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Femmes

Inégalités salariales hommes-femmes : qui sont les mauvais élèves?

EXCLUSIF Marlène Schiappa avait présenté le «name and shame» comme un outil de lutte contre les inégalités professionnelles et salariales entre les femmes et les hommes. A une semaine de la présentation de la loi «pour la liberté de choisir son avenir professionnel», Challenges a enquêté sur ces entreprises qui ne respectent pas l’égalité professionnelle.

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La secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa le 31 octobre 2017 à Paris

Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat aux Droits des femmes

AFP/Archives - JOEL SAGET

Comment pousser les entreprises françaises à respecter l’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes ? La secrétaire d’Etat aux droits des femmes, Marlène Schiappa, a envisagé, à l’automne dernier, d’utiliser la méthode très anglo-saxonne du «name and shame». Elle consiste à dénoncer publiquement une entreprise ou un individu pour l’amener à changer ses mauvaises pratiques. Utilisée dans les années 80 contre les marques pour lutter contre l’apartheid en Afrique du Sud, puis par des associations environnementales comme Greenpeace, son usage est défendu par le conseiller régional EELV Julien Bayou et l’association féministe Les Effronté-e-s sur l’égalité professionnelle. Ils ont demandé, dès 2015, au ministère des Droits des femmes la publication de la liste des entreprises mises en demeure et sanctionnées par l’Inspection du travail pour non-respect de la loi en matière d’inégalités salariales. Demande rejetée une nouvelle fois le 15 mars 2018 alors que 160 entreprises auraient été épinglées à ce jour.

Les rapports et les accords égalité bâclés

Pour un "name and shame" efficace, il faut des entreprises ou marques célèbres qui ne respectent pas la loi ou ont été sanctionnées. La loi sur l’égalité professionnelle s’est durcie en 2012 quand la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem a introduit une petite révolution : toutes les entreprises de plus de 50 salariés ont été appelées à négocier un accord relatif à l’égalité professionnelle avec les représentants du personnel, contenant des mesures favorisant l’articulation entre vie privée et professionnelle, les promotions des femmes et la mise en place d’une «enveloppe de rattrapage salarial», soit une somme dédiée aux augmentations des femmes injustement oubliées. Pourtant cette nouvelle obligation de moyens s’est dans la pratique soldée par un semi-échec. Effrayées par le coût de ces rattrapages salariaux, beaucoup d’entreprises ont refusé de jouer le jeu. «Seules 34% des entreprises de 50 à 299 salariés ont signé un accord», rappelle la «contribution au tour de France de l’égalité» du CESE publiée en janvier 2018. La faute aux négociateurs qui «méconnaissent souvent cette thématique» et aux entreprises qui ne veulent pas faire d’efforts coûteux ou contraignants. «Les plans et accords ont souvent des contenus similaires, ce sont de simples rappels à la loi sans objectif, stratégie, ni indicateurs chiffrés pour parvenir à l’égalité», regrette le CESE. Alors qui sont les mauvais joueurs ?

Engie, par exemple, a beau avoir été la première entreprise du CAC 40 à avoir une femme, Isabelle Kocher, comme directrice générale, elle n’est pas un modèle. L’entreprise a vu son accord 2015-2017 retoqué par l’Inspection du travail, faute d’objectifs chiffrés. La direction a dû relancer une négociation. Le nouvel accord signé en décembre dernier s’intéresse enfin à la mixité des métiers et au déroulement de carrière.

Autre fleuron national, EDF avait obtenu un très bon accord en 2014 qui lui avait valu le «Label égalité professionnelle». Depuis, elle l’a perdu mais l’affiche toujours sur son site. Le nouveau texte signé en 2017 «constate un écart de salaires général de 17% et une partie injustifiée de 5% selon nos calculs, mais aucune enveloppe dédiée au rattrapage salarial n’a été prévue, c’est du gâchis», se désole Muriel Marcilloux, animatrice de la commission femmes mixité chez EDF.

Les métiers d’ingénieurs dans le viseur

Les métiers informatiques, les nids d’ingénieurs, sont souvent des mauvais élèves de l’égalité professionnelle. Alcatel-Lucent s’est aussi fait retoquer son précédent accord faute de chiffres, selon un document de l’Inspection du Travail que Challenges s’est procuré. L’entreprise – absorbée par le suédois Nokia depuis - a ensuite joué le jeu, mais elle est en pleine négociation d’un plan de sauvegarde de l’emploi. «Dans ce genre de moment, on ne peut plus rien en attendre», rappelle un syndicaliste.

STMicroelectronics passe aussi par un plan de départs volontaires en ce moment, mais c’est un accord signé en 2014 par la CFDT uniquement qui a causé quelques dégâts. «Il estimait qu’il n’y avait pas d’écarts de salaires, que chaque salarié était noté individuellement et récompensé en entretien individuel de fin d’année, l’enveloppe de rattrapage était de 0,1% de la masse salariale, à mille lieues de l’enjeu dans cette entreprise», raconte une représentante CGT. Qu’à cela ne tienne, une dizaine de salariées, moitié ingénieures et cadres et moitié techniciennes ont lancé deux procédures en discrimination aux prud’hommes, bien décidées à faire reconnaître qu’elles ont subi une discrimination dans leurs carrières, ont-elles expliqué à Challenges.

Du "féminisme washing" ?

En matière d’égalité, la SNCF sait s’arranger avec les chiffres. «En 2016, l’entreprise avançait n’avoir que 4% d’inégalités salariales dans son accord, mais c’est en mélangeant les choux et les carottes. Il y a 12% d’inégalités dans la région Midi-Pyrénées par exemple», explique Maryse Thaëron, élue CGT qui a commandé une nouvelle étude égalité au cabinet de conseil Mercer. L'accord de la SNCF 2015 a d’ailleurs été mis en demeure par l’Inspection du Travail, faute d’indicateurs chiffrés et d’objectifs de progression. Dans les recrutements, il y a moins de femmes recrutées proportionnellement parmi les conducteurs de trains que de candidates. «Quand on demande à la direction pourquoi, elle répond que les femmes sont plus littéraires. Ici, les stéréotypes sont encore à l’œuvre». La SNCF a d’ailleurs été condamnée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, pour discrimination en raison du sexe en novembre 2017. Une ancienne agente, entrée dans l’entreprise en 1980 et devenue la première femme contrôleuse de trains, a noté des remarques sexistes, une agression par un collègue ivre, une promotion au statut de cadre retardée et un écart de salaire avec ses collègues masculins de 700 euros a été attesté. La SNCF a été sanctionnée dans une deuxième affaire concernant une salariée par la cour d’appel de Montpellier, selon nos informations. Questionnée sur le sujet, l’entreprise nous renvoie vers le réseau SNCF au féminin… qui ne s’occupe que des cadres.

Même petit jeu chez l’assureur AXA, récompensé par le «Label diversité», qui participe à des évènements en faveur de l’entrepreneuriat féminin pour tenter de féminiser sa clientèle. Mais la société, qui emploie 54,5% de femmes, ne compte que 16% de dirigeantes d’agences, selon un salarié de l'entreprise. Cette différence de postes se ressent forcément sur les salaires. Dans un article du Monde de janvier dernier consacré au «féminisme washing», AXA annonçait «moins de 3%» d’écart de salaire. «L’écart total serait plutôt de 25%» à partir des calculs d’une élue CGT, Nadine Garcia. Contacté par Challenges, AXA a refusé de communiquer les salaires fixes moyens des femmes et des hommes.

Procédures aux prud’hommes

Si les partenaires sociaux ne se mettent pas d’accord aux sein des entreprises, le débat risque de se déplacer devant les tribunaux. Car, de l’industrie à la banque, des entreprises du CAC 40 aux PME, les procès en discrimination se multiplient depuis une dizaine d’années. Comme les motifs de recours : inégalités strictes de rémunération, retard dans l’évolution professionnelle, retours de congés maternité mal gérés ou licenciements abusifs...

La première affaire majeure remonte à 2009 quand l’équipementier aéronautique Hispano-Suiza (une société du groupe Safran) a été condamnée pour discrimination en raison du sexe, accusée d’avoir freiné le déroulement de carrière d’une ouvrière avec 28 ans de boite au compteur.  «Pour démontrer ces inégalités, nous utilisons la méthode Clerc qui compare l’évolution de carrière d’une femme à celle 5-6 collègues hommes entrés dans l’entreprise la même année avec un même niveau de diplôme, (le tout représenté graphiquement par un nuage de points, ndlr)», témoigne maître Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate spécialisée du sujet. «Les discriminations sont plus fréquentes qu’on ne pourrait le penser».

Dans «Un quart en moins», l’ouvrage de référence sur la discrimination au travail, la chercheuse Rachel Silvera fait témoigner une dizaine de femmes, passées par un long parcours de combattante en entreprise, la plupart dans des secteurs très masculins, puis au tribunal. Elles ont comme point commun d’avoir toutes été de bonnes élèves et d’avoir mis du temps à réclamer leur dû, une promotion ou une augmentation… mais aussi d’avoir gagné leurs procédures, souvent en appel. Selon plusieurs décisions de justice que Challenges s’est procuré, la RATP, le Bureau Veritas, la SNCF et Colgate-Palmolive ont été condamnés définitivement pour discrimination en raison du sexe envers une salariée. En juin 2015 par exemple, la Cour d’appel de Paris a condamné la RATP pour discrimination en raison du sexe et du travail à temps partiel contre Laure Thibaut, diplômée de Polytechnique. L’entreprise a dû payer une amende conséquente et la repositionner au niveau de «cadre supérieur», un poste qui correspondait à ses compétences.

Plus dur chez les cadres ?

Les femmes cadres s’impatientent en particulier dans les secteurs concurrentiels où la prime est une grosse composante du salaire et une source majeure d’inégalités. En 2010, la Cour d’appel de Paris a ainsi condamné BNP-Paribas à verser 351.000 euros à une salariée brillante, diplômée d’HEC, dont la carrière a été ralentie par ses congés maternité. L’affaire Marie-Guyty Niel – du nom de la plaignante - a fait date car la Cour d’appel a relevé «une inégalité générale de traitement entre les hommes et les femmes dans l’entreprise». Depuis la banque s’efforce de gommer ces inégalités, mais elle est de nouveau sous le coup de poursuites pour discrimination en raison du sexe… Preuve que le sujet est complexe. La Société Générale et le Crédit Lyonnais ont également été condamnés pour discrimination en raison du sexe.

«Heureusement, il y a aussi des DRH intelligents et réactifs», se souvient Emmanuelle Boussard-Verrecchia qui a accompagné la CFDT dans la négociation au sein d'Oracle France, une entreprise de tech américaine. «Il ont accepté qu’il y avait des inégalités, on a négocié la mise en place d'un rattrapage salarial conséquent. On n'en a plus reparlé».

Selon nos informations, d’autres poursuites en discrimination aux prud’hommes sont en cours contre le Crédit Suisse, le Crédit agricole, IBM, Sopra Steria, STMicroelectronics, les Galeries Lafayette, PSA, KPMG et Sodexo. Les entreprises condamnées sauront-elles apprendre de ces cas individuels pour changer leurs pratiques ?

Si vous avez des documents (rapports de situation comparée et accord relatif à l’égalité professionnelle) ou des témoignages de procédures aux prud’hommes sur ce sujet, contactez-nous : llejeune@challenges.fr

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