Les sages du Conseil d’Etat ont l’habitude de donner leur avis dans des termes courtois. Mais, cette fois-ci, ils se sont lâchés sur le projet de loi contre la fraude fiscale, présenté par le ministre du budget Gérald Darmanin, le 28 mars. "La création d’un second service d’enquête judiciaire fiscale hors du ministère de l’intérieur ne serait pas conforme aux impératifs de bonne administration et susciterait de sérieux problèmes de concurrence entre services et de coordination de leurs interventions", écrivent les juristes du Palais Royal.
Challenges a déjà raconté la guerre picrocholine entre Bercy et le ministère de l’Intérieur autour de l’actuelle Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). Une unité d’élite rattachée à la police judiciaire, qui a notamment traité l’affaire Cahuzac. Le combat a pris fin officiellement cette semaine avec la création d’un deuxième service d’enquête spécialisée sur la fraude fiscale, dans le giron de Bercy. Un arbitrage décidé au plus haut sommet de l’Etat, qui ne plait pas vraiment aux esprits cartésiens du Conseil d’Etat.
Dans leur avis, publié au journal officiel, le Conseil fait ainsi remarquer que le nouveau service de Bercy aura des compétences identiques à la BNRDF et qu’aucun texte n’est prévu pour "introduire des éléments de spécialisation". Les services de Gérald Darmanin se défendent en affirmant que les affaires à dimension purement fiscale seraient en souffrance à la BNRDF car la culture policière y dominerait, et ce malgré la présence d’inspecteurs des impôts au sein de la brigade. Dans l’étude d’impact du projet de loi, dont le Conseil souligne qu’elle présente des "insuffisances", Bercy avance ainsi qu’il faudrait réserver à la BNRDF les dossiers comportant aussi d’autres infractions comme la corruption ou l’escroquerie.
C’est peu dire que ces arguments n’ont guère convaincu les sages, qui écrivent: "le Conseil d’Etat n’est pas convaincu de la nécessité de créer un nouveau service d’enquête et n’a pas compris pourquoi dans un souci de bonne administration, n’était pas retenue l’option consistant à renforcer le service existant".