En ce moment

    20/04/2018

    « La justice ne m’a pas reconnue en tant que victime »

    J’ai été violée, mais comme j’ai fait du porno tout le monde s’en fout

    Par Marion Bogaert

    Marion Bogaert travaillait dans le porno quand elle a été violée par un voisin dans sa propre chambre. Ni la police, ni la justice, ni le responsable de son internat ne l’ont prise au sérieux.

    Le 29 décembre 2012, j’accueillais dans ma chambre un mec que je pensais être mon ami. C’était le premier qui m’avait pris sous son aile quand je suis arrivée à l’internat pour suivre une formation professionnelle. On était même sorti ensemble pendant deux semaines, une petite amourette à la con. Ce soir-là, il a pété un câble et m’est passé dessus. Il m’a violée.

    J’ai passé une nuit de merde. Au début, je ne voulais pas porter plainte. Parce que je savais ce qui m’attendait, qu’on n’allait pas me prendre au sérieux. Et parce que j’avais honte d’arriver et de dire : « Je “représente le sexe” – parce que c’est ça quand tu es actrice porno – et je me plains parce que je me suis fait violer. » À cette époque, je travaillais dans le porno. J’avais tourné quatre ou cinq films. Le lendemain, mes amis m’ont convaincue d’aller porter plainte.

    Affiche porno au comico

    Au commissariat de la rue Brisout de Barneville, à Rouen, j’ai été reçue par un policier qui avait un joli drapeau « On dit merci qui ? Jacquie & Michel » sur son bureau. Jacquie & Michel, c’est la première prod pour laquelle j’ai travaillé. Quand tu viens porter plainte pour viol et que tu vois des posters de cul, je trouve ça très malavisé. Dès le départ, je préférais être claire, pour ne pas qu’on m’accuse de mentir : j’ai dit que je travaillais dans le porno. Pendant une demi-heure, il m’a fait la morale, en disant : « Vous savez, si ce que vous dites est faux, c’est vous qui irez en prison, ce n’est pas bien de faire ça. » Dans le service, il n’y avait que des bonhommes. Les seules femmes que j’ai vues dans le processus de prise en charge, c’est l’assistante sociale du commissariat et le médecin légiste qui a fait les prélèvements.

    Une semaine après, l’autre cinglé qui m’a violée était derrière ma porte, à me menacer pour que je retire ma plainte. J’ai appelé le directeur de l’internat. Au lieu de venir me voir, il est allé dans la chambre de l’autre barge, qui lui a montré mes films de cul. Puis le directeur est venu dans ma chambre et m’a dit :

    « Madame Bogaert, je sais ce que vous avez fait. Vous êtes une salope. La trêve hivernale prend fin dans un mois, je veux que vous partiez. »

    J’ai été mise à la porte parce que je faisais des films de cul et que j’avais porté plainte pour viol. Par la suite, je suis resté un an sans réponse. J’ai fini par appeler le tribunal. On m’a dit : « Vous n’êtes pas au courant ? L’affaire est mise au placard. » J’ai appris qu’il avait été mis en garde à vue un an après les faits. Il y avait des preuves : les prélèvements du médecin légiste. Pourtant l’affaire a été classée sans suite, et je n’ai pas reçu un seul courrier. Je n’étais même pas au courant.

    Les travailleuses du sexe ne sont pas prises au sérieux

    Personne ne m’a prise au sérieux. J’étais une pauvre conne qui faisait des films de cul et osait se plaindre pour viol. J’avais une belle carrière qui m’attendait. Une prod américaine m’avait proposé d’aller tourner là-bas. Ce viol a tout bousillé. Je n’ai plus jamais refait de porno. J’ai subi une double agression : je me suis fait violer et la justice ne m’a pas reconnue en tant que victime. Il y a deux ans, j’ai contacté une avocate qui a repris l’affaire. Elle est habituée de ces histoires-là : malheureusement, je ne suis pas la seule. Elle a été amenée à défendre des prostituées qui se sont fait violer. C’est exactement le même parcours du combattant. Les travailleuses du sexe qui se font agresser, comme moi, ne sont pas reconnues.

    Propos recueillis par Timothée de Rauglaudre

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER