Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Brésil : l’incarcération de l’ex-président Lula approuvée par la Cour suprême

Par six voix contre cinq, les juges ont rejeté sa demande d’habeas corpus. L’ancien chef de l’Etat a été condamné à plus de douze ans de détention pour corruption en janvier.

Par  (Sao Paulo, correspondante)

Publié le 05 avril 2018 à 05h39, modifié le 09 avril 2018 à 13h18

Temps de Lecture 4 min.

L’ancien président brésilien Lula, à Sao Paulo, le 22 février.

Il était un peu plus de 14 heures, mercredi 4 avril, quand l’ancien chef d’Etat a quitté son appartement de Sao Bernardo do Campo, ville industrielle de la banlieue de Sao Paulo au Brésil. De ce logement sans charme, typique de la petite bourgeoisie pauliste qu’il occupe depuis plus de vingt ans, Luiz Inacio Lula da Silva, 72 ans, a rejoint le syndicat des métallos. Lieu où, pour l’ancien métallo, tout avait commencé, et où tout s’est brutalement arrêté.

Après plus de dix heures de débats à la Cour suprême, le « jugement du siècle » brésilien est tombé. Lula, président de 2003 à 2010, « père du peuple », figure de la lutte ouvrière sous la dictature, condamné en janvier à plus de douze ans de détention pour corruption, n’échappera pas à la prison. Par six voix contre cinq, les juges lui ont refusé un habeas corpus – le droit de ne pas être emprisonné tant que tous les recours judiciaires n’ont pas été épuisés. Longtemps repoussée, son incarcération pourrait, à moins d’une ultime surprise, avoir lieu autour du 10 avril. Défait, Lula, habitué aux bravades n’a, cette fois, pas pris la parole.

Au syndicat des métallos, devant la télévision, Sidinci Ebraça, ouvrier métallurgiste chez Mercedes à Sao Benardo do Campo, a cru jusqu’à la dernière minute au sauvetage de son héros avant d’être submergé par le chagrin et la colère. « Avant on ne parlait que de la crise et du FMI [Fonds monétaire international]. Lula a tout changé, les enfants pauvres ont pu aller à l’université. Dans les villages reculés, l’eau courante, la lumière sont arrivées », raconte-t-il. « Lula a été victime d’un tribunal d’exception », ajoute, à ses côtés, Hajj Mangolin, vendeur de livres.

Un pays déchiré

La Cour suprême s’est défendue de juger « le legs économique et social » d’un homme hier classé parmi les plus grands leadeurs politiques au monde. Pourtant, ce n’était pas seulement le sort de Lula qui se jouait, mercredi, à Brasilia mais aussi celui d’un pays « qui ne regarde ni ses pauvres ni ses favelas », a reconnu le juge Dias Toffoli, favorable à l’habeas corpus.

Jamais une décision n’aura autant déchiré le Brésil, opposant ceux qui continuent de vénérer l’ancien chef d’Etat comme un demi-dieu à ceux qui le considèrent comme le pire bandit de l’humanité, responsable du saccage des comptes publics et de la perpétuelle stagnation du géant d’Amérique latine. L’ambiance, électrique, est montée d’un cran quand le chef d’état-major des armées a fait part, la veille du vote, de sa répulsion envers « l’impunité » rappelant que l’« armée restait attentive à sa mission institutionnelle ».

« La politique est-elle devenue folle ? La justice a-t-elle perdu la boussole ? La société est-elle tombée malade ? Sommes-nous tous drogués au poison de l’irrationalité ? », écrivait, le 3 avril sur le site El Pais Brasil, le journaliste Juan Arias, ajoutant, perplexe : « Comment comprendre qu’un personnage messianique comme l’ex-président Lula, qui fit la fierté de son pays, se soit soudain transformé en un homme à abattre, capable de déchaîner les pires instincts ? »

Difficile, de fait, d’imaginer que Lula ait troqué son slogan « paix et amour » de 2002 pour un discours grognard envers « les élites », les « juges » ou « les marchés ». Que cet homme de la conciliation, qui se vantait d’avoir enrichi les banquiers, devienne la bête noire des milieux d’affaires. Que cette haine ait conduit à tirer sur sa caravane qui sillonnait, en mars, le pays en prévision de l’élection présidentielle d’octobre.

« Lula avait su séduire une partie de la petite bourgeoisie dont la vie s’est améliorée lors de son premier mandat mais, celle-ci a commencé à s’éloigner au moment du scandale du mensalao », analyse Daniel Pereira Andrade, sociologue à la fondation Getulio Vargas à Sao Paulo. Cette affaire a révélé, en 2005, un système crapuleux consistant à acheter les voix des parlementaires, donnant au Parti des travailleurs (PT, gauche) l’image d’un « parti comme les autres ». C’est-à-dire, corrompu.

Coup de grâce

L’affaire n’a pas empêché Lula d’être réélu en 2006, mais l’aura du président, multipliant compromissions et alliances avec les personnages peu recommandables de Brasilia, s’est écornée. Le coup de grâce viendra avec l’arrivée au pouvoir de sa dauphine Dilma Rousseff, en 2010, et le déclenchement de l’opération anticorruption « Lava Jato » (lavage express) mettant au jour un tentaculaire réseau de corruption impliquant entreprises publiques, groupes privés et politiciens.

Le Monde Application
La Matinale du Monde
Chaque matin, retrouvez notre sélection de 20 articles à ne pas manquer
Télécharger l’application

La gauche comme la droite seront visées, mais le PT en sera la première victime et Lula, le protagoniste. L’affaire, ajoutée aux maladresses économiques et politiques de Dilma Rousseff, conduira la rue à réclamer la destitution de la présidente, effective en 2016 à la suite d’une destitution polémique.

« Pour beaucoup Lula représentait l’espoir. Mais une fois au pouvoir il s’est comporté comme tous les politiciens », estime Carlos Fernando dos Santos Lima, procureur à Curitiba, ville où est née « Lava Jato ». « La corruption au Brésil, ce n’est pas Lula ou le PT, ce sont tous les partis au pouvoir », ajoute le magistrat.

Les suites rocambolesques de « Lava Jato » ont, de fait, révélé une corruption à grande échelle infiltrée dans les petites municipalités de province comme au palais présidentiel de Brasilia occupé aujourd’hui par Michel Temer.

« Lula conserve la reconnaissance et l’admiration des Brésiliens. La différence c’est qu’avant, la rue était toute à lui, désormais il a face à lui une opposition », commente un cacique de Brasilia. Cette opposition, formée notamment par le Movimento Brasil Livre (MBL) prônant l’ultralibéralisme économique et l’ultraconservatisme des mœurs, défilait mardi soir dans une cinquantaine de villes pour réclamer l’emprisonnement de Lula.

Crâne dégarni et polo Lacoste recouvert d’un drapeau brésilien, Celso Bazeio, entrepreneur immobilier de 72 ans, faisait partie du cortège sur l’avenue Paulista à Sao Paulo. « Lula doit aller en prison. Et avec lui tous les autres bandits ! », réclamait-il. Mercredi soir, une partie du pays doutait : Lula ne sera-t-il pas le seul à payer ?

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.