Delphine O : « L'accord sur le nucléaire iranien protège le monde »

INTERVIEW. L'élue LREM est à l'origine d'une lettre signée par 500 députés français, britanniques et allemands pour convaincre les Américains de rester dans l'accord.

Propos recueillis par

La députée LREM de la 16e circonscription de Paris, Delphine O, le 27 juillet 2017 à l'Assemblée nationale.  

La députée LREM de la 16e circonscription de Paris, Delphine O, le 27 juillet 2017 à l'Assemblée nationale.  

© JACQUES DEMARTHON / AFP

Temps de lecture : 10 min

À peine âgée de 32 ans, Delphine O est déjà en première page du prestigieux New York Times. Inconnue du grand public il y a encore un an, cette normalienne experte du Moyen-Orient a connu une ascension fulgurante. Ayant rejoint le mouvement En marche ! dès sa création en avril 2016, cette native de Seine-Maritime est devenue suppléante du candidat LREM Mounir Mahjoubi, dans la 16e circonscription de Paris, pour les élections législatives de 2017. Ce dernier ayant été nommé secrétaire d'État en juin 2017, Delphine O est logiquement devenu députée.

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Dès son entrée à l'Assemblée nationale, elle marque l'hémicycle par sa maîtrise des sujets internationaux. Après avoir étudié à la Freie Universität de Berlin, la jeune femme a travaillé à l'ambassade de France à Séoul, ainsi qu'au consulat de France à New York. Diplômée de Harvard, la Française a alors succombé aux charmes du Moyen-Orient. Elle a vécu en Iran et en Afghanistan, où elle a accompli des travaux de recherche et œuvré pour une ONG. Membre de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, présidente du groupe d'amitié France-Iran, Delphine O se veut le chantre de la diplomatie parlementaire, complémentaire selon elle de l'action gouvernementale.

Elle est aujourd'hui à l'origine d'une lettre ouverte signée par 500 parlementaires français, britanniques et allemands, adressée à leurs homologues du Congrès américain. Leur but : sauver l'accord sur le nucléaire iranien, signé en juillet 2015 par les grandes puissances (les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Russie, la Chine) et l'Iran, aujourd'hui menacé par Donald Trump, qui pourrait s'en retirer le 12 mai prochain. Le Point a rencontré Delphine O.

Le Point : Comment vous est venue l'idée de cette lettre ouverte ?

Delphine O : En discutant avec des collègues allemands du Bundestag, on s'est demandé comment, en tant que parlementaires, nous pouvions soutenir l'action de nos gouvernements respectifs et contribuer au maintien de l'accord sur le nucléaire iranien, qui nous semble indispensable à la sécurité et la stabilité de la région. C'est de cette rencontre qu'a germé l'idée de publier cette lettre ouverte, adressée à nos homologues américains. Nous ne voulions pas nous contenter d'une lettre nationale. Nous souhaitions réussir à mobiliser les Parlements des trois pays européens qui ont contribué à la négociation de l'accord : la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Pendant plusieurs mois, nous sommes allés toquer à la porte de la chambre des Communes, du Bundestag et de l'Assemblée nationale. Outre le caractère européen de cette lettre, il s'agissait également d'en faire une transpartisane à l'intérieur de chacun de nos Parlements, pour montrer à nos homologues américains que ce sujet politique n'est pas du tout partisan dans nos trois pays, que tous les bords politiques, de la gauche à la droite en passant par le centre, soutiennent l'accord sur le nucléaire iranien. La lettre a été publiée simultanément dans quatre journaux – les principaux quotidiens de nos trois pays et le New York Times, car on s'adressait aux Américains.

Pourquoi s'adresser aux membres du Congrès, alors que ceux-ci, majoritairement républicains, sont hostiles à l'accord sur le nucléaire ?

L'idée était vraiment que les parlementaires européens s'adressent aux parlementaires américains. Nous avons déjà des gouvernements qui discutent entre eux, que ce soit au niveau des chefs d'État que des ministres des Affaires étrangères. Mais jusqu'ici, les Parlements, notamment européens, étaient un peu mis à l'écart. Nous souhaitions donc vraiment avoir ce dialogue d'égal à égal entre parlementaires des trois pays européens et américains. Notre action est complémentaire de l'activité diplomatique menée par nos gouvernements. Par ailleurs, si certaines décisions aux États-Unis sont directement prises par le président, celui-ci peut également décider de les renvoyer devant le Congrès, qui pèse de toute manière sur les décisions de l'administration américaine.

Pensez-vous réellement que le Congrès américain, s'il était consulté, pourrait décider du maintien des États-Unis dans l'accord sur le nucléaire iranien ?

Il semble aujourd'hui que la majorité républicaine au Congrès soit opposée à un maintien dans l'accord. Cela dit, nous avons constaté, à l'occasion des précédentes dates butoir, que le Congrès et l'administration américaine étaient bien en peine de proposer une alternative à l'accord sur le nucléaire, afin d'empêcher l'Iran de se doter de l'arme atomique. Je pense que cela traduit une prise de conscience de la part des hommes et femmes politiques américains qu'il n'y a pas aujourd'hui d'alternative à cet accord. On ne pourra plus mettre en place de nouvelle grande coalition avec les Américains, les Français, les Britanniques, les Allemands, mais aussi les Russes et les Chinois, avec le soutien de l'ONU, comme on l'a fait pour l'accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015.

En lisant votre lettre, on a l'impression que Trump a déjà décidé de sortir de l'accord nucléaire le 12 mai prochain.

Il y a en effet plus de probabilité qu'il décide de se retirer. Mais de toute façon, il n'y a pas de décision unilatérale de retrait. La date du 12 mai correspond à la décision du président américain de renouveler ou non la suspension temporaire d'une certaine catégorie de sanctions à l'encontre de l'Iran. Cette date est donc importante, mais le monde ne s'arrêtera pas le 12 mai prochain. Il est important de poursuivre ce dialogue entre parlementaires européens et américains après cette date. J'ignore si la lettre pourra effectivement changer l'opinion du président Trump, et du Congrès américain. Pour ce faire, il faudrait que l'on ait des conversations directes et pas uniquement une lettre publiée dans un journal. Voilà pourquoi nous envisageons avec mes collègues britanniques et allemands d'envoyer une délégation à Washington, avant le 12 mai, pour discuter, sur la base de cette lettre, du maintien des États-Unis dans l'accord, et de ce qui peut se passer par la suite, même en cas de retrait.

Quelles pourraient être, d'après vous, les conséquences d'un retrait américain, pour l'accord et pour le Moyen-Orient ?

Les Européens ont été extrêmement clairs là-dessus, et le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, l'a répété : nous resterons dans l'accord. Nous estimons que, même si les États-Unis se retiraient, cet accord est bon, nécessaire et incontournable. La grande inconnue est le maintien ou non des Iraniens dans l'accord. Il semble que les autorités iraniennes envisagent de se retirer en cas de retrait américain. Dans ce cas, l'accord serait nul et non avenu. Les conséquences seraient désastreuses, à la fois pour nos relations avec l'Iran et la situation dans la région. Car l'accord permettait non seulement de faire avancer la non-prolifération nucléaire dans la région, mais il avait également permis d'ouvrir un premier canal de discussion avec l'Iran, couronné de succès, et qui devait être suivi d'autres canaux. Si l'accord tombe, les autres canaux de discussions vont également tomber.

Mais ses opposants estiment que l'accord sur le nucléaire n'a strictement rien changé aux « activités déstabilisatrices » de l'Iran dans la région...

Nous répétons aux Américains que l'objectif de l'accord n'était pas d'empêcher l'Iran de soutenir Bachar el-Assad en Syrie, ou les houthis au Yémen. Il était écrit qu'il s'agissait d'empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire. Et cet objectif a été réalisé, comme l'a certifié à huit reprises l'Agence internationale de l'énergie atomique. Aujourd'hui, le programme nucléaire de l'Iran a été non seulement arrêté, mais ses capacités ont diminué. Il n'y a donc pas de risque de nucléarisation de ce pays. À l'inverse, si les Américains et les Iraniens se retiraient de l'accord, il existe un risque de nucléarisation, non seulement de l'Iran, mais aussi de ses voisins. D'ailleurs, d'autres pays comme l'Arabie saoudite ont récemment annoncé qu'ils pourraient être tentés de se lancer dans un programme nucléaire.

Mais est-il seulement possible d'évoquer les questions régionales avec l'Iran, autrement que via les contacts que vous avez le président iranien et son ministre des Affaires étrangères, qui n'ont qu'un pouvoir limité en la matière ?

Auparavant, on ne parlait que du nucléaire. Aujourd'hui, la conversation commence à s'élargir. Tout dépend des sujets. Il y a en quatre principaux avec l'Iran : la Syrie, le Yémen, le Hezbollah et le programme balistique de Téhéran. À mon sens, le terrain yéménite est le plus propice pour avoir des discussions directes avec les Iraniens. C'est là où nous avons le plus de chances d'aboutir à une négociation avec tous les acteurs majeurs de la région, même si, pour l'heure, nous n'avons pas vraiment avancé. Sur le balistique, une discussion est ouverte, même si elle n'a pas encore abouti. La Syrie est un autre sujet. Jusqu'à présent, effectivement, nous n'avons pas réussi à faire entendre raison à Bachar el-Assad via nos canaux iraniens et russes, d'où la décision la semaine dernière de frapper des sites d'armes chimiques. Mais, encore une fois, si jamais l'accord nucléaire est supprimé de facto, nous allons probablement enregistrer une marche en arrière.

La proximité qu'entretiennent le président Macron et le président Trump peut-elle infléchir la position de ce dernier sur le nucléaire, notamment à l'occasion de la prochaine visite du président français à Washington ?

C'est un des objectifs de cette visite. C'est d'ailleurs ce que le président Emmanuel Macron a répété dans une interview à Vanity Fair. Moi, je crois effectivement que la relation personnelle entre les deux présidents est importante, comme cela a été déjà démontré depuis un an sur la question de la COP 21, dont le président Trump a annoncé son retrait avant de laisser entendre qu'il pourrait revenir sur sa décision. Nous espérons que le président français pourra faire entendre raison aux Américains. Le fait que la France ait une position très ferme sur la question du programme balistique iranien, mais aussi sur la question syrienne, est un signal fort envoyé aux États-Unis. Il montre que nous ne sommes pas naïfs ou dépendants des Iraniens comme certains veulent le croire. Nous avons une position véritablement indépendante et ferme qui ne nous empêche pas d'être tout aussi fermes sur le maintien de l'accord sur le nucléaire, qui est une vraie protection contre le risque de prolifération nucléaire. En réalité, c'est une protection pour tout le monde - les pays de la région, Israël, l'Arabie saoudite, mais aussi les États occidentaux.

Les récentes nominations de deux faucons - John Bolton au poste stratégique de conseiller à la sécurité nationale, et Mike Pompeo à celui de secrétaire d'État – ne condamnent-elles pas l'accord sur le nucléaire ?

Ce sont effectivement des signaux préoccupants, d'autant que ces néoconservateurs ont exprimé des positions très fermes vis-à-vis de l'Iran. Cela dit, ni Pompeo ni Bolton ne sont encore entrés en fonction. Et cela ne doit pas nous empêcher de continuer notre travail de persuasion auprès des membres du Congrès, de l'administration américaine, et du président Trump lui-même.

Qu'est-ce que la « diplomatie parlementaire », que vous incarnez aujourd'hui ?

Ce concept est assez méconnu, qui vient principalement du fait que la politique étrangère est le domaine réservé du président et de l'exécutif. Mais cela ne veut pas dire que les parlementaires ne peuvent pas avoir d'action. Il ne faut pas se priver de tous les moyens possibles de faire de la diplomatie. De continuer d'essayer d'influencer nos interlocuteurs, de peser dans le débat. L'initiative de cette lettre en est un exemple assez réussi, j'espère, qui peut montrer que les parlementaires peuvent se mobiliser, d'autant que nous agissons ouvertement en soutien à nos gouvernements respectifs. Rendez-vous compte : c'est la première fois que trois Parlements européens travaillent ensemble dans le cadre d'une lettre ouverte !

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Commentaires (11)

  • JMB102

    Pour les jeunes, ... Le monde est nouveau. Hélas, le monde a existé avant vous, jeunes gens ! Et espérons qu'il existera encore quand vous serez moins jeunes, plus vieux. Car les vieux d'aujourd'hui ne sont que des anciens jeunes, d'hier !
    La longue liste des diplomes ne fait pas l'expérience des hommes, encore hélas !
    Taper sur l'Iran c'est oublier que la bombe nucléaire est devenu ce qu'elle a toujours été : une bombe politique ! A nous la bombe, pas à vous, mais vous nous obéissez militairement, politiquement et économiquement. Chose que les chinois et les nord-coéens ont eux compris. D'ailleurs les indiens et pakistanais eux l'ont fait sans crier sur les toits ! D'ailleurs, plus personne ne pense rien qu'à les menacer !

  • vikingralou

    Grand merci au Point pour cette histoire d'O ! C'est tellement agréable de ressentir toute la naïveté de cette "talentueuse" jeunesse ! Delà à se dire que l'intelligence n'est pas en partage chez les forts en thèmes ! Et de se demander pour qui roule ce nouvel avatar de notre politique ! Quand le rapport de force n'est pas au menu de nos étudiants !

  • vikingralou

    Encore une qui aurait mieux fait de se taire ! Protégez nous de la candeur de la jeunesse ! Baisser la garde revient à un constat d'impuissance ! Les iraniens n'ont que des buts expansionnistes et hégémoniques sur le détroit d'Ormuz, sur l'Irak (se rappeler la guerre fratricide entre les deux pays), sur la Syrie, où les Gardiens de la Révolution et le Hezbollah se sont implantés durablement, etc. ! Et la bombe nucléaire est vue comme un moyen d'éradiquer Israël ! Encore un marché de dupes de plus !