Sur cette carte antique, tous les chemins menaient vraiment à Rome

La table de Peutinger donne à voir l'immensité de l'Empire romain, et la puissance de Rome qui apparaît comme le centre du monde.

De Amanda Castelló
Sur la table de Peutinger, certaines distances sont réduites et d'autres étendues. Ci-dessus, la moitié sud ...
Sur la table de Peutinger, certaines distances sont réduites et d'autres étendues. Ci-dessus, la moitié sud de la péninsule italienne traverse cette section et la Méditerranée n'est pas plus large qu'une rivière.
PHOTOGRAPHIE DE Österreichische Nationalbibliothek, Vienna

Si la table de Peutinger n'a a priori rien à voir avec les contours nets d'une carte contemporaine de la région, elle donne un aperçu de la vision qu'avaient les Romains de l'empire au centre duquel ils se trouvaient. Leur zone d'influence s'étendait de la Grande-Bretagne jusqu'aux Indes, reliées entre elles par l'innovation majeure de l'Empire romain, les routes.

Au premier coup d'œil, un observateur contemporain risque d'avoir des difficultés à comprendre cette carte. D'une longueur de 6,70 mètres, elle est très longue mais ne mesure que 35,5 centimètres de hauteur. En y regardant de plus près, des noms de lieux européens qui nous sont familiers apparaissent, notamment Rome à l'épicentre. Nous réalisons progressivement que l'Europe et l'Asie ont été compressées et réduites à un couloir étroit. Les cours d'eau tortueux semblables à des canaux sont en réalité différentes zones de la Méditerranée. Quant à l'enchevêtrement de lignes rouges parallèles, il s'agit d'un réseau de routes colossal.

 

MESURER LE MONDE

La table de Peutinger est une copie d'une carte romaine qui aurait été tracée au 4e siècle, notamment parce qu'elle inclut la ville de Constantinople, fondée en l'an 330. Selon les chercheurs, cette version serait l'œuvre d'un moine, qui l'aurait conçue au milieu du 13e siècle dans la ville de Colmar, située aujourd'hui au nord-est de la France. Découverte au 15e siècle, cette copie est alors léguée à Conrad Peutinger, savant et bibliophile allemand, dont elle a hérité du nom.

Bien que les savants ne puissent être sûrs à 100 % de la fidélité de cette copie du 13e siècle par rapport à l'original, cet artefact unique en dit long sur la vision du monde romain et est un élément essentiel pour l'étude de la cartographie antique. Cette carte comporte 12 sections au total, dont 11 sont exposées à la bibliothèque nationale autrichienne située à Vienne. La 12e section, qui correspond à l'Hispanie (l'actuelle Espagne) et aux îles britanniques, est la seule pièce manquante de ce chef d'œuvre.

 

LES ROUTES DU POUVOIR

Chaque carte a un point de vue différent. Elles mettent en exergue certaines informations, au détriment d'autres qui peuvent parfois être omises. Les cartes grecques avaient tendance à mettre l'accent sur des éléments inhérents au savoir scientifique, par exemple, tandis que les cartes romaines se focalisaient sur l'aspect pragmatique. Ces dernières permettaient de suivre le réseau de routes reliant différentes régions de l'Empire.

Les cartes romaines de ce type s'appelaient itineraria. Il en existait deux types : l'itineraria adnotata prenait l'apparence de schémas sur lesquels les routes, les villes-étapes et les distances entre celles-ci étaient énumérées. La plus célèbre est l'itinéraire d'Antonin, qui remonte au 3e siècle et comprend une « feuille de route » de la Grande-Bretagne romaine. La seconde catégorie de cartes, appelée itineraria picta, dont fait partie la table de Peutinger, était plus visuelle.

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    DE L'HISPANIE À L'INDE

    La table de Peutinger ne trace pas uniquement les contours de l'Empire romain. Elle débute à l'ouest, avec ce qui est aujourd'hui l'Espagne, et s'achève sur le sous-continent indien et sur l'île de Taprobane (l'actuel Sri Lanka). Elle représente ainsi tout l'écoumène (terme grec qui désigne l'ensemble des terres connues habituées par l'Homme) et comporte de nombreux détails le long de chaque itinéraire.

    Cette gravure du 18e siècle représente le bibliophile allemand propriétaire de la carte du même nom.
    PHOTOGRAPHIE DE Akg, Album

    Les rivières et les mers, les phénomènes géographiques et, bien sûr, les villes sont dessinées avec précision dans des couleurs vives. La carte répertorie également des centres et hôpitaux, des lieux où les voyageurs pouvaient se reposer et changer de monture le long de la route. Ces informations étaient fondamentales pour ceux qui entreprenaient un long périple. Les ports commerciaux de la Méditerranée y sont également représentés (dont Ostia, principale porte d'entrée maritime de Rome), de même que les thermes.

    Cette mine d'informations laisse à penser que la carte n'avait pas été tracée uniquement à des fins militaires, bien qu'elle ait pu être utile en ce sens. Une série de notes indique l'importance de certains lieux, à la manière d'un guide. Pour la région du Sinaï, on lit : « Désert à travers lequel les enfants d'Israël, guidés par Moïse, ont erré pendant 40 ans ». Les chercheurs ignorent toutefois si cette note figurait sur l'original ou si ces impressions ont été ajoutées par le cartographe du Moyen-Âge.

    Une note au niveau de l'Extrême-Orient, dans le Tadjikistan actuel, situe le lieu traditionnel où un oracle aurait demandé à Alexandre le Grand jusqu'où il avait l'intention d'étendre son Empire : « Accepit usque quo Alexander? » (Jusqu'où, Alexandre ?). Selon les chercheurs, ce commentaire serait un ajout de l'époque médiévale, une note ironique dénonçant la futilité de l'impérialisme sur une œuvre qui met en exergue l'étendue de l'Empire.

    En 250 après J.-C., une borne kilométrique est érigée le long des routes romaines, en Allemagne, sous le règne de l'Empereur Dèce.
    PHOTOGRAPHIE DE Akg, Album

    Au centre de cet empire se trouve, bien évidemment, Rome. La capitale italienne est représentée par un personnage assis sur un trône et tenant dans sa main un globe terrestre, une lance et un bouclier. Rome est la caput mundi (capitale du monde) où tous les chemins mènent. Deux autres villes à l'est, Constantinople et Antioche, sont également mises en exergue, même si leur taille est moindre par rapport à celle de Rome. Il est intéressant de noter que les villes de Pompéi, d'Herculanum et d'Oplontis, pourtant détruites par l'éruption du Vésuve au premier siècle après J.-C., figurent sur la carte. Leur intégration renforce la thèse selon laquelle la table de Peutinger, bien que remontant au 4e siècle, aurait été basée sur des cartes antérieures.

     

    LA GRANDE ROUTE

    Les routes constituent la caractéristique principale de cette carte : 112 654 kilomètres de routes romaines, toutes tracées en rouge, représentant bien plus que l'itinéraire d'Antonin. Cette carte ne permet toutefois pas de calculer les distances réelles ou l'échelle géographique. La table de Peutinger a également un rapport approximatif aux points cardinaux de notre boussole : le Nil, par exemple, y coule d'ouest en est, plutôt que du sud au nord.

    Toutes ces caractéristiques s'expliquent par ce que l'on appelle le « concept hodologique » (du grec hodós qui signifie « route »). Aux yeux des Romains, les routes définissaient l'espace au sein duquel s'était étendu leur empire. Les concepts modernes de latitude et de longitude ne sont pas pertinents ici, les espaces étant représentés de façon horizontale et linéaire, presque comme une route.

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