Jacques Toubon, l’homme de la droite dure devenu icône de la gauche

Dans ses années chiraquiennes, il était contre l’abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l’homosexualité et le PACS. Nommé défenseur des droits en 2014, il est aujourd’hui un ferme opposant à la loi « asile-immigration » qui est débattue à l’Assemblée. Mais alors, peut-on passer à gauche quand on a été si à droite ?
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BERTRAND LANGLOIS / AFP

Ce matin du 11 avril 2018, au micro de la matinale de France Inter, il était interviewé quelques minutes après Benoît Hamon. Les deux hommes se sont donc croisés dans les studios de la maison de la Radio, mais avaient-ils quelque chose à se raconter ? Même si son avis intéresse encore les éditorialistes et les experts ès politique, Hamon n’arrive décidemment pas à se faire entendre. Alors que Toubon, lui, est celui que les gens de gauche ne se lassent plus d’écouter. Cette ancienne figure du chiraquisme, nommée défenseur des droits par François Hollande en 2014, brandit dorénavant des idéaux dont plus personne ne veut se faire le porte-drapeau dans les débats sociétaux actuels. Le projet de loi « asile-immigration » qui fait en ce moment même rage à l’Assemblée nationale fait s’affronter d’un côté La République en Marche, qui défend une proposition jugée très à droite, et de l’autre, Les Républicains, qui réclament des mesures encore plus extrêmes. Dans cette querelle cacophonique, La France Insoumise se manifeste peu. Sans parler du Parti Socialiste – ou plutôt de la Nouvelle Gauche (nom du groupe à l’Assemblée) – qui est quasi-inexistant, malgré quelques idées du nouveau porte-parole Boris Vallaud.

Ce même 11 avril, après son passage chez Nicolas Demorand, Jacques Toubon s’est exprimé en Commission des lois à l’Assemblée nationale, face à des députés LREM courroucés qui dénonçaient sa vision « caricaturale ». L’avis du défenseur des droits en dérange visiblement plus d’un, puisqu’il estime que le « demandeur d’asile est mal traité » par ce projet de loi qu’il voit comme « une logique de suspicion tendant à faire primer des considérations répressives au détriment des droits les plus fondamentaux des étrangers ». Des propos qui étonnent dans la bouche de celui qui en 1996, alors Garde des Sceaux, avait encouragé l'évacuation de l’église Saint-Bernard occupée par des sans-papiers.

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JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Contre tout !

On ne naît pas à gauche, on y vient… Ce mauvais pastiche de Simone de Beauvoir pourrait résumer le parcours de Jacques Toubon, infatigable animal politique de 76 ans. Dès sa sortie de l’ENA, ce jeune diplômé en droit devient le bras droit de Jacques Chirac qu’il suit dans différents ministères : Intérieur, Agriculture puis Matignon. Au RPR, parti dont il participe à la fondation, Toubon s’investit à tous les niveaux. Il sera, tour à tour, délégué national, secrétaire général adjoint, avant d’occuper le poste de secrétaire général de 1984 à 1988. En 1993, durant la seconde présidence Mitterrand et en pleine alternance Balladur, il est appelé au ministère de la Culture, avec la lourde tâche de prendre la suite de l’hyperactif Jack Lang. Toubon s’illustre alors par une loi, une seule, qui impose un quota de chansons francophones à la radio. Quand Chirac, son pygmalion et ami de toujours, est élu en 1995, il est promu numéro deux du gouvernement et déménage au ministère de la Justice.

Durant tout son cursus honorum au sommet de l’État, de l’Assemblée où il a longtemps été député à la Place Vendôme, Jacques Toubon s’est fait remarquer par des prises de position plus que conservatrices. Il a longtemps mené une lutte acharnée contre la moindre forme d’avancée ou de progrès, s'exprimant contre l’abolition de la peine de mort, contre la dépénalisation de l’homosexualité, contre le PACS, contre la création du délit de révisionnisme, etc… Jacques Toubon est, bel et bien, l’homme du vieux monde.

Le Toubon nouveau est arrivé

Écarté par Nicolas Sarkozy qui voyait en lui un vestige du chiraquisme, Jacques Toubon est revenu sur la scène médiatique dans l’habit d’un homme de gauche, ou plutôt dans celui d’un défenseur des droits, rôle que lui a attribué le président Hollande en 2014. Sa nomination avait alors été plus que contestée par diverses figures socialistes. L’écologiste Julien Bayou avait même lancé une pétition pour s’y opposer et avait recueilli plus de 100 000 signatures, dont celle de Cécile Duflot, Rokhaya Diallo, Philippe Marlière… L’occasion de ressortir les vieux dossiers honteux de celui qui, ministre de la Justice, avait défrayé la chronique en envoyant un hélicoptère au Népal pour joindre tout simplement un procureur en vacances et sauver la peau de Xavière Tiberi, épouse du maire de Paris accusée d’avoir touché un salaire fictif.

Beaucoup le reconnaissent pourtant : le Toubon d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. C’est lui qui, lundi 16 avril, s’est alarmé publiquement des conditions de vie « inacceptables » des migrants installés à la Villette, à Paris. C’est encore lui qui, sous le gouvernement Cazeneuve, s’inquiétait de la situation à Calais.

Après le passage de l’ancien ministre de la Justice sur France Inter, la chroniqueuse et humoriste Charline Vanhoenacker a su résumer ce « virage » : « C’est l’équivalent de Macron qui finirait leader de Greenpeace, Mélenchon n°1 d'Apple ou Marine Le Pen qui à 70 piges sortirait un album de coupé-décalé en collaboration avec Maitre Gîm’s. » Visiblement, tout le monde peut changer et finir par avoir tout bon…

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Bernard Bisson/Getty images