Récit

Meurtre de Mireille Knoll : l'effroi général

Deux hommes ont été mis en examen pour le meurtre, vendredi à Paris, d’une octogénaire juive. Le caractère antisémite retenu par le parquet rappelle l’affaire Sarah Halimi, en avril 2017. Une marche blanche est prévue ce mercredi.
par Emmanuel Fansten
publié le 27 mars 2018 à 20h46

Tuée en France parce que juive ? La justice a immédiatement retenu le caractère antisémite dans l’enquête sur l’assassinat de Mireille Knoll, 85 ans, retrouvée morte vendredi à son domicile parisien, le corps lardé de plusieurs coups de couteau et en partie calciné. Handicapée et atteinte de la maladie de Parkinson, l’octogénaire avait échappé en 1942 à la rafle du Vél d’Hiv en s’enfuyant de Paris avec sa mère.

Lundi soir, deux hommes ont été mis en examen pour «homicide volontaire» à caractère antisémite et «vol aggravé», avant d'être placés en détention provisoire. L'un deux, Yacine M., 29 ans, n'était autre que le voisin de la victime, à qui il rendait visite régulièrement depuis son enfance. Connu notamment pour des faits de viol, condamné en 2017 pour avoir agressé sexuellement la fille de l'ancienne aide à domicile - alors âgée de 12 ans - de Mireille Knoll, l'homme venait de passer huit mois en prison. «Le jour même, il était là, amical avec ma mère, il buvait du porto», a témoigné un des fils de la victime sur la chaîne i24News.

Contradictoires

L'autre suspect écroué, Alex C., est un SDF de 21 ans connu pour des vols avec violence, qui se trouvait dans l'appartement de Mireille Knoll le jour du meurtre. En garde à vue, il a expliqué que Yacine M., rencontré en prison, tenait régulièrement des propos antisémites et aurait crié «Allah Akbar» au moment de passer à l'acte. Mais face aux enquêteurs du 2e DPJ (district de police judiciaire), les versions des deux hommes sont apparues contradictoires, chacun renvoyant sur l'autre la responsabilité des coups mortels. Niant catégoriquement les faits, Yacine M., alcoolisé au moment du meurtre, a rejeté toute accusation d'antisémitisme. Mais c'est précisément parce qu'il ne pouvait ignorer la confession de sa voisine que le parquet a ouvert une information judiciaire pour «assassinat en raison de l'appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion», confiée à deux juges d'instruction. A ce stade, l'hypothèse d'un crime crapuleux est privilégiée par les enquêteurs, bien que le vol visant une personne en état de faiblesse apparaisse comme un mobile en total décalage avec le train de vie modeste de Mireille Knoll. Depuis la mort de son mari, un survivant d'Auschwitz, elle vivait seule au deuxième étage d'un immeuble HLM du XIe arrondissement de Paris. Un endroit habituellement calme et sans histoire, selon le voisinage.

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Ce drame ravive la mémoire d'une autre femme juive sauvagement assassinée à Paris en avril 2017, Sarah Halimi, 65 ans, rouée de coups avant d'être défenestrée par son agresseur, au cri d'«Allah Akbar». Après un an d'enquête et de bras de fer judiciaire, le caractère antisémite du meurtre avait finalement été retenu par la juge d'instruction, le parquet ayant lui même tergiversé plusieurs mois avant d'ordonner un supplétif.

«Barbarie»

Cette fois, la justice ayant d'emblée retenu cette qualification, l'affaire a aussitôt pris un tour politique. «Crime épouvantable» pour Emmanuel Macron, «acte de barbarie» pour Gérard Collomb, «assassinat ignoble» pour Laurent Wauquiez, le meurtre de Mireille Knoll cristallise une inquiétude profonde au-delà des traditionnels clivages politiques. A l'exception du Rassemblement national (ex-Front national), dont plusieurs organisateurs ont dit ne pas souhaiter la présence, tous les partis ont annoncé leur participation à la marche blanche qui se déroulera ce mercredi à l'appel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et de plusieurs autres associations. «Si nos amis chrétiens, musulmans, noirs, protestants, si tout le monde vient… Ce sera montrer au monde qu'on n'est pas prêt à se résigner à la barbarie, d'où qu'elle vienne», a lancé un des fils de Mireille Knoll au micro de RTL. D'autres initiatives du même type sont prévues dans plusieurs villes de France.

Au sein de la communauté juive, de nombreuses voix s’élèvent aussi pour s’inquiéter des nouvelles formes d’un antisémitisme banalisé et toujours meurtrier. Si le nombre d’actes antisémites a de nouveau reculé en 2017, les chiffres restent très élevés : la communauté juive, qui représente moins de 1 % de la population, est la cible d’un tiers des actes haineux recensés dans le pays. Depuis 2006 et l’assassinat d’Ilan Halimi par le «gang des barbares», onze personnes ont été tuées en France parce que juives.

Photo Christophe Maout

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