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Ces diesels allemands qui polluent l’Europe de l’Est

La Bulgarie, la Pologne ou la Roumanie – où le marché de l’occasion reste florissant – s’apprêtent à accueillir une vague de vieux diesels en provenance des pays riches du continent. Avec des conséquences désastreuses pour l’environnement

Un marché de véhicules d’occasion dans la capitale bulgare, Sofia. — © BORYANA KATSAROV/AFP PHOTO
Un marché de véhicules d’occasion dans la capitale bulgare, Sofia. — © BORYANA KATSAROV/AFP PHOTO

Ils n’y avaient sans doute pas pensé. Lorsque, le 27 février dernier, les juges du Tribunal administratif fédéral de Leipzig ont estimé que les grandes villes allemandes avaient le droit d’interdire la circulation des voitures diesel polluantes, ils n’imaginaient certainement pas la cascade de conséquences que leur décision allait entraîner.

Ce jugement, qui réjouit les associations de protection de l’environnement locales, ouvre la voie à une nouvelle vague de voitures de seconde main qui ne manquera pas d’inonder l’Europe de l’Est, estiment les professionnels du secteur. De Varsovie à Sofia en passant par Bucarest, Kiev et la lointaine Moldavie, certains se frottent déjà les mains devant cette arrivée inespérée de véhicules solides et bon marché, âgés entre 5 et 10 ans, et qui, comme tout le monde le sait dans ces contrées, ont encore une longue, une très longue vie devant eux.

Le cimetière de la seconde main

Dépourvues – ou dépouillées dès leur arrivée – de leur pot catalytique riche en métaux précieux, ces vieilles Mercedes, Audi et autres BMW diesel ne manqueront pas de polluer un peu plus l’air des grandes villes de la région, déjà très chargé en particules fines (Cracovie et Sofia ont encore battu des records en 2017). «Le risque que l’Europe de l’Est devienne le cimetière des diesels allemands est bien réel», estime Iavor Ivanov, qui dirige CarStory, une plateforme de Sofia qui tente d’introduire davantage de traçabilité des véhicules d’occasion venant d’Europe de l’Ouest.

On se contente de déplacer les problèmes de pollution dans l’UE plutôt que de les régler

Des experts de la Fédération européenne pour le transport et l’environnement

La Bulgarie, justement, a importé 280 000 de ces vieilles voitures, dont au moins 40% étaient des diesels, en 2017, affirme Hristo Hristov, de l’Association bulgare des importateurs de véhicules. Un véhicule sur deux avait plus de 10 ans, selon la Fédération européenne pour le transport et l’environnement (T&E) qui regroupe une cinquantaine d’ONG.

En Pologne, qui est de loin le plus grand débouché pour les voitures d’occasion en provenance d’Europe occidentale (le pays est devenu une sorte de hub pour l’ex-URSS), le marché de l’occasion ne cesse de croître: 20% de hausse entre 2015 et 2016, par exemple, selon l’Association polonaise de l’industrie automobile (PZPM), dans un pays où deux tiers des voitures enregistrées sont d’occasion. En 2017, ce chiffre était de quatre sur cinq en Roumanie.

Déplacement de la pollution

«Une grande partie des vieux diesels des Européens de l’Ouest finissent ainsi en Europe centrale et orientale, ce qui fait que l’on se contente de déplacer les problèmes de pollution dans l’UE plutôt que de les régler», poursuivent les experts de T&E, qui parlent d’un nouveau «Rideau de fer», celui sur la qualité de l’air, qui sépare désormais l’Est et l’Ouest du continent.

Que ceux dans l’UE qui interdisent l’usage des voitures diesel arrêtent aussi de les exporter

Neno Dimov, ministre bulgare de l’Environnement

Depuis quelques jours, professionnels du secteur, officiels et défenseurs de l’environnement défilent sur les plateaux de télévision en Bulgarie pour commenter les conséquences des dernières dispositions allemandes, qui incluent aussi des primes de reprise très attractives pour les propriétaires de vieux diesels. L’affaire est arrivée jusqu’aux oreilles du ministre de l’Environnement, Neno Dimov, qui n’a pas hésité à renvoyer la balle dans le camp des pays riches. «Que ceux dans l’UE qui interdisent l’usage des voitures diesel arrêtent aussi de les exporter», a-t-il affirmé.

D’autres soulignent la permissivité, voire les contradictions, des législations locales: aujourd’hui, un véhicule neuf coûte plus cher au contribuable bulgare qu’une voiture de 10 ans. A cela s’ajoutent des pratiques laxistes en termes de contrôle technique et de pollution qui ne font qu’aggraver le problème. «Je veux bien que l’on resserre ces critères, mais cela veut dire que 20% – certains vont jusqu’à 50% – des voitures que vous voyez sur les routes bulgares devront être immobilisées», a affirmé le responsable d’un garage de Sofia à la télévision nationale.

Tous sont d’accord sur ce point: tant que le standard de vie restera aussi bas dans la région (le salaire moyen plafonne à 500 euros en Bulgarie), l’Europe de l’Est continuera d’offrir une deuxième vie, puis un cimetière, aux vieux modèles de l’ouest du continent. Et les chapes de pollution sur Sofia, Cracovie et Prague, avec toutes les conséquences pour la santé de leurs habitants, ne sont pas près de disparaître.