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Billet de blog 19 avril 2018

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R. Diallo et l'antiracisme politique : défense des droits ou commerce communautaire ?

Rokhaya Diallo expliquait récemment que son « terrain, c'est la politique ». Cette phrase anodine au détour d'un tweet donne toute la mesure d'une démarche antiraciste qui se démarque d'une approche du respect des droits pour se focaliser sur le lobbying politique en faveur d'une minorité sans se soucier d'aspects légaux ou constitutionnels. Un article passionnant de Sabrina Maurice

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Illustration 1
Politique, défense des droits et puissances étrangères, un ménage à trois s'installe en France

Rokhaya Diallo expliquait récemment que son « terrain, c'est la politique ». Cette phrase anodine au détour d'un tweet donne toute la mesure de sa démarche antiraciste, qui se démarque d'une approche du respect des droits pour se focaliser sur le lobbying politique en faveur d'une minorité sans se soucier d'aspects légaux ou constitutionnels, ni de l'égalité des droits fondamentaux entre l'ensemble des citoyens au delà de la minorité qu'elle entend représenter.

Ce qui au départ apparaît comme une juste démarche de personnes opprimées, se dessine au fur et à mesure comme un renversement des notions fondamentales sur lesquelles notre pacte républicain a été conçu. Idéal que la réalité imparfaite peine parfois à respecter, mais qui a le mérite d'exister et de considérer sur le principe chaque citoyen indifféremment de sa race, de sa religion ou de son orientation sexuelle.

Ce renversement où l'on ne regarde ni l'ensemble des questions en présence ni les aspects légaux, ouvre la porte à toutes les logiques de chantage victimaire. Le lobbying politique ne s'embarrasse pas d'exactitude ni de réalisme, il doit convaincre en surfant sur les émotions.

Les discours compréhensifs vis-à-vis des «racisés», rassurants, provocateurs, donnent de la fierté aux «concernés», tout en cherchant l'adhésion des «non concernés» au moyen d'une culpabilité pour leur «white privilege». Ces deux postures, uniquement basées sur le caractère racial ou religieux, ne varient pas et ne prennent pas en compte les chiffres, les résultats de travaux du défenseur des droits ou de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, sauf la petite partie de ces résultats qui serait utile au discours victimaire : ainsi l'arrêt de la CEDH écartant tout racisme dans l'interdiction du voile intégral est ignoré, en revanche celui interpellant la France sur la situation administrative et la qualité de l'accueil des migrants est extrapolé pour témoigner du racisme d'Etat, en essayant d'induire une confusion qui laisse à penser qu'il existerait des violences policières généralisées contre les migrants et les citoyens français. Des faits généralisés qui parviendraient cependant à passer au travers de la modernité de l'ère des smartphones et des vidéos diffusables à grande échelle en un clic.

Dans le rapport du défenseur des droits sur les discriminations dans les contrôles policiers, le fait que les hommes soient plus susceptibles d'être contrôlés que les femmes, que les jeunes le soient plus que les vieux indifféremment d'un prisme racial, seront écartés pour créer l'impression générale que la France est coupable de discriminations raciales pour lesquelles elle a été rappelée à l'ordre par le défenseur des droits et condamnée par la CEDH.

Si les analyses d'ensemble sont mises de côté par les argumentaires centrés sur les éléments victimaires, la définition de tout rapport humain par un contexte de domination raciale préétablie ne prend pas non plus en compte les situations individuelles : un “racisé” est toujours opprimé, et les blancs sont toujours les “bénéficiaires du racisme” comme l'indiquait sans nuance et dangereusement Rokhaya Diallo face à Sonia Mabrouk sur le plateau de CNEWS. La responsabilité du racisme devient donc non plus individuelle pour l'auteur de l'acte ou de l'insulte raciste, mais collective, tous coupables d'une part, tous victimes d'autre part. Ce racisme global, systémique, d'Etat, institutionnel ou indirect qui serait le fait tant d'individus que d'organismes publics ou privés, permet dans un grand mélange de tout et n'importe quoi de ne jamais apporter de preuves et de considérer que les discriminations ne pourraient pas concerner des personnes “non racisées”.

Avec la même approche, le refus de la plainte pour agression d'un SDF à quatre reprises par le commissariat de Pau au mois de février dernier, peut-il être considéré comme du racisme, du mépris de classe, du manque de professionnalisme ? Faut-il d'abord répondre à la question de la race à laquelle ce SDF appartient pour conclure sans plus d'investigation ?

Dans ce type de parti pris racialiste, les victimes annoncées n'existent plus individuellement, n'ont plus à répondre de leurs responsabilités, leurs comportements à l'égard des autres et de la loi s'effacent derrière la race, seule donnée retenue : dès lors, il n'est pas étonnant que Rokhaya Diallo profite de la mort dramatique de Massar, un jeune espagnol d'origine camerounaise qui avait caché des paquets de crack dans sa bouche lors d'une interpellation par la police à Paris- Gare du Nord, pour pouvoir dénoncer des violences policières et relayer l'appel à un rassemblement sur place qui s'est terminé par des débordements, saccages, et dans une panique générale où des gens - de toutes couleurs - étaient pris au piège.

Le Point rapporte que plusieurs autres paquets de crack furent retrouvés par les médecins dans les voies respiratoires du jeune Massar, qui a fait plusieurs arrêts cardiaques et a subi des dommages irréversibles au cerveau avant de décéder à l'hôpital.

Ainsi, si les livres, les articles et les interviews de Rokhaya Diallo, et même ses allocutions aux Nations Unies, sont truffés de raccourcis et d'approximations, c'est pour continuer à alimenter cette argumentation victimaire qui regarde par le plus petit bout de lorgnette possible pour éviter toute prise en compte de faits contradictoires. Et c'est grâce à l'entertainment, à une présence sympathique et souriante dans les médias, à une communication via les réseaux sociaux très bien ficelée, que Rokhaya Diallo parvient à éviter les remises en cause.

Communicante avant tout, elle a une réactivité sans faille sur Twitter où elle remercie toujours ses soutiens, personnalités ou citoyens lambda, petits ou grands comptes en nombre de followers. Ce travail de communication prend beaucoup de temps, néanmoins la proximité est très utile pour s'adjuger leur suivi dans la durée.

Etant présente partout pour s'exprimer, c'est qu'elle dit vrai, une validation par la notoriété que ses apparitions à l'étranger amplifient notamment à l'initiative du Département d'Etat américain, qui l'a repérée dès 2010.

Ce militantisme est en effet calqué sur le modèle américain, à ceci près qu'aux Etats-Unis, les revendications radicales ne rencontrent pas l'écoute de l'exécutif, qui se contente de laisser s'organiser et s'essouffler des mouvements qui sont enfermés dans le fonctionnement communautaire sans parvenir à peser sur les élections ni sur le fonctionnement de la justice ou de la police. C'est donc un Département d'Etat parfaitement conscient des limites de son modèle sur son sol mais de la grande marge de manœuvre existant en France, qui a pris Rokhaya Diallo dans son giron depuis 2010 pour lui permettre de s'exporter, des Nations Unies à la Fondation Obama en passant par l'Egypte.

Nous l'aurons compris, le Département d'Etat américain a le souhait de favoriser en Occident le développement d'un mode de pensée et d'organisation de société calqués sur son modèle.

Les Français ont un fonctionnement totalement différent, qui n'est pas sans créer des repères très éloignés de la vision de nos partenaires anglo-saxons.

La diffusion de l'American way of life à travers la culture et les relations commerciales ne suffisent pas à gommer des différences culturelles qui tiennent du postulat de société que chaque nation a choisi, qui façonne non seulement l'état, l'éducation fournie aux citoyens et la manière de prendre part à la vie civile ou politique, et qui vont en conséquence façonner l'histoire d'une nation.

En particulier depuis la guerre d’Irak de 2003, où la France a fait cavalier seul en refusant d’y prendre part aux côtés des Etats-Unis et du Royaume Uni, les investissements du Département d'Etat dans les questions de société française se sont multipliés, certainement jugés plus efficaces pour un rapprochement que les polémiques et la suppression du terme « French fries ».

Les alliés occidentaux sont plus que jamais nécessaires avec le réveil du géant russe et l'omniprésence de la Chine qui est non seulement l'usine du monde mais aussi l'actionnaire des dettes d'états sous toutes les latitudes, qu'il s'agisse de pays africains ou de celle des Etats-Unis.

Ce modèle anglo-saxon qui nous veut du bien, quel est-il ?

Les communautés américaines ou la division pour mieux régenter

Les minorités sont très bien représentées aux Etats-Unis, toutes les chaînes d'envergure nationale ont leurs présentateurs et leurs programmes (séries, films) visant l'inclusion : le Cosby show dans les années 80, plus récemment Blackish ou Atlanta, le très populaire show Oprah Winfrey jusqu'en 2011, les journalistes en vue Joy Reid, Symone Sanders ou encore la correspondante de la Maison-Blanche April Ryan qui officie depuis 1997, etc., les références ne manquent pas.

La représentativité est très aboutie, les minorités sexuelles ne sont pas en reste, notamment avec Ellen de Generes, Ellen Page, les personnages LGBTQ dans les séries à succès comme Grey's Anatomy ou Orange is the new black.

Pourtant, le constat est sans appel. Les actes de violence et crimes motivés par la haine raciale ou anti LGBTQ, les discriminations font des Etats-Unis un très mauvais élève pour la vie de ces minorités et le respect de leurs droits.

La représentativité pousse tellement à faire valoir toutes les voix, pour peu qu’elles représentent une minorité, que cela a pour effet de neutraliser les causes militantes entre elles : des homophobes et transophobes côtoient des personnes LGBTQ, mais au nom de leur appartenance raciale ou religieuse leurs idées ne seront pas remises en cause. Des antisémites luttent pour les droits des noirs ou des musulmans, cela garantit que leur haine des juifs ne sera pas critiquée.

Ne pas lutter contre les discours de haine, quand on milite pour les droits humains, c’est assez déroutant et cela n’est pas sans conséquence : toute cette diversité affichée ne change ni les mentalités, ni les lois, et encore moins l’influence des lobbys conservateurs puritains et/ou suprémacistes blancs.

L’Amérique en est encore à débattre, d’arrêts de Cour suprême successifs, du droit ou non qu’aurait un pâtissier de refuser de réaliser un gâteau de mariage pour l’union de personnes de même sexe, et une bataille judiciaire tout aussi riche en rebondissements se poursuit pour stopper l’exclusion annoncée des personnes trans de l’armée américaine.

Les droits civiques ne donnent pas plus matière à s’inspirer du modèle américain. Un terme que nous ne connaissons pas en France, désigne le fait de créer des cartes électorales dans le but d'empêcher les citoyens d'avoir un impact de groupe décisif sur des élections dans une circonscription : c'est le gerrymandering. Les Etats du sud des Etats-Unis, qui sont ceux où les populations noires sont historiquement les plus nombreuses, sont passés maîtres dans cet art de la triche en morcelant les quartiers de façon à éviter que les lieux qui concentrent le plus de minorités ne jouissent d'une représentativité effective. Surprise : le pays de la représentativité ne serait finalement que le théâtre d'une diversité de façade ?

Et quand le découpage des circonscriptions ne suffit pas pour défavoriser les minorités lors de l'expression des suffrages, il est possible de recourir à un changement des règles d'accès au vote, par exemple en changeant les documents d'identité exigibles et en fermant dans la foulée tous les bureaux d'état civil dans les quartiers populaires majoritairement noirs et latinos.

Il y a tout de même un Black Caucus et un Hispanic Latino Caucus au congrès américain, dans la logique des figures de proue communautaires visibles partout. Avec un système de financement des partis complètement dépendant de donateurs privés et la pratique du gerrymandering, cette poignée de représentants peine à suivre les souhaits d'électeurs qui n'ont pas beaucoup de voix et d'argent à marchander pour peser dans les décisions.

Il est difficile de vanter les mérites supposés de ce modèle américain, à moins de se concentrer uniquement sur la performance en matière de représentativité apparente et d'oublier les violences raciales, le système judiciaire et carcéral préjudiciables pour les minorités et les pauvres, les inégalités d'accès au droit de vote qui bloquent toute possibilité de faire évoluer tous les points cités précédemment.

Mais au moins, les citoyens sont fiers, répartis en cheptels communautaires qui font valoir leurs doléances, sans interagir les uns avec les autres, et donc sans pouvoir influer sur un mode de fonctionnement non laïque qui permet de ménager l'union derrière un diktat protestant blanc : tant que tous les intégrismes, les séparatismes de coutumes, occupent les communautés, elles n'ont pas d'intérêt à questionner le fondement résolument inégalitaire de ce système américain où l’importance de la liberté et des traditions religieuses est telle qu’elle peut servir à justifier le mariage de fillettes de dix ans en cas de grossesse : tant que la naissance de l’enfant n’intervient pas hors des liens sacrés du mariage, l’âge de la mère et ses droits fondamentaux passent au second plan.

En important, pour les raisons politiques évoquées plus haut, ce modèle et son lobbying par des agents d'influence communautaires, on permet accessoirement à des militants comme Rokhaya Diallo de se répartir des parts de marché, de se présenter comme des révolutionnaires alors qu’ils ne sont que les heureux pions de puissances étrangères, dont les Etats-Unis ne sont qu’un exemple : on peut citer encore le Qatar qui diffuse la propagande racialiste via sa chaîne AJ+, ou la Turquie qui a réalisé une OPA sur le CFCM.

Et pour servir cet entrisme, moyen prétendument miracle pour assurer aux US la solidarité de leurs alliés, on reprend hélas tout ce qui s'est fait de pire par le passé et nous a amenés aux épurations brutales et aux conflits civils : on trie. On sépare. On classifie. Au nom du bien, utilisable pour le mal.

Collectif Vivre Debout
Sabrina Maurice

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