Les enfants volés d'Angleterre

Extrait du documentaire « Les Enfants volés d’Angleterre », de Pierre Chassagnieux et Stéphanie Thomas. -  DREAM WAY PRODUCTIONS
Extrait du documentaire « Les Enfants volés d’Angleterre », de Pierre Chassagnieux et Stéphanie Thomas. - DREAM WAY PRODUCTIONS
Extrait du documentaire « Les Enfants volés d’Angleterre », de Pierre Chassagnieux et Stéphanie Thomas. - DREAM WAY PRODUCTIONS
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Le documentaire « Les Enfants volés d’Angleterre » de Stéphanie Thomas et Pierre Chassagnieux lève le voile sur l'inique système anglais de la petite enfance et les retraits arbitraires d'enfants à leurs parents, pour répondre à des exigences politiques et économiques.

Si, il y a près d’un siècle, Dickens prend la figure de l’enfant et ses interactions avec le monde adulte, tour à tour, cynique, bienveillant ou cruel, pour nous parler des dérives de la société victorienne, notre société actuelle est, elle aussi, soumise à des dérives dans la prise en charge de l’enfance par l'Etat. 

Le Magazine de la rédaction
43 min

En atteste le récent scandale des “enfants volés d’Angleterre”. Mais ici, la réalité dépasse la fiction. Loin des descriptions naturalistes de la pauvreté enfantine, il s’agit ici d’un scandale d’Etat dévoilé par le documentaire de Stéphanie Thomas et Pierre Chassagnieux.

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Ainsi, chaque année, les services sociaux britanniques retirent des milliers d’enfants à leurs parents. Ces derniers ne sont pourtant accusés d’aucune maltraitance ni d’aucun abus psychologique. Ils sont simplement soupçonnés d’être potentiellement dangereux pour leur nouveau-né. 

Un “potentiel” particulièrement glaçant

Il ne s’agit pas ici de retirer la garde d’enfants à des personnes inaptes à la parenté, mais bien de prédictions effectuées par les services sociaux britanniques. Le documentaire s’ouvre ainsi sur une scène terrifiante : Bethany, 22 ans est en train de quitter l’Angleterre car elle craint de se voir retirer son enfant. La raison : les services sociaux ont détecté une probabilité de maltraitance future, à cause d’une supposée fragilité de la jeune femme, suite au suicide de sa soeur. 

Et cette situation est loin d’être isolée. Pour les documentaristes, tout découle en réalité du Children Act, adopté en 1989 par le gouvernement de Margaret Thatcher qui introduit le concept flou de « probabilité de faire du mal ». Ce concept donne ainsi la possibilité aux services sociaux de retirer leur enfant à des parents soupçonnés de maltraitance psychologique, physique ou émotionnelle. 

Cependant loin de protéger les enfants effectivement en danger, les documentaristes dévoilent que cette loi visait en réalité dans son application les parents trop pauvres, trop malades, trop fragiles. Tous ceux n’entrant dans le cadre réducteur et cynique d’une administration fondée sur le soupçon. Un système d’autant plus terrifiant qu’une fois l’adoption prononcée, l’enfant perd en Angleterre tout lien avec ses parents biologiques.

Il y a en réalité derrière ce système une vraie idéologie à l’oeuvre Avec le Children act, on retrouve l’idée selon laquelle faire adopter des enfants précaires par une famille plus aisée va résorber la pauvreté et donner une meilleure chance à ces enfants. C'est une forme d'eugénisme social, imposée selon les documentaristes par l’époque Thatcher.

Des logiques de rationalité bureaucratique

Ce fonctionnement des services sociaux britanniques se double d’un contexte politique et social très tendu. Dans les années 2000, plusieurs cas de maltraitance sont effectivement dévoilés, sans que les services de l’enfance aient agi pour prévenir ces drames. L’opinion, portée par de véhéments tabloïds, exige alors des mesures drastiques pour que ces drames ne se reproduisent jamais. 

C’est dans ce contexte que le gouvernement britannique ordonne aux services sociaux d’agir beaucoup plus en amont, quitte à faire du zèle. Comme le révèle le documentaire, les comtés ont depuis les années 2000, des quotas d’adoption et l'état sanctionne financièrement ceux qui ne les remplissent pas. Il y a désormais une course pour placer ces enfants dans des familles adoptives, plutôt que de les garder dans des foyers provisoire, qui coûtent chaque année près de 3 milliards d’euros à l'Etat. 

Pour Pierre Chassagnieux, le réalisateur du documentaire, “il y a bien eu des lanceurs d’alertes ou des porte-voix mais pas de mouvement associatif ou de politique pour dénoncer ce système inique. Selon lui, l'idéologie ultralibérale thatchérienne a tellement imprégné le cerveau des Anglais, que personne ne songe, hormis Ken Loach et quelques autres, à le remettre en question ».

S’il y a un siècle, Dickens nous décrivait les tourments de l’enfance dans la dure société victorienne et industrielle, ce sont aujourd’hui des logiques utilitaires et bureaucratiques qui conduisent les enfants à subir l’empire cynique des adultes. 

En savoir plus : Enfants volés
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