Bourse : pourquoi l'Europe rattrape Wall Street
Depuis quelques semaines, les marchés européens battent Wall Street en Bourse. Un effet de la chute des valeurs high tech, mais aussi d'une montée des risques aux Etats-Unis.
Par Pierrick Fay
Serait-ce un tournant sur les marchés ? Depuis l'élection de Donald Trump, les Bourses européennes souffrent de la comparaison face à Wall Street. Sur un an, quand l'indice S&P 500 gagne 15 %, l'Euro STOXX 50 ne prend que 0,9 %. Mais depuis un mois, on observe un retour de balancier avec un gain de 1,2 % pour l'indice européen contre un repli de 2 % pour l'indice américain. Plusieurs facteurs plaident pour ce rattrapage.
1) Risque politique aux Etats-Unis
Depuis quelques semaines, Donald Trump imprime la tendance sur les marchés. « Il a la fâcheuse tendance à passer d'un conflit à l'autre, ce qui ne permet pas à la confiance de revenir durablement sur les marchés », constate Aurel BGC. Hausse des taxes à l'importation, tensions avec la Chine, sanctions contre la Russie, menace contre l'Iran, la Maison Blanche a réveillé le risque politique aux Etats-Unis. Conséquence, selon Pierre Filippi, président de Fideas Capital : « la volatilité de l'indice S&P 500 est devenue plus élevée que celle de l'Euro STOXX 50, alors qu'il compte dix fois plus de valeurs. Ce devrait être l'inverse. C'est le signe qu'il y a un problème local. En Europe, il y a un réveil de l'idée européenne avec une diminution des tendances populistes. La gouvernance est bonne alors qu'aux Etats-Unis, le « Zébulon du tweet » agite les marchés financiers ». En clair, poursuit Graham Secker chez Morgan Stanley, les actions européennes sont « un refuge plus sûr », ce qui a poussé la banque à augmenter son exposition relative depuis quelques mois.
2) Risque inflationniste
Les anticipations d'inflation ont augmenté aux Etats-Unis, selon une étude de la Réserve fédérale de New-York. En revanche, en Europe, « la persistance de capacités excédentaires dans l'économie, les dernières réformes du marché du travail et les écarts de compétitivité entre les Etats membres créent une pression salariale à la baisse dans la zone euro », selon Pimco. Dans le même temps, la hausse de l'euro a aussi tendance à peser sur les chiffres de l'inflation. Une situation qui pourrait accentuer la divergence de politique monétaire entre la Fed et la Banque centrale européenne. « La BCE devrait être l'une des dernières banques centrales à commencer à normaliser sa politique monétaire alors que le marché n'anticipe pas de première hausse des taux avant mi-2019 », estime ainsi Graham Secker. Un élément de soutien pour les actifs risqués.
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3) Le poids de la technologie
L'an dernier, selon Morgan Stanley, les GAFAM (Apple, Amazon, Alphabet, Microsoft et Facebook) ont contribué à hauteur de 27 % à la croissance de la capitalisation du S&P 500. Mais depuis un mois, elles souffrent en Bourse. L'indice Nasdaq a perdu 5 %. « Il y a eu une consolidation récente sur les valeurs technologiques, qui sont plus présentes dans les indices américains. C'est ce qui explique en partie la surperformance de l'Europe depuis un mois et demi », constate Frédéric Rollin chez Pictet AM. Reste que pour le stratégiste, « c'est temporaire et nous ne trouvons pas que la valorisation de la tech aux Etats-Unis soit anormalement élevée. A plus long terme, les entreprises du monde digital disposent de perspectives de croissance bénéficiaire très importantes. »
4) Valorisations attractives
Avant la correction, les investisseurs s'inquiétaient des niveaux de valorisation des marchés. Depuis, ils sont devenus plus raisonnables, en particulier en Europe selon Graham Secker. « En termes absolus, la valorisation des actions européennes n'apparaît pas très onéreuse avec un « Price earning » qui a fait demi-tour en dessous de sa moyenne à 30 ans à 14,1 fois ses bénéfices à 12 mois. » Et c'est d'autant plus vrai, selon le stratégiste de Morgan Stanley que « le potentiel d'amélioration de la profitabilité est plus important en Europe que n'importe où ailleurs. L'Europe est la seule région où les bénéfices par action ne sont pas proches de leur record. Ils sont même encore 20 % inférieurs à ce qu'ils étaient il y a dix ans ».
Pour Frédéric Rollin, « l'effet de cherté bénéficie toujours aux actions européennes, relativement bon marché par rapport aux Etats-Unis ». D'autant plus, selon lui, que « les anticipations de croissance bénéficiaires aux Etats-Unis semblent beaucoup trop fortes. Les analystes tablent sur une hausse de près de 20 % des bénéfices par action, dont 5 à 6 % dus à la réforme fiscale. Soit une hausse résiduelle de 14 à 15 % qui nous paraît trop élevée compte tenu de la croissance économique. Il pourrait, à un moment donné, avoir des déceptions sur les profits ».
5) L'euro plafonne
L'an dernier, l'euro a bondi de 14 % face au dollar. Mais depuis son pic du 25 janvier, il a perdu 1,25 %. Une bonne nouvelle pour les grandes actions européennes exportatrices. Frédéric Rollin juge tout de même qu'il pourrait y avoir une « reprise de la baisse du dollar, pas aussi forte qu'en 2017, qui risque de pénaliser un peu les valeurs européennes, en devise locale. Mais je ne pense pas que ce soit dommageable et de nature à casser la croissance de la zone. Le potentiel de hausse des actions européennes reste solide avec un taux de dividende à 3 %, une croissance bénéficiaire qui restera positive plusieurs années, le cycle étant loin d'être fini ».
La hausse de l'euro qui profite d'ailleurs aux investisseurs étrangers. Sur un an, l'Euro STOXX 50 en dollars bat en effet le S&P 500 ! Ne reste plus qu'à les convaincre, alors que selon le dernier sondage de Bank of America-Merrill Lynch, l'allocation des gérants dans les actions de la zone euro est au plus bas depuis 13 mois.
À noter
Le rendement des actions européennes atteint 3,4 %, quand il plafonne à 1,9 % pour le S & P 500, un niveau inférieur au rendement offert par le taux des obligations à deux ans.
Pierrick Fay