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Agriculture

La double vie d’Antoine, paysan et instituteur

Dans le Pas-de-Calais, Antoine Gomel exerce le métier d’instituteur les deux premiers jours de la semaine. Les autres, il élève des poulets bio et des bœufs. Un équilibre qui lui fait voir l’existence avec sérénité.

  • Wierre-Effroy (Pas-de-Calais)

Attablé face à une large fenêtre qui lui offre le décor naturel d’une campagne vallonnée et verdoyante, il corrige les copies de ses élèves de CE1 et CE2. Antoine Gomel exerce le métier de professeur des écoles dans un petit village du Pas-de-Calais, Marconne, proche d’Hesdin et distant d’une soixantaine de kilomètres de la ferme familiale (dite « Ferme de la Caud »), située à Wierre-Effroy (Pas-de-Calais), dans laquelle il habite avec son épouse et leurs deux fillettes.

Instituteur le lundi et le mardi, il se mue en paysan le reste de la semaine. Fils d’un éleveur de bovins et d’une assistante sociale attachée à son indépendance, Antoine Gomel disposait familialement d’un savoir-faire agricole : « Je pouvais traire les vaches, dit-il, et avec mon frère, lorsque nous étions adolescents, nous remplacions notre père qui s’octroyait, chaque année, quinze jours de vacances en compagnie de notre mère. » Toutefois, jeune adulte, il était attiré par l’atmosphère de la ville, où il se sent plus libre. « À cette époque-là, poursuit-il, je n’étais pas très branché sur l’agriculture ! »

Une fois le baccalauréat ES obtenu, il a commencé en 2000 — et terminé avec succès — une licence AES (administration économique et sociale) dont la troisième année a été accomplie en Allemagne dans le cadre du dispositif Erasmus. Il a obtenu sans beaucoup de motivation une maîtrise de ressources humaines, orientation professionnelle dont il s’est détourné car ne correspondant pas à ses convictions profondes. L’enseignement de l’allemand l’inspirait davantage mais le peu de postes offerts au concours du Capes l’a découragé. À 23 ans, Antoine Gomel fut alors sollicité par le Mouvement rural de la jeunesse chrétienne (MRJC) pour assurer, durant trois ans, la fonction de permanent local de cette association.

« Mon père souhaitait bien vivre, sur une petite ferme et surtout ne pas s’agrandir » 

« Entièrement géré et animé par des jeunes âgés de 13 à 30 ans, le MRJC favorise les expériences d’engagement et de citoyenneté pour les jeunes ruraux », explique Antoine Gomel. En effet, c’est au travers de nombreux projets comme l’animation des fêtes de villages, l’organisation d’échanges internationaux ou encore l’accompagnement à l’installation agricole que le MRJC est devenu, selon ses initiateurs, un outil d’émancipation et de transformation de la société. « Grâce à cette association, je me suis reconnecté au monde rural. Je voyais que des projets alternatifs, “de gauche” se montaient. Des questionnements sur l’éducation, sur l’évolution de l’agriculture, sur la place du bio voyaient le jour. Mon avenir, ajoute-t-il, allait probablement se construire selon deux axes : l’enseignement et le retour à la terre. »

Antoine Gomel devant la ferme familiale.

Une amie institutrice l’a alors invité à observer le travail qu’elle accomplissait au sein de sa classe. « Ça m’a plu ! dit Antoine Gomel. J’ai passé le concours de professeur des écoles et je l’ai réussi ! » Un premier poste difficile lui est proposé dans une Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté) dans laquelle les élèves connaissent de grosses difficultés. « J’aime bien les enfants mais en milieu scolaire, il faut faire preuve de beaucoup de créativité. Je ne me voyais pas continuer ce métier à temps plein. »

Pratiquant l’élevage laitier sur herbe, le père d’Antoine Gomel s’apprêtait, à cette époque, à faire valoir ses droits à la retraite. « Il n’a jamais exercé la moindre pression sur ses quatre enfants, remarque Antoine, mais il souhaitait que l’un d’entre eux reprenne la ferme. » Celle-ci, de taille modeste (24 hectares, une trentaine de vaches), a fait l’objet d’investissements peu importants et raisonnablement gérés. « Mon père, dit-il fièrement, a participé à la création de la Confédération paysanne locale. Il a toujours défendu le principe de l’autonomie (comme ma mère, ma foi !), il ne voulait pas dépendre des marchands, il était déjà, en quelque sorte, dans un système alternatif. Il souhaitait bien vivre, sur une petite ferme et surtout ne pas s’agrandir. D’ailleurs, la surface agricole est quasiment identique depuis trois générations. »

 « En bio, la devise est mieux vaut prévenir que guérir »

Durant les dernières années de sa vie active, M. Gomel père s’est orienté vers la production de viande et a abandonné l’élevage laitier. Cette démarche a séduit Antoine, lequel y a associé l’élevage de poulets, en suivant les exigences de l’agriculture biologique.

Antoine Gomel et ses veaux.

Lors de la naissance de sa première fille, en 2014, il a sollicité un congé parental et est devenu « papa poule » car son épouse ne pouvait pas suspendre son activité professionnelle. « Papa poule » mais aussi éleveur de poulets, puisque le démarrage du premier poulailler de 200 unités a été lancé cette année-là. Deux autres ont vu le jour un peu plus tard. La production annuelle est aujourd’hui de 1.400 poulets bio, vendus auprès d’un magasin de Boulogne-sur-Mer, d’Amap locales, de groupements d’achats, les ventes directes à la ferme assurant l’appoint.

Au sujet des maladies qui frappent les volailles, Antoine Gomel démontre que le petit élevage bio apporte davantage de sécurité. « En bio, la devise est mieux vaut prévenir que guérir. Une nourriture saine protège les poulets et j’expérimente, en cas de besoin, des remèdes à base de plantes. L’an dernier, malheureusement, j’ai perdu 50 poulets sur les 200 présents à la ferme. La perte fut regrettable mais, en définitive, pas trop douloureuse. En vérité, le petit nombre de volailles freine la propagation de la maladie, contrairement à ce qui se passe dans les élevages industriels », affirme-t-il.

Le cahier des charges de l’agriculture biologique impose l’abattage des poulets après 81 jours. Ceux d’Antoine Gomel ont une espérance de vie un peu plus longue, puisqu’ils sont conduits à l’abattoir après un séjour de 13 semaines à la Ferme de la Caud. Ils pèsent alors en moyenne 1,8 kg.

L’élevage des poulets vient donc compléter celui des bœufs. Des veaux sont achetés dans le voisinage et sont élevés durant trois ans. À la belle saison (de mi-avril à la mi-novembre), les bovins mangent de l’herbe, situation exceptionnelle dans la région. « Je ne suis pas mécontent de cette diversification, remarque l’instituteur-paysan. Comme les anciens, je ne mets pas tous mes œufs dans le même panier, de sorte que mon revenu de paysan est garanti. Certes, je ne suis pas en bio pour les bœufs et je le regrette. Mais je réfléchis et je me dis qu’il faut franchir les étapes les unes après les autres. Après tout, je déverse peu d’engrais sur les pâtures, situées autour de la ferme. Les bœufs s’y rendent tranquillement et ne connaissent pas le stress du déplacement automobile. »

Il réalise, également en amateur, le brassage d’une bière à l’aide de malt

Antoine Gomel préserve la biodiversité des 24 hectares que compte son exploitation. Il protège les mares, plante des arbres ainsi que des haies d’essences locales. Les volailles les apprécient, car cette végétation les protège des coups de vent, fréquents dans la région.

Les semaines de travail de l’instituteur-éleveur sont copieusement remplies. Un minimum de 50 heures, dont 20 réalisées à l’école primaire et 30 à la ferme, auxquelles il convient d’ajouter les déplacements vers l’abattoir ainsi que les livraisons auprès des partenaires, qui alourdissent, sept fois par an, la charge de travail. Heureusement, il peut compter sur son père pour l’épauler et le remplacer quand il est à l’école. Il réalise, également en amateur, le brassage d’une bière à l’aide de malt produit en région.

Comment ont réagi ses élèves lorsqu’il leur a annoncé qu’il était aussi paysan ? « Ils ne m’ont pas cru, soupire-t-il. Et quand je leur ai demandé pourquoi, ils m’ont répondu : “Mais Monsieur, vous ne sentez pas mauvais !” »

Antoine Gomel analyse sa situation professionnelle avec sérénité : « Je ne veux pas produire pour produire car il est important de sauvegarder la vie de famille. Nous prenons 15 jours de vacances l’été et nous nous évadons durant un weekend, chaque année. » Des deux activités, agricole ou scolaire, laquelle préfère-t-il ? « J’estime avoir trouvé un bon équilibre. Travailler exclusivement à l’école ne me conviendrait pas et si j’étais tous les jours à la ferme, les élèves me manqueraient. De plus, le contact auprès d’enfants issus de milieux souvent défavorisés me permet de rester confronté à la dure réalité sociale. » En définitive, l’instituteur-paysan-éleveur sollicite ses facultés manuelles et intellectuelles, privilégie la polyvalence à la spécialisation et sacrifie la quantité au profit de la qualité !

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