Les eurodéputés réclament une meilleure protection des journalistes

Les manifestations du 16 mars ayant fait suite au meurtre de Jan Kuciak et de sa compagne ont été les plus importantes depuis la révolution de velours en Slovaquie en 1989. [@EPA-EFE/CHRISTIAN BRUNA]

Les eurodéputés veulent une véritable enquête sur le meurtre du journaliste slovaque Jan Kuciak et de sa compagne, ainsi qu’une meilleure protection du journalisme d’investigation.

Le 25 février dernier, les corps de Ján Kuciak et de sa compagne, Martina Kušnírová, ont été retrouvés à leur domicile, une balle dans la poitrine. Ce jeune journaliste de 27 ans enquêtait sur le lien entre des hommes politiques italiens et slovaques avec la mafia calabraise.

Ce meurtre a déclenché les plus importantes manifestations pacifiques en Slovaquie depuis la révolution de velours en 1989, et provoqué une crise politique débouchant sur la démission du Premier ministre, Robert Fico.

Dans leur résolution, adoptée le 19 avril par 573 voix pour, 27 contre et 47 abstentions, les eurodéputés demandent une véritable enquête sur le double meurtre, menée conjointement avec Europol, des mesures nationales et européennes pour mieux protéger les journalistes et les lanceurs d’alerte, ainsi que la mise en place d’un dispositif permanent pour soutenir le journalisme d’investigation indépendant.

Le Parlement européen « a tiré la sonnette d’alarme sur la potentielle infiltration du crime organisé à tous les niveaux de l’économie et de la politique slovaque », indique un communiqué.

« Comme l’a dit Jean-Claude Juncker, l’assassinat ou l’intimidation de journalistes n’a pas sa place en Europe ni dans aucune démocratie », a déclaré Julian King, commissaire à la sécurité, à l’ouverture du débat. « Afin de déterminer si l’enquête implique des fonds européens et des échanges transfrontaliers, il faudra la pleine coopération de l’OLAF [Office européen de lutte contre la fraude]. Si les faits de fraude sont avérés, il faudra rappeler pourquoi nous avons plus que jamais besoin d’un parquet européen. »

Le parquet européen prendra ses fonctions en 2018

Le Parlement européen a adopté le 6 octobre le parquet européen, qui entrera en fonction en 2018 et sera chargé d’enquêter sur les fraudes liées au budget européen.

Les eurodéputés se sont par ailleurs indignés du fait que ce double meurtre soit le deuxième visant un journaliste d’investigation en six mois sur le sol européen. Le 16 octobre dernier, la Maltaise Daphne Caruana Galizia avait été tuée dans l’explosion de sa voiture près de son domicile.

« Deux journalistes d’investigation respectés ont été assassinés en Europe ces six derniers mois. Cela montre jusqu’où sont prêts à aller les membres du crime organisé pour dissimuler leurs activités financières et pourquoi le travail des journalistes d’investigation est vital », a quant à lui déclaré l’eurodéputé britannique Claude Moraes (S&D).

Projet Daphné

Le blog de Daphne Caruana Galizia était le plus lu de l’île. Elle y dénonçait la corruption du gouvernement et travaillait sur un réseau de corruption de haut niveau, impliquant des hommes politiques maltais. Le Premier ministre en fonction depuis 2013, Joseph Muscat, était la principale cible des articles de la journaliste.

Dix-huit médias internationaux, réunis sous le nom de « Forbidden stories » (« Histoires interdites »), ont alors décidé d’enquêter sur son meurtre et de poursuivre les travaux d’investigation de la journaliste. Un projet qu’ils ont rebaptisé « Projet Daphne ».

Pour Laurent Richard, rédacteur en chef de la société de production Premières lignes et initiateur de Forbidden Stories, il s’agit « d’adresser un message fort aux ennemis de la presse, en disant que ça ne servira à rien de s’en prendre [à un journaliste] parce que, derrière, il y a 10, 20, 30 journalistes qui sont prêts à prendre le relais. »

L’équipe a commencé à dévoiler le 17 avril les résultats de leur enquête conjointe. Le Monde, qui fait partie du consortium, relate notamment que la piste de commanditaires politiques pour ce meurtre a été écartée par la police. Pourtant, le ministre de l’Économie, Chris Cardona, a été vu dans un bar du centre de l’île avec l’un des assassins supposés quelques semaines après le meurtre. Niant en bloc le rendez-vous, le ministre a ensuite ajouté « ne pas se souvenir » s’il avait pu les rencontrer de manière fortuite. Par ailleurs, les trois assassins supposés n’avaient aucun lien avec la victime.

« Forbidden Stories » continuera dans les prochains jours à publier plusieurs volets de l’enquête de la journaliste, qui voulait lever le voile sur des affaires de blanchiment d’argent et de corruption. Ces révélations ont secoué le parlement maltais, l’opposition demandant au gouvernement de « faire la vérité et d’arrêter de nuire à la réputation du pays », cite Le Monde.

L’Europe choquée après l’assassinat d’une journaliste à Malte

L’assassinat de Daphne Caruana Galizia, la journaliste d’investigation maltaise notamment à l’origine d’accusations de corruption qui avaient provoqué des élections anticipées en juin, provoque une vague d’indignation en Europe.

Situation alarmante

Le meurtre de ces trois personnes, en l’espace de six mois seulement, a choqué tout le continent et rappelle que la situation des journalistes est alarmante dans de nombreux pays.

Dans son rapport annuel, publié en décembre dernier, Reporters sans frontières (RSF) affirme que 65 journalistes ont été tués dans le monde en 2017. Une tendance à la baisse, qui s’explique en partie par « la prise de conscience croissante de la nécessité de mieux protéger les journalistes et la multiplication des campagnes menées en ce sens par les organisations internationales et les médias eux-mêmes ».

Cette tendance s’explique aussi par le fait que les pays trop dangereux se vident de leurs journalistes. Les pays les plus meurtriers pour cette profession sont la Syrie, le Mexique et l’Afghanistan. Les pays peu respectueux de la liberté de la presse n’hésitent pas non plus à emprisonner les journalistes. Ainsi, en 2017, 365 journalistes se sont retrouvés derrière les barreaux, dont 52 seulement en Chine.

« Les journalistes sont les vigies de nos sociétés démocratiques, ils ont le droit de poser des questions qui dérangent, de mener l’enquête, de réaliser des reportages. C’est ce que faisait Ján Kuciak et c’est pourquoi il a été assassiné […] chaque État a le devoir de s’assurer que la protection du journalisme est une réalité », a conclu Julian King.

Le Parlement européen appelle à la fin de l’état d’urgence en Turquie

Le Parlement européen a condamné jeudi la détérioration de l’État de droit en Turquie et réclamé la fin de l’état d’urgence, prétexte à des arrestations jugées arbitraires d’opposants et de journalistes.

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