Daniel Duigou. «Les religions se recroquevillent»

Par Propos recueillis par Philippe Minard/ALP

Ancien journaliste, Daniel Duigou est devenu prêtre sur le tard. Admiratif du pape François, il constate cependant son isolement au sein des cardinaux et plaide pour une ouverture de l'Église sur le monde réel.

Daniel Duigou. «Les religions se recroquevillent»
(Photo PQR/Le Parisien)


Votre rencontre avec le pape François vous a chamboulé au point d'écrire un livre (1). Pourquoi ?
J'ai rencontré un homme remarquable. C'est un homme libre au coeur du système. Intérieurement libre. Il s'est libéré d'un certain nombre de pressions et ce n'est par pour rien qu'il est allé s'installer à Sainte-Marthe (2). Il ne veut pas non plus utiliser l'image du père qui décide pour les autres. C'est aussi un moyen pour éviter que le système pense à sa place. J'ai senti chez cet homme une grande proximité.

La lettre d'un curé au pape François, c'est l'appel de la base au pouvoir ?
Absolument ! Tout de suite, il a voulu savoir comment on vivait les choses sur le terrain et sa première question a été : « Vous qui êtes à Saint-Merri, que dites-vous aux divorcés remariés ? ». Il faisait appel à une expérience. L'Église de demain ne peut avancer qu'en acceptant de faire de nouvelles expériences.

Le pape François est un homme seul ?
Oui. Deux faits l'illustrent. Quelques jours avant Noël, il s'adresse aux cardinaux et leur dit : « Vous êtes des traîtres ! ». Cela signifie qu'au plus haut niveau, il rencontre une énorme résistance. Il éprouve une certaine impuissance. Ses nerfs ont lâché, l'empêchant de garder la sérénité nécessaire à tout homme exerçant le pouvoir. En leur parlant de la sorte, il va encore plus se mettre les cardinaux à dos qui attendent le prochain pape en se disant « nous, on reste mais lui passera ». Autre fait marquant, le sondage récent, paru dans le Figaro, qui montre que l'image de François baisse chez les pratiquants. Les résistances s'organisent donc à la base.

Comment expliquez-vous cela ?
Comme dans toutes les populations, l'évolution du monde - comme l'arrivée des nouvelles technologies - suscite une peur grandissante et les religions se recroquevillent. Je l'entends du côté des juifs, des musulmans et des chrétiens. Les religions servent de refuge à ceux qui veulent revenir à des certitudes. Cela ne se raisonne pas, c'est de l'ordre de l'inconscient et c'est archaïque.

L'Église est archaïque dans son fonctionnement ?
Face à l'évolution du monde, le grand danger pour l'église catholique, c'est de revenir à un certain conservatisme. Et la rupture avec François est bien là ! On a un pape qui est sur cette ouverture, qui pourrait surfer sur la vague de la modernité mais qui doit faire face à des religieux tournant le dos à l'aventure. En ce sens, le pape François n'est hélas pas représentatif de la pensée de son Église. Aujourd'hui, partout dans le monde, l'appel à la liberté fait peur. Les gens veulent un père protecteur qui les rassure.

Vous expérimentez et prônez des « pratiques signifiantes pour coller à la réalité ». Cela se traduit comment ?
Un des sujets qui fait l'actualité aujourd'hui, c'est la relation entre les hommes et les femmes. Le silence radio de l'épiscopat sur ce sujet fondamental, puisqu'il s'agit de relations humaines, est terrible. Pourquoi l'Église se tait alors qu'elle devrait avoir un message à faire passer ? Parce qu'elle est elle-même en contradiction dans sa façon de traiter les femmes. Au Vatican, les religieuses se rebiffent ! Ce décalage avec la réalité décrédibilise sa parole. Je souhaite une église plus moderne, avec la nécessité d'ordonner des hommes mariés. Le célibat, c'est une vocation. Ce ne doit pas être une obligation. J'ai aussi parlé au Pape de la bénédiction des homosexuels, ce qui ne lui pose aucun problème. Mais il est plus facile d'en parler au Pape qu'à certains paroissiens...

Associer les paroissiens aux décisions de l'église, c'est de l'autogestion ?
Il faut rappeler que la paroisse de Saint-Merri est un laboratoire qui a été voulu par le cardinal Marty, il y 40 ans. Il s'agit de faire l'expérience d'une nouvelle Église où le curé ne décide pas pour les autres. Une équipe composée de paroissiens - hommes et femmes, prêtres et laïcs - a été élue démocratiquement et décide ensemble de la pastorale. C'est cela qui m'autorise à m'adresser au pape.

N'avez-vous pas l'impression d'être un marginal ?
Je ne me sens pas marginalisé car je suis soutenu par les évêques dont je dépends. L'Église n'est Église que si elle s'invente tous les jours. Je suis militant d'une Église qui s'invente. Le grand danger de l'Église, c'est de devenir une secte. L'Église, si elle n'évolue pas, peut perdre sa parole et sa place dans la société.

Vous êtes le seul curé de France à avoir pris position en appelant à voter Macron avant le second tour de l'élection présidentielle. L'Église doit-elle plus s'engager ?
L'Église ne peut pas ne pas s'engager dans l'avenir du monde. Le silence des évêques entre les deux tours en a étonné plus d'un. Notre appel pour voter Macron c'était d'abord un appel pour voter contre Le Pen, un choix qui engage notre façon d'être ensemble.

Comme passe-t-on de la télévision (3) à l'Église ?
Je suis issu d'une famille très modeste où je développais des difficultés importantes. Dans cette enfance-là, j'ai rencontré un être exceptionnel qui était un prêtre et une dame exceptionnelle, la dame du catéchisme. Ce prêtre a été un substitut de père. Et j'ai structuré toute ma vie dans le désir de devenir prêtre. En mai 68, je commence mes études d'économie et je rencontre des journalistes du Monde sur le campus et je vois à quel point il est essentiel de raconter et traduire les événements aux lecteurs. J'avoue que l'idée d'entrer au séminaire me donnait peur de quitter le monde. Alors j'ai fait journaliste puis curé, deux sacerdoces.

1. Lettre ouverte d'un curé au pape François. (Presse de la Renaissance). 125 pages 10 €.
2. Résidence à l'écart du Vatican.
3. Ancien journaliste à France Inter, TF1, France 2 et France 5.

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