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Hongrie : le « grand remplacement », version Orban

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Le Premier Ministre hongrois Viktor Orban lors de son discours sur l'Etat de la Nation, Budapest, 18 février 2018 PHOTO : © Szilard Voros/XINHUA-REA
Par Yann Mens

C’est la théorie du « grand remplacement » version hongroise. Mais à Budapest, elle est défendue par le Premier ministre en personne, Viktor Orban : un « complot » serait mis en oeuvre par la Commission européenne, dont l’inspirateur serait en fait le financier d’origine hongroise, George Soros, qui soutient un peu partout dans le monde des organisations de défense des droits de l’homme et de promotion de la démocratie.

Le but de tous ces intrigants ? Favoriser l’arrivée massive de migrants musulmans extra-européens dans l’Union pour mettre fin à l’existence des nations et du christianisme en Europe. Pour délirante qu’elle soit, cette thèse est au centre de la propagande du Fidesz, le parti de Victor Orban, qui espère bien, à l’issue des élections législatives de dimanche, conserver la majorité qu’il détient au Parlement depuis 2010.

Un nationalisme exacerbé

Il y a quatre ans pourtant, six mois après le précédent scrutin qui avait assuré sa réélection, la cote du Fidesz était sur la mauvaise pente. « Viktor Orban a alors décidé d’exploiter l’afflux de nouveaux migrants aux frontières de la Hongrie auprès de sa base, formée surtout de populations peu éduquées ou ayant peu d’expérience du monde extérieur. Un électorat comparable à de nombreux Britanniques qui ont voté pour le Brexit », explique Peter Balázs, ancien ministre des Affaires étrangères hongrois et ancien commissaire européen. En 2014-2015, les premiers migrants venaient du Kosovo. Le pouvoir a jugé que leurs motivations étaient économiques et qu’ils n’avaient donc aucun droit de s’installer sur le sol de son pays.

Se référant aux attentats de Paris de 2015, Viktor Orban a qualifié les migrants de menace pour la sécurité nationale

Lorsqu’à partir du printemps 2015, ce sont surtout des Syriens, des Irakiens et des Afghans, victimes des conflits déchirant leur pays, qui ont afflué vers les frontières, Viktor Orban a brandi d’autres arguments. D’abord, ces migrants-là avaient traversé d’autres pays avant d’arriver en Hongrie. Des « pays sûrs » à ses yeux et où ils devaient donc retourner. Se référant aux attentats de Paris de janvier et novembre, Viktor Orban a ensuite qualifié les migrants de menace pour la sécurité nationale, parce que des terroristes se glisseraient parmi eux. Enfin, le Premier ministre a expliqué que ces étrangers extra-européens allaient chambouler l’identité du pays et que bientôt les Hongrois ne reconnaîtraient plus leur nation.

Le poids de l’histoire

Ce dernier argument porte dans un pays où, pour des raisons historiques, le sentiment national et l’aspiration à la souveraineté sont souvent à fleur de peau. Avant la Première Guerre mondiale, le royaume de Hongrie était membre de la double monarchie austro-hongroise. Défait en 1918, cet ensemble a été découpé et, à cette occasion, la Hongrie réduite au tiers de ce qu’était le royaume, laissant environ 3 millions de personnes de langue magyare (la langue nationale hongroise) en situation de minorité dans les pays voisins (Roumanie, Slovaquie, Serbie, Ukraine). La mémoire du traité de Trianon (1920), qui a décidé ce découpage, est encore vive en Hongrie.

La Hongrie n’a retrouvé sa souveraineté qu’après la chute du mur de Berlin

Après 1945, c’est sous la coupe de l’Union soviétique que la Hongrie est tombée, comme le reste des pays d’Europe centrale et orientale (Peco). Le pays n’a donc vraiment retrouvé sa souveraineté qu’après la chute du mur de Berlin. Puis il est entré, librement cette fois, dans l’Union européenne en 2004. « Et aujourd’hui, même si une partie d’entre eux est sensible au discours anti-bruxellois de Viktor Orban [voir encadré], les deux tiers des Hongrois souhaitent bien que leur pays reste dans l’Union », rappelle Peter Balázs.

Zoom Égoïsme d’État : à l’Est, pas de quotas

Lorsqu’en 2015, le flux des migrants a augmenté, d’abord dans les pays de son pourtour (Grèce, Italie), l’Union européenne a adopté un mécanisme provisoire de relocalisation à partir de ces deux Etats vers les autres membres de l’Union : il devait concerner 120 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale sur une période de deux ans. Les pays d’Europe centrale et orientale (Peco) ont refusé de le mettre en oeuvre, le présentant comme un diktat bruxellois attentatoire à leur souveraineté nationale et à leur identité.

La Hongrie et la Slovaquie ont attaqué le dispositif devant la Cour de justice de l’Union, qui les a déboutés en septembre dernier. Depuis, la Slovaquie a accepté de recevoir quelques migrants. Mais les autorités hongroises, qui ont organisé en octobre 2016 un référendum sur les quotas (vote finalement invalidé faute de participation suffisante), s’y refusent toujours. Le pays est passible de sanctions.

L’arme est cependant à double tranchant, estime l’ancien commissaire européen Peter Balázs, car "aux yeux de la base du Fidesz, elle renforcerait l’image de Viktor Orban comme protecteur de la nation contre les ingérences étrangères et l’immigration prétendument forcée".

Lorsqu’en 2015, le flux des migrants venus du Moyen-Orient et d’Asie s’est soudain accéléré aux frontières de la Hongrie, les effets du nationalisme à coloration ethnique, exploité par les autorités, ont été d’autant plus forts que, comme ses voisins et contrairement à beaucoup de pays d’Europe de l’Ouest, le pays n’avait jamais connu d’immigration extra-européenne importante. Au cours de son histoire contemporaine, les flux entrants avaient été composés pour l’essentiel de membres des minorités hongroises vivant dans les pays voisins ou de ressortissants des Balkans (Bosnie, Kosovo) au fil des conflits qui ont frappé cette région.

Propagande xénophobe

Dans le même temps, la Hongrie est elle-même un pays d’émigration. Elle voit partir de nombreux jeunes diplômés (mais assez peu de travailleurs détachés), qui profitent de la liberté de mouvement au sein des frontières de l’Union pour trouver un emploi mieux rémunéré en Autriche, en Allemagne ou au Royaume-Uni. Un demi-million de ses ressortissants vivraient à l’étranger. Au point que la Hongrie, dont le taux de croissance s’est élevé à 3,9 % en 2017 – en partie grâce aux fonds structurels européens - et où le taux de chômage est passé sous la barre des 4 %, manque aujourd’hui de main-d’oeuvre, surtout qualifiée. L’arrivée de migrants pourrait en théorie combler une partie de ces besoins. Mais le Fidesz mise, à l’inverse, sur une politique nataliste dans le but de maintenir intacte la composition ethnique du pays, alors que l’âge moyen augmente et que le taux de fécondité est bas (1,4 enfant par femme).

Le Fidesz mise sur une politique nataliste dans le but de maintenir intacte la composition ethnique du pays

Pour tenter d’empêcher les migrants d’entrer en Hongrie, les autorités ont érigé dès l’automne 2015 une barrière à sa frontière avec la Serbie, puis avec la Croatie. Ensuite, elles ont fermé plusieurs centres d’hébergement qui accueillaient des exilés et ont restreint les possibilités pour eux de déposer une demande d’asile, au point que cette démarche est devenue pratiquement impossible

Ces restrictions visent avant tout à servir la propagande xénophobe catastrophiste du Fidesz. Car pour les migrants extra-européens, la Hongrie est un pays de transit et non l’une de leurs destinations finales (Allemagne, Suède...). Témoin de ce peu d’appétence : en 2015, 177 000 demandes d’asile ont été enregistrées en Hongrie, mais très peu ont été examinées définitivement par les autorités hongroises, car entre-temps, la quasi-totalité de ces migrants avait quitté le pays pour une autre destination européenne. Les demandes examinées, quant à elles, ont été rejetées à 85 %. Ce taux de refus, déjà très élevé avant 2015, a encore augmenté depuis. Résultat : le pays a accueilli en tout et pour tout 508 nouveaux réfugiés en 2015 et 432 en 2016. Loin, très loin, de la menace du « grand remplacement » agité par la propagande du parti au pouvoir.

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Commentaires (1)
destartin 06/04/2018
Et même du temps de l'empire austro-hongrois, les Hongrois étaient considérés comme des sous-hommes par les Autrichiens.
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