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Le choc des cyberpuissances

Les Gafa ne croissent globalement pas aussi vite que leurs concurrents chinois, Tencent, Alibaba et Baidu. Un jour les courbes vont se croiser. Suspense ?

Par Sabine Delanglade

Publié le 3 avr. 2018 à 14:59

La Chine a inventé la poudre à canon, la bande des Quatre se sent visée. Google, Apple, Facebook, Amazon - les Gafa - ne sont pas seulement en train de découvrir l'exaspération que leurs pratiques quasi totalitaires suscitent chez leurs clients. Derrière la Grande Muraille, ils pensaient n'avoir que des challengers. Avec les nouveaux dragons chinois Baidu, Alibaba, Tencent - les BAT -, ils découvrent des concurrents de très haut niveau qui pourraient bien, un jour, leur damer le pion.

En effet, les courbes de leur valeur boursière et de leur activité croissent pour la plupart plus vite que celles de leurs pairs américains. Point n'est donc besoin d'avoir inventé la boussole, autre trouvaille chinoise, pour comprendre que ces courbes-là sont appelées à se croiser.

Elles ont déjà commencé à le faire. En novembre dernier, Tencent a rejoint Facebook en Bourse puis l'a dépassé, franchissant la barre des 500 milliards de dollars. Alibaba est en passe aussi de rejoindre le club très fermé des cinq groupes valant plus de 500 milliards (Apple, Amazon, Google, Microsoft et Tencent). Facebook, lui, en est sorti. Côté bénéfices, ceux d'Alibaba sont presque quatre fois supérieurs à ceux d'Amazon. Bien sûr, le poids des Gafa reste encore bien supérieur, le chiffre d'affaires d'Amazon égale six fois celui d'Alibaba, Google représente dix Baidu en chiffre d'affaires, mais la tendance est là. « Il est grand temps que la Silicon Valley devienne paranoïaque », écrit « The Economist ».

Des écosystèmes fermés

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Vous ne connaissez pas Tencent ? Tous les jours, 50 millions de joueurs sont connectés sur son jeu vidéo vedette « Honor of Kings », et il est impossible de vivre, payer, jouer, s'envoyer des messages en Chine sans son application WeChat. Celle-ci a 1 milliard d'utilisateurs. Ce ne sont pas les seules activités de Tencent, mais cela donne une idée de sa force de frappe. Celle-ci est aussi une force de proposition. Alibaba, outre son gigantesque réseau d'e-commerce, possède aussi la première plate-forme de vidéo en ligne, une banque (Ant Financial), un système de paiement (Alipay). « Autrement dit, insiste Nicolas de Bellefonds, associé au BCG, ils deviennent vraiment des écosystèmes fermés, on peut passer sa journée entière sans sortir de leur plate-forme. »

C'est cette ubiquité et l'immense potentiel de son marché qui font de l'Internet chinois un précurseur. Faute de réseaux de distribution en « dur », la Chine est passée directement à l'e-commerce et même au m-commerce. De son retard, elle a fait un atout. Ses 8.500 milliards de dollars de paiements sur mobile représentent 70 fois ceux des Etats-Unis. « Si l'on veut avoir une vision de ce que sera Internet dans l'avenir, il faut regarder ce qui se passe en Chine », résume Nicolas de Bellefonds.

Avec 4,6 millions de récents diplômés en sciences et techniques, pour la plupart ingénieurs, il ne lui manque pas un bouton de guêtre pour se lancer dans la guerre technologique. Le pays dispose aussi à profusion des munitions qui vont l'alimenter, c'est-à-dire les milliards de données qui sont la matière première de l'intelligence de demain, l'intelligence artificielle. Tencent, Baidu ou Alibaba en ont plein leur caverne.

Des données à profusion

Foin de la vie privée. Avec 170 millions de caméras « intelligentes » déjà installées, 600 d'ici à 2020, le marché de la reconnaissance faciale est à portée de main. Autant dire que lorsque Xi Jinping se voit en cyberpuisssance, affirme que d'ici à 2025 son pays dominera l'intelligence artificielle, on peut penser que cette date viendra rejoindre celles des avancées clefs de l'Internet chinois telles que les a recensées le BCG. Cela ressemble à un Blitzkrieg.

Dès 2008, les utilisateurs chinois d'Internet ont dépassé les Américains (253 millions contre 220). En 2013, le volume de transactions réalisé sur Alibaba (248 milliards) a été supérieur à celui d'Amazon et eBay réunis ; en 2014, il a atteint 490 milliards, surclassant celui de Walmart. Avec un total de 165,6 milliards de dépôts, Yu'e Bao, appartenant à Ant Financial, est devenu en 2017 le plus grand fonds monétaire au monde devant JP Morgan. L'idée géniale était de permettre aux Chinois de capitaliser l'argent restant sur leurs comptes mobiles Alipay après des achats en ligne.

Si les courbes se croisent, il faudra aussi croiser le fer. Mais où ? A domicile, c'est difficile. C'est en empêchant les Gafa d'entrer chez elle que la Chine a permis aux siens de se développer - essayez de consulter votre compte Facebook à Pékin ! Le libéralisme américain ne va pas non plus jusqu'à laisser ses portes grandes ouvertes. Le singapourien Broadcom le sait bien, empêché par l'administration Trump d'acheter Qualcomm, le géant américain des puces électroniques, comme Huawei dont les équipements sont bannis outre-Atlantique.

Alors, la bataille aura-t-elle lieu en Europe ? Laurent Alexandre, le héraut de l'intelligence artificielle, peste : « L'Europe est toute nue face aux Gafa et aux géants chinois. » Faute de s'unir et se défendre comme l'a fait la Chine, le Vieux Continent n'est pas un combattant, juste un champ de bataille déjà largement occupé par les Américains.

De Charybde en Scylla

La dégradation de l'image des Gafa, accusés de s'approprier les données, ne pas payer d'impôts, pourrait être une chance pour la Chine qui jouerait le « good cop ». Mais le poids du contrôle des entreprises chinoises par leur gouvernement fera sans doute craindre à leurs clients de tomber de Charybde en Scylla. Ils n'auront pas forcément tort. Reste les pays émergents - et là, les positions sont à prendre. En Inde, en Afrique, les Gafa ont jeté des filins mais ce ne sont pas encore des filons.

Rien n'est donc joué car les plates-formes chinoises, jusque-là très tournées vers l'intérieur, ne comptent pas rester inactives. Elles ont déjà fait pas mal d'emplettes et, en Afrique comme en Asie, leur pays a montré un certain savoir-faire en matière d'influence et d'implantation. Si elles y deviennent les plates-formes de référence, elles couvriront mécaniquement les 4/5e de la population mondiale. Ca fait beaucoup.

Sabine Delanglade

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