Enquête inédite sur la « tentation radicale » des lycéens

Lancée dans la foulée des attentats du 13 novembre 2015, l’enquête que publient ce jour-là politologue Anne Muxel et le sociologue Olivier Galland est intéressante à au moins trois égards.

D’abord, par l’importance de l’échantillon enquêté : près de 7 000 lycéens ont été interrogés. Ensuite par son objet, puisqu’elle étudie non pas la radicalisation ou le passage à l’acte violent, mais, de façon plus générale, « le degré d’attractivité des idées radicales, religieuses et politiques, sur la jeunesse », explique Anne Muxel. Il s’agit d’objectiver « le degré d’acceptation et de justification » des comportements radicaux, c’est-à-dire des comportements en « rupture avec le système politique, économique, social et culturel, les normes et mœurs en vigueur ».

Des écarts importants et « significatifs »

Elle l’est enfin par ses résultats, notamment ceux portant sur la radicalité religieuse et la justification de la violence qu’elle peut entraîner. L’enquête révèle en effet des écarts importants et « significatifs » entre les élèves se déclarant musulmans et les autres. Ainsi, 81 % des lycéens musulmans estiment que c’est « plutôt la religion qui a raison sur la question de la création du monde », alors qu’ils ne sont que 27 % parmi les chrétiens et 35 % des jeunes d’autres religions. De même, 35 % des musulmans considèrent qu’il y a « une seule vraie religion », alors qu’ils ne sont que 10 % des chrétiens à le penser. Concernant la violence, 20 % des musulmans déclarent acceptable, dans certains cas, de « combattre les armes à la main pour sa religion », contre 9 % pour les chrétiens et 13 % pour les autres religions.

Analysant ces résultats, les chercheurs montrent, et c’est aussi inédit que sensible, qu’il y a un « effet spécifique de la confession musulmane » à la fois sur l’absolutisme religieux et sur la justification de la violence au nom de la religion. « Comparés aux chrétiens, les musulmans que nous avons interrogés sont cinq fois plus souvent absolutistes et deux fois plus souvent prêts à justifier la violence religieuse, écrivent les auteurs. Cet effet n’est en rien affecté par la prise en compte des variables socio-économiques. »

Seules deux variables viennent moduler l’effet de la religion, sans en effacer l’aspect spécifique : le sentiment de discrimination accroît l’absolutisme religieux chez les garçons ; la tolérance à la violence de façon générale renforce l’adhésion à la violence religieuse. « Ces trois facteurs combinés peuvent expliquer l’adhésion à la radicalité religieuse et violente », analyse Anne Muxel.

« La radicalité est bien installée dans notre jeunesse »

Outre la radicalité religieuse, l’enquête livre aussi des conclusions édifiantes concernant le regard des élèves sur les attentats de 2015 – un quart ne condamnent pas totalement les auteurs des attentats –, leur rapport à la protestation politique ou encore leur adhésion massive aux théories du complot. « La radicalité est bien installée dans notre jeunesse, même si elle est loin d’y être majoritaire », concluent les auteurs.

Inédite par son ampleur, cette étude comporte néanmoins des limites. À commencer par l’échantillon, volontairement biaisé : « Nous avons sélectionné des régions où des comportements radicaux avaient été relevés et dans ces régions, nous avons choisi des quartiers sensibles, assume Olivier Galland. Le but n’était pas d’avoir une vision extrapolable de la radicalité. Les écarts statistiques que l’on révèle sur notre échantillon nous semblent néanmoins significatifs. »

Le public enquêté est par ailleurs très jeune, ce qui peut expliquer la radicalité (ou l’immaturité ?) de certaines réponses. Cette jeunesse peut aussi expliquer, au moins en partie, le faible impact du sentiment de discrimination et des conditions socio-économiques sur les réponses, ces jeunes n’ayant pas été confrontés au marché du travail, au chômage, etc.

Enfin, au-delà de la radicalité religieuse et violente, les auteurs pointent globalement une « montée de la religiosité » chez les jeunes musulmans, un phénomène de « grande ampleur » mais dont ils n’expliquent ni les ressorts, ni les conséquences dans la vie de ces jeunes. « Lancer une recherche approfondie sur les lycéens musulmans et leur rapport spécifique à la religion serait une très bonne chose », relève Anne Muxel.

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Un échantillon non représentatif

6 814 lycéens scolarisés en classe de 2nde ont été interrogés dans une vingtaine de lycées de quatre régions. Un échantillon « socialement diversifié », mais qui « surreprésente les jeunes d’origine étrangère et de milieu populaire », précisent les auteurs. 52 % des interrogés sont des garçons, 58 % sont nés en France de parents français, 24 % se déclarent chrétiens, 26 % musulmans.