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« Hair » : en 1968, la révolution était aussi sur scène

Avec « Hair », pour la première fois, la nudité s'invitait sur scène. AFP

L’année 1968 a été marquée par d’importants bouleversements sociaux et culturels. Dans un tel contexte, la production d’une comédie musicale qui se voulait le reflet de son temps a eu l’effet escompté, largement préfiguré par l’affiche du spectacle : celui d’une bombe !

Hair raconte la vie d’un jeune Américain, Claude, fermier dans l’Oklahoma, qui est mobilisé et doit partir se battre au Viêt Nam. Il quitte donc son village et passe par New York avant d’embarquer pour l’Asie. Il croise alors un groupe de hippies qui protestent contre la guerre du Viêt Nam. Ces hippies vivent en communauté et accueillent Claude. Très vite, ils l’invitent à goûter aux drogues qu’ils consomment et à partager leurs idéaux. Mais Claude n’est pas convaincu par ce mode de vie. Il rejoint son bataillon dans le Nevada et part au Viêt Nam. On ne sait pas s’il en reviendra vivant…

Les jeunes pensent différemment

Pour le critique du New York Times, Clive Barnes, « vous n’avez probablement pas besoin d’être un partisan d’Eugene McCarthy pour l’aimer », écrit-il à propos du spectacle le 30 avril 1968. « Mais je ne crois pas que cela plaira à beaucoup de partisans du gouverneur Reagan », ajoute-t-il avec un brin d’espièglerie. Il rappelle alors qu’un des personnages de la comédie musicale explique à un moment qu’il veut « manger des champignons », et il n’est nécessaire d’en dire plus pour être compris.

Car l’Amérique de 1968 est profondément divisée, et cette comédie musicale qui commence à se jouer à Broadway à partir d’avril 1968 vient nous le rappeler. « Je voudrais resté couché au soleil » dit un autre personnage : l’envie de vivre sa vie, de se rapprocher de la nature, de tout partager au sein de communautés et de défendre le pacifisme et l’amour entre les Hommes, le droit à la paresse, ou de consommer des drogues, tout cela constitue un projet bien incohérent pour les parents de cette génération qui ont appris à travailler dur et à tenir leur place dans une société bien organisée.

Hair fait effectivement l’effet d’une bombe dans le monde du spectacle qu’elle change profondément, mais plus largement encore dans la société, parce qu’elle devient instantanément une vitrine de ce que ces parents d’adolescents trop agités refusent alors obstinément de regarder. Leur progéniture s’est en effet engagée dans des mouvements de contestation qui remettent en cause bon nombre de piliers de la société américaine de l’époque : la discrimination envers les Afro-Américains – ou les autres minorités –, la place de la femme, la surpuissance américaine, la société de consommation, la pudeur, l’hétérosexualité, l’héritage de valeurs communes, le culte du drapeau et même la place de la religion principale, le protestantisme.

La forme compte autant que le fond

On peut regarder Hair sous l’angle musical et parler à nouveau de ce qu’elle apporte alors au Rock. Toutefois, le souvenir s’est un peu estompé et bien peu de gens [se souviennent encore de « Aquarius »](https://www.nytimes.com/2007/09/16/theater/16ishe.html, « I believe in Love » ou « Hare Krishna » qui étaient chantés par la génération hippie. Seul « Let the sun shine in » est arrivé jusqu’à nous.

Hair a été créé à Broadway le 29 avril 1968 au théâtre Biltmore par James Rado et Gerome Ragni, et s’est immédiatement imposé comme un élément structurant de la contre-culture de l’époque. Ce qui a attiré les spectateurs new-yorkais se trouve plutôt dans l’esthétique florissante qui se dégageait de cette scène et de cette nouvelle troupe. Les cheveux longs et les barbes – marques de cette génération, et qui donnent le titre à la comédie musicale – se conjuguaient à une nudité qui jusqu’alors n’était pas arrivée jusqu’à la scène. Le public en est choqué et électrisé à la fois : le spectacle Hair est joué 1 750 fois avec la même troupe, jusqu’au 1er juillet 1972 !

Bien que les critiques ne soient pas tendres avec ce spectacle, ses créateurs ont atteint leur but : bousculer les pensées et les fondements d’un conservatisme qui empêche de s’exprimer. Et, en la matière, rien n’a été épargné aux spectateurs : le contenu, le thème, les dialogues, tout est coloré, joyeux, enthousiaste et optimiste, comme le monde que cette jeunesse américaine veut créer. Et comme leur monde est fait d’amour, de sexe, de drogue et de rock, c’est tout cela que Hair veut alors partager. Aucun code classique n’y est respecté puisqu’il faut tout changer : les dialogues sont longs et nombreux, et il y a surtout ce moment où, même avec un éclairage très faible, la nudité complète est mise en scène pour la première fois.

En prise avec la société

Pourtant Hair est bien plus que cela, et son succès ne s’expliquerait pas si ce n’était pas le cas. La jeunesse américaine des années soixante n’en peut plus du carcan bourgeois dans lequel elle est élevée. La guerre du Viêt Nam lui est insupportable et elle le crie dans les rues. Cette guerre s’est invitée dans tous les foyers grâce à la démocratisation de la télévision. Tous les jours, les Américains voient des scènes horribles qui les écœurent. Les jeunes ne veulent pas participer à ce massacre et refusent de partir, brûlent leurs papiers militaires, laissent pousser leurs cheveux et se regroupent dans des communautés où ils vivent l’amour libre, consomment des drogues et écoutent de la musique moderne.

Bob Dylan, Jimi Hendrix, Joan Baez, les Beatles, les Rolling Stones, Pink Floyd, voilà quelques-uns de leurs nouveaux guides, quand il ne se tournent pas vers les religions orientales, s’en remettant à des gourous. Dans tous les cas, le pacifisme fait son lit et ils s’engagent sur les traces de Henry David Thoreau, ce penseur américain du XIXe siècle qui prônait la désobéissance civile comme vertu supérieure. Hair contient tout cela et parle donc profondément à cette génération qui a 20 ans en 1968 et qui est en recherche d’une société plus démocratique, qui laisse enfin sa place aux plus jeunes.

Une révolution qui s’exporte

Très vite, Hair s’exporte. À Londres, la comédie musicale est jouée 1 997 fois, jusqu’au 19 juillet 1973. La version française est créée au théâtre de la Porte Saint-Martin un an après celle de New York, le 30 mai 1969. Julien Clerc y tient le rôle de Claude, le personnage principal, pendant la première année, avant d’être remplacé par Gérard Lenorman. Mais, là encore, comme aux États-Unis, la société française n’est pas prête et les manifestations sont nombreuses ; l’Armée du salut occupe le théâtre. En Allemagne, en Italie, en Espagne, au Japon, à Sao Paulo, Sydney, Hambourg, Amsterdam, Tel-Aviv, Londres, ou Belgrade, dans de nombreux pays et dans de nombreuses langues, la comédie musicale rencontre alors le même succès. On compte jusqu’à trente représentations en simultanées dans différents pays. Du jamais vu ! Puis, elle revient à New York, en 2009.

Entre temps, la chanson « Laissez entrer le soleil » se classe n°1 au hit parade de l’époque, le disque se vend à plus de trois millions d’exemplaires et Milos Forman en fait un film en 1979. Le réalisateur tchèque adapte l’histoire et rend l’ensemble plus noir, moins joyeux. Mais il y est toujours question de guerre et de ce refus formidable de la part de cette génération, qui préfère se battre pour la liberté.

Puis c’est l’oubli.

Une comédie musicale datée

Tout a commencé à 40 pâtés de maisons de Broadway, dans un hangar au sud de Manhattan, dans l’East Village, fin 1967. Dès les premiers filages, alors que le public n’était pas encore présent, le succès de Hair a été immédiatement porté par un enthousiasme dans le milieu hippie pour le message qu’elle contient et pour la musique. Un succès limité à un petit nombre de spectateurs, mais suffisamment important toutefois au cours des six semaines de représentation dans ce lieu très confidentiel, pour décrocher un soutien financier et concrétiser le projet de déménagement à Broadway. C’était alors extrêmement rare pour une comédie musicale à l’époque.

Mais ce qui faisait la nouveauté et le succès du spectacle, à savoir ses références libérées au sexe et à la drogue, est peut-être aussi ce qui a causé sa perte. Dans les années 80, la société s’est retrouvée face au fléau du sida et les comportements ont commencé à changer, tout comme les mentalités. L’amour libre, les expériences sexuelles multiples, la vie en communauté sont devenus suspects et ont été rejetés. Hair est subitement devenue une comédie musicale ringarde.

Cinquante ans plus tard, Hair est devenu un vestige, le symbole d’une période qui a donné à la jeunesse américaine une raison d’espérer et de construire. En se retournant pourtant, les plus jeunes s’interrogent sur la portée de ce changement, alors même que leur société est revenue à des valeurs très anciennes et ne semble plus faire de place à celles et ceux qui y grandissent aujourd’hui. Hair ne semble plus qu’une expérience musicale, un petit moment d’évasion dans le monde d’hier, teintée parfois d’une petite bouffée de nostalgie, et dont on retient plus qu’une incantation : « Laissons entrer le soleil ».

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