Espagne

ETA : un mea culpa trop théâtral pour être honnête

Quelques jours avant son autodissolution prévue début mai, l’organisation terroriste basque a publié vendredi un communiqué en forme de pardon aux victimes, mais dans lequel elle établit une hiérarchie entre ses victimes.
par François Musseau, correspondant à Madrid
publié le 20 avril 2018 à 19h20

«Nous sommes conscients d'avoir provoqué une grande douleur pendant une longue période, y compris des dommages irréparables. Nous voulons exprimer notre respect aux morts, aux blessés et aux gens ayant souffert des actions d'ETA. Nous le regrettons véritablement.» Vendredi, par le biais des journaux nationalistes Gara et Berria, les pistoleros moribonds de la dernière organisation terroriste existant sur le sol européen se sont livrés à un acte de contrition. Comme jamais au cours de leur histoire sanglante. En un demi-siècle de lutte armée (la naissance de l'organisation remonte à 1959, le premier attentat en 1968), ETA, responsable de 850 morts, Euskadi ta Askatasuna – Pays basque et Liberté, plus connu sous l'acronyme ETA – a fait son premier véritable mea culpa.

Jusqu'alors, notamment depuis l'annonce de «la cessation définitive de l'activité armée» en 2011, les séparatistes basques avaient multiplié les communiqués alambiqués où s'égrainaient des bribes d'autocritique. Cette fois-ci, le ton est différent, bien moins sournois et cruel qu'à l'accoutumée. Cette «souffrance n'aurait jamais dû se produire, et n'aurait pas dû se prolonger autant», ajoute le communiqué.

Ultime mise en scène

Depuis les premiers attentats pendant les dernières années de la dictature franquiste, les dirigeants d’ETA ont toujours aimé tréâtralisé leurs faits d’armes – selon leurs termes –, de «lâches attentats» aux yeux de l’immense majorité des Espagnols. Aujourd’hui agonisants, à la veille de leur disparition définitive, les leaders de ce qu’il reste de cette organisation qui, pendant quarante ans, a été le cauchemar de l’Espagne, tentent une ultime mise en scène : le rituel du pardon aux victimes, préambule à l’autodissolution, prévue et annoncée pour le premier week-end de mai. Les dates ont bien été choisies : ce sera un an exactement après leur désarmement, validé par des observateurs internationaux.

Il s'agit pour les terroristes de ne pas tirer leur révérence dans l'anonymat le plus complet. En clair, ils cherchent une forme d'onction internationale à leur sortie de scène. «Cette autocritique est un fait sans précédent et une contribution définitive à la paix», a ainsi déclaré, vendredi, Arnaldo Otegi, leader de la formation séparatiste Bildu (ex-bras politique d'ETA). Mais pour la classe politique, et notamment le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, ne voit pas les choses de la même manière : «Ce communiqué est la conséquence de la défense acharnée de l'Etat de droit.» Et, pour le leader socialiste Pedro Sánchez, «une amère victoire de la démocratie sur ETA».

La contrition des terroristes basques n'est toutefois pas pleine et entière. Peu avant sa reddition définitive, ETA n'accepte toujours pas l'idée très largement partagée du «tout ça pour rien». Les séparatistes veulent signifier que leurs actions terroristes furent une réaction à la violence de la dictature franquiste. «C'est une façon pour eux de se dédouaner, souligne Jesús Maraña du site Infolibre. Leur thèse est qu'ils sont seulement le produit d'une réaction en chaîne. Et non pas, comme nous le pensons majoritairement, l'émergence d'une folie meurtrière, qui peut certes s'expliquer pendant la dictature, mais dont la poursuite ne peut en aucun cas se justifier au sortir du franquisme, alors même que l'avènement de la démocratie a décrété une amnistie générale.» Dans le communiqué, les pistoleros basques ont aussi évoqué les «actions violentes que personne n'a jamais revendiquées et qui n'ont jamais été éclaircies». Une claire référence aux «opérations répressives » de la Garde civile et de la police nationale, les principales cibles d'ETA dès les années 70. Tout est mis dans le même sac : les assassinats commis par les GAL, ces groupes paramilitaires et parapoliciers qui ont sévit entre 1983 et 1987 ; les tortures ; les morts accidentelles d'artificiers séparatistes…

«Il n’y a eu que des victimes et des bourreaux»

Dans ce mea culpa, les derniers dirigeants d'ETA établissent deux poids deux mesures parmi les victimes. D'une part, «ces citoyens et citoyennes qui n'ont aucune responsabilité» : «pour eux, nous demandons pardon» ; de l'autre, tout le reste, policiers, gardes civils, élus municipaux, partie prenante du «conflit» aux yeux des terroristes basques. Ce qui, vendredi, provoquait la réaction de colère de beaucoup. A commencer par le chef de l'exécutif basque, Iñigo Urkullu, un nationaliste modéré : «ETA doit la même considération à toutes les victimes, sans faire aucune différence.» Quant à María del Mar Blanco, sœur d'un élu assassiné en 1997 et présidente de l'Association des victimes du terrorisme, elle a explosé de rage : «Avec ce communiqué, ETA justifie la mise sur le même plan des innocents, comme mon frère, et des cinglés de leur camp. En réalité, dans cette horreur, il n'y a eu que des victimes et des bourreaux.» Par cette insidieuse rhétorique qu'accompagne son mea culpa, ETA ne cherche pas autre chose : donner un sens politique à une tragédie inutile dont l'organisation est la seule responsable.

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