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Justice climatique : en Colombie, une décision historique contre la déforestation

L’Amazonie colombienne représente plus de 25 % du territoire du pays. Raul Arboleda/AFP

Par un jugement historique rendu le 5 avril 2018, la Cour suprême de la Colombie a ordonné au gouvernement colombien de mettre fin à la déforestation, lui rappelant son devoir de protéger la nature et le climat au nom des générations présentes et futures.

Elle a ainsi donné raison à un groupe de 25 enfants et jeunes qui, accompagnés par l’ONG Dejusticia, ont poursuivi l’État pour ne pas garantir leurs droits fondamentaux à la vie et à l’environnement. La Haute Cour leur a accordé une « tutelle », dispositif créé en 1991 qui garantit aux citoyens un examen rapide des plaintes pour violation des droits constitutionnels.

Dans le commentaire de leur décision, les juges ont enjoint le gouvernement, les gouverneurs des différentes provinces et les municipalités d’élaborer un plan d’action dans les cinq mois à venir pour préserver la forêt.

Une obligation « climatique »

Dans la même ligne que les contentieux climatiques les plus emblématiques de 2015 – les affaires Urgenda aux Pays-Bas et Leghari au Pakistan –, cette décision démontre que la Colombie et les pays du Sud rejoignent le mouvement de tous ceux qui, par le biais des tribunaux, demandent à leurs gouvernements de prendre des mesures plus efficaces et plus immédiates pour lutter contre le changement climatique.

Selon les chiffres de l’Institut d’hydrologie, de météorologie et d’études environnementales de Colombie (IDEAM), le pays aurait perdu en 2016, 178 597 hectares de forêt vierge ; un chiffre impressionnant témoignant d’une augmentation de 44 % par à 2015. 70 074 hectares auraient disparu en Amazonie, l’un des endroits les plus riches en biodiversité de la planète et qui joue un rôle fondamental dans la régulation des cycles hydrologiques et climatiques.

En dépit du fait que le gouvernement colombien avait pris des engagements internationaux pour réduire la déforestation dans cette région, les plaignants ont alerté sur le caractère incontrôlable du phénomène.

S’il n’y a aucun chiffre consolidé pour 2017-2018, toutes les prévisions indiquent que la déforestation sera beaucoup plus élevée que les années précédentes. L’Amazonie a concentré 66 % des alertes de déboisement précoce. Et pour le seul mois de février, ce sont plus de 20 000 hectares de forêt qui ont disparu en raison de brûlis illégaux pour établir des fermes d’élevage de bétail, des cultures et des routes.

Le précédent de 2016

La Haute Cour a également déclaré que l’Amazonie bénéficie de droits juridiques et de protection en vertu de la loi, une approche inhabituelle, mais pas inédite. La Cour constitutionnelle colombienne avait en effet déjà statué en 2016 (décision T-622) que le fleuve Atrato, très pollué, avait des « droits » à la protection et la conservation.

Dans sa décision du 5 avril dernier, la Cour Suprême, s’appuyant sur ce précédent, affirme que :

« Les droits accordés par la Constitution de la Colombie impliquent une transversabilité et concernent les êtres humains qui y habitent et qui doivent pouvoir jouir d’un environnement sain leur permettant de mener une vie digne et de jouir du bien-être. »

Climat et nature, sujets de droit

L’utilisation des droits fondamentaux de nature constitutionnelle dans les contentieux relatifs à l’environnement – et plus particulièrement dans les actions en justice climatique – a fait ces dernières années son chemin et trouve aujourd’hui un écho auprès de tribunaux, à différents niveaux de justice (internationale, régionale, nationale).

On pourra citer l’action de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, créée par des pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud pour défendre et faire appliquer la Charte interaméricaine des droits de l’Homme ; le 13 février 2018, elle publiait un avis historique qui assimile la protection de l’environnement aux droits de l’homme, invitant à lutter plus énergétiquement contre le changement climatique.

Par cet avis, la Cour interaméricaine a reconnu pour la première fois le droit fondamental à un environnement sain ; ce concept ne manquera pas de contribuer à la protection de l’environnement et du climat.

Alors qu’un certain nombre de poursuites en matière de climat ont été déposées partout dans le monde, l’avis de la Cour interaméricaine et la décision de la Cour suprême de Bogota sont sans doute décisives et annonciatrices d’un effet boule de neige.

L’ONG nord-américaine Our Children’s Trust, qui pilote l’action en justice climatique Juliana versus US a déjà entrepris ce type d’action en 2016. Cette plainte vise l’affirmation des droits constitutionnels à la vie et à la liberté dans le but de faire émerger un « droit à un climat stable et durable » pour préserver les générations futures contre les effets dévastateurs du changement climatique.

Portée par 21 jeunes, cette action a remporté une victoire cruciale en mars 2018 quand une cour d’appel a statué contre le gouvernement fédéral. Malgré les efforts de l’administration Trump pour mettre fin à cette démarche, le procès intenté par ce groupe de jeunes aura bien lieu en octobre 2018.

Une « tutelle » pour les générations futures

La décision historique en Colombie affirme également l’existence d’une « justice intergénérationnelle ». La Cour reconnaît catégoriquement que « les générations futures sont sujets des droits » et qu’il « appartient au gouvernement de prendre des mesures concrètes pour protéger le pays et la planète dans lesquels ils vivent ».

Cet argument s’appuie sur différents travaux scientifiques, notamment ceux du chercheur américain James E. Hansen (Columbia University), présentés comme amicus curiae – document appuyant la cause du demandeur – dans le but de soutenir la tutelle présentée par les jeunes plaignants colombiens.

Scientifique de premier plan dans le domaine du changement climatique, Hansen a cherché à sensibiliser sur les dangers imminents de ce phénomène et proposer des solutions pour garantir aux générations futures leur droit à un environnement sain.

Justice climatique et sociale

En établissant un précédent juridique, cette décision constitue aussi un progrès dans le déploiement d’une justice climatique ; et vient alimenter la liste de plus de 700 actions climatiques engagées auprès des tribunaux partout dans le monde depuis 2012. Ce nombre a considérablement augmenté depuis 2015, suite à l’affaire Urgenda et au momentum créé par l’Accord de Paris.

En déclarant l’Amazonie comme sujet de droit, la justice climatique s’entend au sens large de justice sociale. Dans la décision de la Cour suprême colombienne, la paysannerie est désignée comme devant faire partie des acteurs du nouveau Pacte intergénérationnel et social. Les juges renouvellent ainsi le dialogue entre les paysans et l’État.

Le gouvernement colombien ne pourra pas faire appel de la décision de la Cour suprême. Mais l’affaire pourrait être contestée devant la Cour constitutionnelle pour examen car les réclamations constitutionnelles en matière climatique sont rares.

Toutefois, la décision de la Cour suprême est définitive et exige que les autorités nationales et locales s’acquittent de leur mandat dans les cinq mois. Le gouvernement devra désormais élaborer ce « plan intergénérationnel en faveur de la vie de l’Amazonie colombienne » avec une large participation sociale, des plaignants, des scientifiques et des membres des communautés amazoniennes, pour prévenir la déforestation et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une nouveauté au niveau mondial qui devrait sans doute inspirer d’autres pays et d’autres juges dans les mois à venir.

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