan, personne n’est prêt à payer pour se débarrasser des poubelles". Une des solutions réside dans le développement des space tugs, des véhicules orbitaux multi-services, qui serviraient également à la maintenance générale des satellites, et permettraient donc de mutualiser les coûts.

Toujours plus de débris autour de la Terre

En attendant, la solution la plus simple reste sans doute d’appliquer à l’espace une sorte de politique de développement durable. La France a d’ailleurs été le premier pays à légiférer sur le sujet, en votant en 2010 la Loi sur les opérations spatiales: "Elle oblige les opérateurs à faire rentrer leurs objets au bout de 25 ans en orbite", explique Fatamouta Kebe. Un satellite en fin de vie mais encore manœuvrable peut alors être facilement orienté vers une zone dédiée, comme le point Némo, dans le Pacifique sud, où s’est abîmée la station MIR.

Sauf que les règles sont encore très mal suivies au niveau mondial, alors que la conquête spatiale privée et le développement des micro-satellites ne fait qu’augmenter la densité d’objets en orbite.

"Il y a à peu près 50% des opérations qui respectent les recommandations. Et dans les zones orbitales les plus critiques, au-dessus de 600 kilomètres, il n’y a que 20% des opérations qui sont conformes. Tant qu’on n’a pas fait ça, ça ne sert à rien de faire autre chose", prévient Christophe Bonnal.

Antoine Maes