Publicité

«Il a fallu que notre fils soit abattu pour qu’on réagisse»

Présents au festival du film de Tribeca, à New York, les parents de Trayvon Martin, tué en 2012 dans des circonstances troubles, dénoncent les violences anti-Noirs et la discrimination dont sont victimes les Afro-Américains dans une Amérique divisée

Les parents de Trayvon Martin, tué en 2012 dans des circonstances troubles, dénoncent les violences anti-Noirs  — © Erik Tanner
Les parents de Trayvon Martin, tué en 2012 dans des circonstances troubles, dénoncent les violences anti-Noirs  — © Erik Tanner

Les parents de Trayvon Martin ont fait le déplacement. Vendredi soir, à New York, dans le cadre du festival du film de Tribeca, qui venait de projeter le documentaire Rest in Power: The Trayvon Martin Story, ils étaient là pour parler de leur fils, abattu à l’âge de 17 ans par un vigile, George Zimmerman, le 26 février 2012, lors d’une ronde dans un quartier de Sanford (Floride). George Zimmerman était armé, Trayvon Martin pas. George Zimmerman était Blanc, de père américain et de mère péruvienne; Trayvon Martin, Noir. Un Noir à capuche, qui n’avait ce jour-là pour seules armes qu’un paquet de bonbons Skittles et une bouteille de thé froid.

Arme vendue aux enchères

Cette affaire a secoué les Etats-Unis. Elle a déclenché des tensions raciales, qui se sont envenimées en juillet 2013, quand l’ex-vigile a été acquitté. Il était parvenu à convaincre qu’il avait agi en «légitime défense», alors que des enregistrements audios de la police, diffusés dans le documentaire, démontrent que le jeune Noir avait crié à l’aide. Ses parents ont reconnu sa voix. George Zimmerman, qui faisait partie d’un groupe de surveillance de quartier, était par ailleurs connu pour dénoncer régulièrement, et de manière abusive, des «comportements suspects» à la police, toujours le fait de Noirs.

C’est dans ce contexte que le mouvement Black Lives Matter, qui défend les droits des Afro-Américains, a puisé sa sève. Et comme si la peine de la famille ne suffisait pas, le tueur s’est rendu coupable d’un nouvel acte abject en 2016: il a vendu le pistolet Kel-Tec PF-9 avec lequel il avait tué l’adolescent pour 250 000 dollars, lors d’une vente aux enchères très prisée organisée par United Gun Group. George Zimmerman a indiqué qu’une partie de la vente servirait à «combattre la violence contre les représentants de l’ordre». Il avait clairement Black Lives Matter dans le viseur.

«Si j’avais un fils…»

Confronté à cette affaire sensible, Barack Obama avait lâché à propos du drame: «Si j’avais un fils, il ressemblerait à Trayvon Martin.» Plus important, il a rappelé que le système pénal américain était souvent en défaveur des Afro-Américains. Mais, depuis, d’autres affaires de brutalités anti-Noirs et de tueries injustifiées ont eu lieu, avec à chaque fois, un risque élevé d’embrasement. En 2014 par exemple, Eric Gardner, un père de six enfants, a été tué par un policier blanc de Staten Island, à New York, asphyxié. Il n’y a jamais eu de procès, juste une importante indemnisation pour la famille. Cette affaire fait également l’objet d’un documentaire.

Vendredi soir, Sybrina Fulton et Tracy Martin portaient un t-shirt rouge avec une photo de leur fils Trayvon en hoodie, les fameux sweats à capuche que sa mère avait en horreur. Le documentaire s’est basé sur leur livre, du même titre, paru l’an dernier. Sybrina Fulton et Tracy Martin sont divorcés depuis 1999, mais unis dans leur peine. Ils ont eu droit à une standing ovation quand ils sont montés sur scène. Quelques minutes avant, ils s’étaient prêtés à une séance photo avec l’emblématique Robert De Niro, cofondateur du festival de Tribeca. C’est le rappeur Jay Z, très touché par ce drame, qui a produit le documentaire. Cinq autres épisodes seront diffusés à la télévision.

«Ni le premier ni le dernier»

«Il a fallu que notre fils soit abattu pour qu’on réagisse, qu’on défende nos droits. Nous sommes là pour lui, mais aussi pour tous les autres Trayvon Martin qui continuent à être victimes de violences injustifiées», a dénoncé la mère, très forte, venue entourée des siens. Ses parents et son deuxième fils étaient là, ainsi que d’autres mères qui ont perdu leur enfant dans des circonstances troubles. «Le culte des armes aux Etats-Unis doit changer!» a-t-elle insisté. Sybrina Fulton rappelle que son fils n’a pas été la première victime de violence anti-Noirs, et qu’il n’est pas le dernier. Le nom d’Emmett Till a été prononcé plusieurs fois. Celui d’un adolescent afro-américain assassiné dans le Mississippi en août 1955, dont les tueurs ont également été acquittés. Son meurtre est un des événements qui ont provoqué l’essor du mouvement afro-américain des droits civiques.

Plus posé, le père, Tracy Martin, a rappelé que la récente fusillade dans une école de Parkland, en Floride, était en train de faire bouger les fronts, grâce à la mobilisation des jeunes rescapés, «parce que ce drame a touché les Etats-Unis en plein cœur». «Trayvon, lui, n’avait pas touché les Etats-Unis en plein cœur: il représentait le ghetto.» Pour tous deux, le combat continue. «Parce que nous ne pouvons pas nous taire face à ces drames. Parce que l’Amérique doit changer.» «Il est temps que les Blancs sortent de leur cachette, quittent leur zone de confort et regardent en face la réalité du racisme et des discriminations sociales aux Etats-Unis», a rajouté l’un des réalisateurs, Jenner Furst, en dénonçant la suprématie blanche. Avec un mot d’ordre au public: «Pour que les choses changent, allez voter!»