Malgré un renforcement des règles contre le blanchiment d’argent, les insuffisances demeurent nombreuses du côté des États membres, de la Banque centrale européenne et de la Commission.
La série d’attentats en Europe entre 2015 et 2016 et le scandale des Panama Papers ont accéléré la lutte contre le blanchiment de capitaux. Le 19 avril, les eurodéputés ont adopté la cinquième révision de la directive européenne sur la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Une mise à jour nécessaire de la directive européenne, qui permet par exemple d’intégrer les crypto monnaies telles que le Bitcoin, jusqu’ici laissé à l’écart des procédures de surveillances. Les attentats de Paris en 2015 ont aussi fait avancer la question du contrôle des cartes de téléphone prépayées, auxquelles ont eu recours les terroristes. Le seuil de paiement autorisé a ainsi été ramené à 150 euros, contre 250 euros.
Autre avancée du texte, la création d’un registre des bénéficiaires réels des sociétés et des trusts. Un outil qui sera accessible aux autorités fiscales et dans certains cas au public (ONG, journalistes), et devrait permettre une meilleure transparence des structures utilisées dans le blanchiment.
« Aujourd’hui, nous avons un arsenal qui va nous permettre de réduire les risques de blanchiment d’argent au sein de l’UE », s’est félicité Krišjānis Karins, le rapporteur letton PPE. Malgré des avancées notables, et le vote quasi unanime du Parlement européen (574 voix pour, 13 voix contre et 60 abstentions), le constat sur la qualité de l’arsenal européen de lutte contre le blanchiment est plutôt amer.
Transposition en dent de scie
« La directive actuelle – nous le savons – comporte d’immenses lacunes, que ce soit dans sa conception ou dans les conditions de son application par les États membres », a regretté l’eurodéputée française Pervenche Berès lors du débat le 18 avril.
En effet, plusieurs États membres n’ont toujours pas transposé la directive initiale de 2015. « Il y a beaucoup d’États membres qui n’ont pas transposé la quatrième directive, dont le mien, les Pays-Bas. Il est évident que les États membres sont laxistes dans la lutte contre le blanchiment », a regretté la rapporteure écologiste Judith Sargentini.
Outre les Pays-Bas, la Bulgarie, Chypres, la Grèce, le Luxembourg, Malte, la Pologne et la Roumanie n’ont pas adapté leur législation nationale, alors que la date butoir était fixée au 26 juin 2017. « La Commission prendra des mesures contre les États membres qui n’ont pas transposé la directive » a affirmé la commissaire à la justice, Vera Jourova.
De fait, la Commission a d’ores et déjà entamé une procédure d’infraction contre la Belgique et l’Espagne en décembre 2017, dont les transpositions de la loi anti-blanchiment ont été jugées insuffisantes.
Liste noire lacunaire
Les insuffisances des États membres dans la lutte contre le blanchiment n’ont pas été les seules à être pointées du doigt cette semaine à Strasbourg. La Commission européenne, qui a pour obligation de dresser une liste noire des pays tiers à haut risque en matière de blanchiment, a également été montrée du doigt.
« La Commission n’a toujours pas soumis une proposition pour ajouter la Serbie à la liste noire », a dénoncé l’eurodéputé écologiste Sven Giegolds. Une décision inexplicable pour l’eurodéputé, puisque le Groupe d’action financière (GAFI), qui fait autorité au niveau international en matière de lutte contre le blanchiment, a épinglé la Serbie dans sa liste des pays à haut risque en matière de blanchiment en février.
La liste noire du GAFI comprend une poignée d’autres pays non européens (Éthiopie, Irak, Sri Lanka, Syrie, Trinidad et Tobago, Tunisie, Vanuatu, Yémen), mais est jugée assez restreinte puisqu’elle n’inclut pas certaines juridictions à haut-risque en matière de financement du terrorisme, telles que la Libye ou les pays du Golf.
« La commissaire ne doit pas se défiler et mettre la Serbie sur la liste noire européenne, afin de s’aligner sur les critères internationaux », a rappelé l’eurodéputé. Autre lacune, les critères d’évaluation pour la constitution de la liste européenne des pays à haut-risque n’ont toujours pas été définis. « La proposition de feuille de route présentée par la commissaire en décembre 2017 pour évaluer [ces] pays n’a toujours pas été adoptée », regrette Sven Giegolds.
Système bancaire européen
Mais c’est certainement le rôle limité de la Banque centrale européenne en matière de blanchiment qui a le plus handicapé l’UE dans sa lutte contre le blanchiment. En effet, la BCE ne dispose pas de mandat officiel pour agir contre une banque en infraction avec les règles en matière de blanchiment, sans l’accord préalable de son État membre.
« On a besoin d’une approche purement européenne en matière de blanchiment d’argent […] pour pouvoir garantir l’application cohérente des règles d’un État membre à un autre », a estimé Danièle Nouy ,la présidente du conseil de supervision de la BCE lors d’une audition parlementaire le 26 mars.
Le résultat de cette procédure à deux vitesses a été patent lors du scandale de la troisième banque lettone ABLV, qui a été accusée en février de blanchiment par le Trésor américain, avant d’être mise en liquidation.
Le mécanisme de surveillance unique, responsable de la supervision de l’établissement situé en zone euro n’avait pu réagir, faute de mandat et de pouvoir en matière d’anti-blanchiment. Mais une avancée sur ce sujet demanderait que les 19 États membres de la zone euro s’accordent pour déléguer davantage de compétences à la BCE. Un scénario qui semble peu probable.