Hardware et software
De manière imagée, le génome humain peut être comparé à la partie «hardware» d’un ordinateur. «Les gènes sont comme des informations codées qui déterminent les traits généraux de la personne, ses aspects physiques et ses particularités», explique Ariane Giacobino, chercheuse et médecin adjointe agrégée dans le service de médecine génétique des Hôpitaux Universitaires de Genève et auteure de Peut-on se libérer de ses gènes? L’épigénétique (Ed. Stock). L’épigénome, quant à lui, fait partie du «software», cet ensemble de logiciels qui contrôlent les opérations et sont capables de moduler l’expression des gènes – de les rendre actifs ou au contraire silencieux –, sans pour autant modifier la séquence d’ADN.
Les mécanismes épigénétiques sont par exemple indispensables au développement embryonnaire afin de permettre la différenciation des cellules. Ils expliquent également pourquoi des jumeaux monozygotes, qui partagent un patrimoine génétique identique, peuvent présenter des variations morphologiques ou des susceptibilités différentes aux maladies. Ils permettent par ailleurs d’éclairer pour quelles raisons certaines abeilles, qui possèdent toutes le même ADN à la naissance, deviennent reines et d’autres ouvrières, seules les futures pondeuses étant nourries à la gelée royale.
Epimédicaments
Mille fois plus fréquentes que les mutations de l’ADN, les modifications épigénétiques sont le fondement de la diversité biologique. Mais elles peuvent aussi contribuer au développement et à la progression de maladies. C’est notamment le cas des cancers, des anomalies sur l’épigénome pouvant conduire à l’activation de certains oncogènes, ou, au contraire, à l’inhibition de gènes suppresseurs des tumeurs.
On sait toutefois que les marques épigénétiques, contrairement aux altérations génétiques de l’ADN, sont potentiellement réversibles. Ce qui en fait des cibles thérapeutiques intéressantes. «C’est la raison pour laquelle des traitements contre certains cancers ont été développés pour agir sur des facteurs épigénétiques afin d’éliminer les marquages anormaux», précise Isabelle Mansuy, professeure à l’Université de Zurich et à l’ETHZ et responsable du laboratoire de neuro-épigénétique. On parle alors d’épidrogues ou d’épimédicaments. A l’heure actuelle, deux principales familles de molécules ont été développées. Problème: elles manquent encore de spécificité d’action, ce qui peut les rendre toxiques pour l’organisme.
Le rôle de l’épigénétique est par ailleurs également très étudié dans l’apparition des maladies neurodégénératives telles que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson; ou métaboliques comme le diabète de type 2 et l’obésité, mais aussi dans la survenue d’affections psychiatriques, comme la dépression et les troubles de la personnalité. «Mieux comprendre les rouages de l’apparition de ces pathologies par des facteurs épigénétiques contribuerait sans doute à des approches diagnostiques différentes et peut-être au développement de nouvelles thérapies», espère Isabelle Mansuy.
Impact de l’environnement
Bien que les processus par lesquels l’exposition environnementale dérègle l’épigénome ne soient par encore complètement compris, on sait que de nombreux facteurs ont une influence positive ou négative sur les gènes. L’alimentation, par exemple, par sa quantité et sa qualité, est susceptible d’avoir un effet sur les molécules nécessaires au fonctionnement de la mécanique épigénétique. Certaines expériences ont également démontré que des entraînements intensifs, chez les sportifs de haut niveau, pouvaient engendrer des modifications épigénétiques, avec pour conséquence de faciliter la pratique du sport en question.
Le lien entre une exposition prolongée aux pesticides ou perturbateurs endocriniens et l’apparition de modifications épigénétiques semble également de plus en plus établi, ouvrant ainsi des pistes d’explication à la progression de l’infertilité masculine. «Nous ne sommes toutefois pas égaux face à un environnement similaire, tempère Ariane Giacobino. Nous avons certes une certaine marge de manœuvre, mais cette dernière reste liée à notre fond génétique. C’est ce qui explique que des souches différentes de souris ne réagissent pas de la même manière au contact d’un pesticide, ou qu’une personne qui fume toute sa vie ne développera pas nécessairement un cancer des poumons.»
Transmission héréditaire
Plusieurs études sont aussi venues démontrer une transmission aux générations suivantes de certaines altérations épigénétiques. Et ce, alors même que des mécanismes de reprogrammation, destinés à faire table rase des marques épigénétiques acquises, ont lieu systématiquement après la fécondation, notamment.
Dans son laboratoire, Isabelle Mansuy étudie, sur des souris, les conséquences sur le long terme de traumatismes psychiques durant l’enfance: «A l’âge adulte, ces animaux présentent des altérations de leur épigénome dans de nombreux tissus, et des symptômes tels que dépression, comportements antisociaux, davantage de prise de risque, ainsi que des affections du métabolisme. Nous avons pu observer que ces troubles se retrouvaient également chez leurs descendants jusqu’à la troisième, voire la quatrième génération, bien que ces derniers n’aient pas vécu d’événements traumatiques.»
L’existence de tels mécanismes héréditaires pourrait expliquer pourquoi de nombreuses affections résultant d’expériences de vie, dont les maladies psychiques, se perpétuent dans certaines familles. Ce que la génétique classique n’a toujours pas permis d’élucider.