Photo prise en octobre 1940 du résistant français Jean Moulin, né en 1899 et mort lors de son transfert en Allemagne en 1943.

Photo prise en octobre 1940 du résistant français Jean Moulin, né en 1899 et mort lors de son transfert en Allemagne en 1943.

AFP

Une somme colossale. Un pavé de 1400 pages, lesté des épisodes les plus lumineux, les plus terribles aussi, de l'histoire de la Résistance française face à l'occupant nazi. Voici l'ouvrage définitif sur Jean Moulin, depuis sa naissance à Béziers (Hérault), en juin 1899, jusqu'à son arrestation, le 21 juin 1943, à Caluire (Rhône). Il a fallu douze années de labeur à l'historien François Berriot pour rassembler et mettre en perspective la (quasi) intégralité des écrits et documents concernant Moulin, alias "Rex", le représentant du Général de Gaulle en France, chargé d'unifier les différents mouvements de la Résistance intérieure.

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Le professeur Berriot a pu accéder à des archives inédites : celles des représentants de la famille, mais aussi celles de Daniel Cordier, 97 ans, fidèle secrétaire personnel de Moulin, à partir de juillet 1942, dans la plus totale clandestinité. Cordier, qui signe l'avant-propos de l'ouvrage, rappelle à cette occasion : "Durant ces onze mois, il m'a toujours donné une telle impression de maîtrise de lui-même et de sécurité que je n'avais jamais peur, du moins quand j'étais auprès de lui."

Durant les quarante-quatre années d'une courte existence, Jean Moulin a vécu tant de vies. On croyait tout savoir sur celui dont les cendres (présumées) reposent au Panthéon : erreur. C'est là l'un des principaux mérites du livre. Au fil des deux tomes et de quelque 900 lettres et documents, on découvre des facettes méconnues de Moulin, de l'homme privé, du haut-fonctionnaire, du fondateur du Conseil national de la Résistance, le 27 mai 1943, à Paris - moins d'un mois avant d'être arrêté par Klaus Barbie...

Ni marxiste, ni franc-maçon

Contrairement à l'image colportée par certains zélateurs empressés ou par d'autres, tentés d'égratigner la figure inoxydable de "l'Armée des Ombres", Moulin n'a pas seulement été un étudiant médiocre, ne s'intéressant qu'au dessin, à la tauromachie, au rugby et aux jolies filles. Si l'art est bel et bien sa passion, ainsi qu'un exutoire à l'angoisse dans les moments les plus noirs, il lit aussi énormément : philosophie, histoire, poésie contemporaine, droit du travail... Chaque jour, le jeune homme s'exerce à discipliner son esprit, à maîtriser ses émotions. Il gomme son fort accent provençal. De nature mélancolique, voire pessimiste, il se transforme en une mécanique de précision, capable d'abattre une masse vertigineuse de travail.

En ce qui concerne sa formation intellectuelle et politique, l'ouvrage souligne que Moulin n'est pas marxiste, comme certains rivaux au sein de la Résistance l'ont laissé entendre, ni franc-maçon. Le haut-fonctionnaire -préfet de Chartres au moment de la débâcle de juin 1940 -, est assurément de gauche : pour lui, l'Etat doit incarner la justice et prendre la défense des faibles.

A Londres, Moulin est reçu par Churchill

Autre révélation apportée par le livre : lors de son premier séjour à Londres, en septembre 1941, durant lequel il rencontre de Gaulle, Jean Moulin est également reçu par Desmond Morton, l'homme de confiance de Churchill. Puis par le "Vieux lion" en personne.

Parachuté à son retour en France, Moulin, alias Rex, alias Max (entre autres), entame sa mission principale : rapprocher, financer, puis unifier les principaux mouvements résistants - Combat, Franc-Tireur, Libération-Sud. Son dévouement à De Gaulle et la nomination du général Delestraint à la tête de l'Armée Secrète lui valent de vives inimitiés.

"Il a été trahi"

Juin 1943. La Gestapo et Vichy traquent sans relâche les résistants. Parmi ces derniers, certains commettent des imprudences. D'autres, par petits calculs personnels, ferment les yeux sur le piège qui se referme sur leurs camarades et... concurrents. René Hardy, résistant audacieux, est arrêté le 7 juin 1943 dans le train Lyon-Paris par un agent allemand. Relâché par Klaus Barbie, le chef de la Gestapo à Lyon, Hardy "oublie" de raconter cet épisode à ses compagnons de l'ombre. Aveuglement, négligence coupable ? Le 21 juin suivant, sur fond de fortes tensions internes, il est invité au dernier moment par les représentants de Combat à assister à une réunion capitale rassemblant sept des principaux chefs de mouvements, à Caluire, près de Lyon. Il est suivi par les sbires de Barbie...

Sur les rouages de cette tragédie, les initiés se feront un avis, en lisant entre les lignes. Hardy est le seul qui parvient à s'échapper. Le reste appartient à l'histoire. Jean Moulin, atrocement torturé par Barbie, puis dans la villa parisienne de Bömelburg, chef de la Gestapo en France, agonise en gare de Metz, le 8 juillet 1943, dans un train qui le mène à Berlin. Moulin n'a pas parlé. Soixante-quinze après les faits, Daniel Cordier écrit : "C'est pourquoi, lorsque j'ai appris la catastrophe de Caluire [...], j'ai pensé - et je continue de le faire - qu'il avait été trahi."

Jean Moulin, Ecrits et documents de Béziers à Caluire, par François Berriot. Tome 1: L'homme privé, le haut fonctionnaire républicain.. Tome 2: Rex, représentant du Général de Gaulle et fondateru du C.N.R. L'Harmattan, 1488 p., 59 euros.

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