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    16/04/2018

    « Un policier me hurlait : "Fils de pute retourne dans ton pays" tout en me donnant des coups de poing »

    Bavures en série au centre de rétention du Mesnil-Amelot : 27 plaintes en 2017

    Par Tomas Statius , Tommy Dessine

    Insultes racistes, passage à tabac loin des caméras, crachat au visage... StreetPress s'est procuré 27 plaintes pour violences policières, déposées par des étrangers retenus au centre de rétention du Mesnil-Amelot, pour la seule année 2017.

    Mesnil-Amelot (77) – Au bout des pistes de l’aéroport de Roissy, la grande bâtisse aux fenêtres striées de barreaux a tout d’une prison. Derrière les hauts murs qui enserrent le centre de rétention administrative (Cra), près de 160 sans-papiers attendent une possible expulsion, soumis aux humeurs des policiers chargés des lieux. Crachat au visage, insultes à caractère raciste, étranglements, passages à tabac, mais aussi brimades et humiliations, ici les abus des fonctionnaires sont légion. StreetPress s’est procuré 27 plaintes, déposées au cours de la seule année 2017, par des étrangers « retenus » dans cette prison qui ne dit pas son nom.

    La grande majorité – 13 plaintes – concerne des faits de violence commis à l’intérieur même du centre. « L’un deux [un policier] m’a fait un balayage des jambes et m’a frappé avec le coude au niveau de la mâchoire », écrit ainsi Ryad (1). « [Un policier] chauve a commencé à me frapper très fort, surtout au visage. (…) Un troisième policier a utilisé un taser sur moi. J’ai tremblé et je suis tombé à terre inconscient », relate quant à lui Dawood (1). Sept témoignent de violences policières commises lors de l’interpellation des retenus. « J’ai été poussé au sol et contre un mur. J’ai eu la main droite fracturée », explique par exemple l’un d’entre eux. Les sept restantes concernent des violences commises durant des expulsions (cinq plaintes) ou des transferts (deux).

    Existe-t-il d’autres plaintes dont nous n’avons eu connaissance ? Contacté par StreetPress, le procureur de la République de Meaux n’a pas été en mesure de nous répondre. Il précise cependant qu’aucune n’a, à ce jour, aboutit à une condamnation. Plusieurs retenus font, par ailleurs état de pression et de leur inquiétude à l’idée de témoigner contre la police. Comme Diame (1) :

    « J’ai mis un peu de temps car j’avais peur des représailles. »

    Ces plaintes livrent toutefois un aperçu brut de la violence qui règne derrière les grilles de la plus grande prison pour sans-papiers de France.

    Tasé à la volée

    Au printemps 2017, Adrian (1) reçoit une heureuse visite. Sa fille et sa femme ont décidé de venir le voir. Cela fait trois semaines que ce citoyen roumain est enfermé au centre de rétention administrative, dans l’attente de son expulsion. Au distributeur du centre, Adrian achète des chocolats pour les offrir à sa môme. Alors qu’il s’apprête à les lui donner, « quatre policiers (deux hommes et deux femmes) sont entrés. Ils ont commencé à me coller de force contre la porte. Ils m’ont pris à la gorge, m’ont frappé », raconte Adrian :

    « [Puis] les policiers m’ont emmené hors de la salle de visite. L’un d’eux m’a mis des coups de poing à la tête et à l’abdomen et m’a cogné la tête contre le mur. Une des policières, qui avait des cheveux teintés de rouge, m’a craché dessus. »

    Quand il annonce vouloir saisir la justice, l’un des policiers l’aurait menacé. « Il m’a dit que si je portais plainte, j’irais en prison », avant de détruire son téléphone d’un coup de talon, soutient le jeune homme.

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    « Un policier m’a étranglé au niveau de la porte d’entrée, près de la machine à café » / Crédits : Tommy Dessine

    C’est une histoire de café, cette fois, qui a valu à Dawood une altercation avec les officiers de police du centre. À l’été 2017, le jeune homme d’une vingtaine d’années s’approche des deux policiers qui gardent l’entrée de la zone de vie du Cra. Il veut simplement acheter un expresso à la machine à café, installée juste derrière eux :

    « Les policiers répondent “No coffee, no coffee”. »

    Dawood proteste. Les esprits s’échauffent. Les fonctionnaires le frappent au visage, affirme-t-il. Avant qu’un tir de taser ne le mette K.O. Dawood est ensuite emmené aux urgences. A son retour, il est menotté aux poignets et aux chevilles. Les policiers lui auraient même enfilé un casque sur la tête. Ainsi entravé, il aurait passé la nuit dans l’une des cellules d’isolement du centre.

    Vie quotidienne

    Dawood et Adrian ne sont pas les seuls à avoir passé un sale quart d’heure. Une demi-douzaine de plaintes décrivent des scènes similaires. À la lecture de ces PVs, ce sont les contours d’une violence inscrite dans la vie quotidienne du centre qui se dessine. Diame a reçu des claques alors qu’elle sortait de sa chambre. Amina (1), quant à elle, venait chercher le petit-déjeuner quand « deux policiers, un homme et une femme sont arrivés » :

    « Sans un mot, la femme m’a fait une clé de bras très douloureuse et m’a attrapé par le cou alors que je ne me débattais pas. »

    Des larmes coulent sur les joues de la jeune femme. La policière lui explique alors que l’heure du petit-déjeuner est passée.

    « Un policier m’a étranglé au niveau de la porte d’entrée, près de la machine à café », écrit de son côté Saïd (1) dans une plainte déposée à l’hiver 2017. L’ado, pressant, voulait faire de la monnaie au bureau de l’office français pour l’immigration et l’intégration, pour acheter un soda, affirme-t-il. Le policier a peu goûté son impatience. C’est au seuil de la lingerie que Marwan (1), lui, a eu affaire aux policiers. Fin février 2017, à 9h, le jeune tunisien est en route pour faire sa lessive quand « un policier a donné un coup de pied dans mon linge ». Le fonctionnaire demande au jeune homme de sortir de la pièce. Ce dernier refuse :

    « Il m’a étranglé contre le mur en me maintenant d’une main à la gorge, de l’autre le poignet et avec son genou contre mon ventre.  »

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    A l’abri des regards

    Selon plusieurs retenus, les policiers mettent également en place des stratégies pour ne pas laisser trop de traces quand ils dépassent les bornes. Lakdar (1) raconte ainsi que les fonctionnaires l’ont emmené en « salle de visite », loin des caméras, pour lui administrer une correction.

    Selon d’autres, c’est plutôt en cellule d’isolement que se déroule une partie des violences. Comme pour Bogdan (1). Avril 2017 vers 17h, il est dans les bureaux de l’OFII, quand son interlocuteur lui demande d’aller chercher sa carte de retenu qu’il a oublié dans sa chambre. En revenant, il tombe sur un policier. « Ho, tu vas où toi ? », interroge ce dernier. Le jeune homme, originaire de Roumanie rétorque qu’il est attendu. Le fonctionnaire conteste et le repousse. Le ton monte. Bogdan est frappé au torse, déclare-t-il, avant de subir « une clé d’étranglement ». Le jeune homme aurait ensuite été envoyé au mitard pour un quart d’heure. Le temps pour cinq policiers de lui demander de s’excuser. « Sinon c’est 45 jours au mitard. On est pas en Roumanie, ici », aurait lancé l’un des fonctionnaires.

    Momo le terrible

    Dans les couloirs du Mesnil-Amelot, son nom circule souvent, mais à demi-mot. « Momo » ou Mohammed, est l’un des policiers en civil affectés au Cra 3. Deux plaintes le visent, comme celle de Baccar (1). Après avoir séparé ce presque quadragénaire de deux autres retenus qui tentaient de lui dérober ses affaires, Momo l’aurait emmené dans une salle d’isolement où il l’aurait menacé : « Moi je peux te taper ici, je peux te laisser ici, personne ne va rien voir. Il n’y pas de caméra ni personne. » Avant que son collègue ne lui donne une gifle.

    Mario (1) affirme avoir vécu une scène similaire. Tout part d’une complainte du jeune homme, plutôt mal en point, qui souhaitait se rendre à l’infirmerie. Avant de changer d’avis. Momo voit rouge. Il l’aurait poussé jusqu’au local où sont rangés les bagages des retenus, affirme le jeune homme. Devant cinq ou six policiers, Mohammed l’aurait frappé à plusieurs reprises. Face au protestation du jeune homme, les policiers opposent :

    « T’avais qu’à pas venir en France. »

    « You will go to Afghanistan, and you will cry »

    Plusieurs plaintes visent également des faits de violence commis au cours d’expulsions. Certains récits, plutôt détaillés, ont tout du calvaire. Comme Vlad (1), kosovar, dont la tentative d’expulsion avortée s’est achevée dans un déluge de violence. Pieds et poings liés, l’homme proteste au milieu d’une nuée de policiers et de passagers interloqués :

    « Un policier me tenait les pieds tandis qu’un autre en uniforme me hurlait dessus “fils de pute retourne dans ton pays” ou “ferme ta bouche sale chien” tout en me saisissant à la gorge et en me donnant des coups de poing sur le visage et derrière le crâne. »

    Il finit par descendre de l’avion, face aux protestations du commandant de bord. Ahmet (1) a vécu peu ou prou la même histoire. On l’emmène à l’aéroport. Lui aussi est attaché. Lui aussi proteste. « [Les policiers] menaçaient qu’ils me battraient si j’adressais la parole aux autres passagers. » Quelques minutes plus tard, les fonctionnaires joignent le geste à la parole, affirme le jeune afghan. Coups de poing, de coude, de genou et tentative d’étranglement pour l’empêcher de parler. Là aussi, le commandant de bord met fin au déluge de violence. « Tu vas voir, on va t’envoyer en Afghanistan et tu vas pleurer », bougonne finalement un policier.

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    « [Un policier] chauve a commencé à me frapper très fort, surtout au visage. » / Crédits : Tommy Dessine

    Idem pour Marek (1). On l’emmène du Cra de Metz à l’aéroport Charles-de-Gaulle. L’homme doit embarquer sur un vol à direction de Pristina (Kosovo). Le jeune homme, jambes croisées, est entravé en trois endroits « aux chevilles, aux genoux et aux cuisses. De sorte que ma circulation sanguine était coupée », explique-t-il dans son dépôt de plainte. Dans l’appareil, les policiers le frappent, à de nombreuses reprises, affirme Marek :  

    « Ils m’ont jeté sur les sièges du fond de l’avion (…) [puis] huit policiers ont commencé à me frapper. »

    Les coups durent presque 15 minutes, soutient le jeune homme. Les passagers sont choqués. Marek descend de l’avion :

    « Je n’arrivais plus à respirer. »  

    Encore une fois, l’expulsion sera repoussée et Marek atterrit au Cra du Mesnil-Amelot.

    Et la suite ?

    Malgré ces 27 plaintes déposées sur la seule année 2017, les chances de voir un procès sont minces. Contacté par StreetPress, le procureur de la République de Meaux, Dominique Laurens, indique que « la plupart » des plaintes ont été classées « sans suite dans la mesure où il est démontré qu’en réalité les violences alléguées sont commises dans le cadre d’une intervention justifiée. » Certaines sont encore en cours d’instruction. Quant aux plaintes relatives à des faits commis hors du Cra, elles ont été transmises au parquet compétent. Mais à notre connaissance, aucun de ces dossiers n’a – pour le moment – abouti à un procès.

    . Les prénoms ont été modifiés.
    Contacté par StreetPress, la Direction générale de la police nationale n’a pas répondu à nos questions et nous a renvoyé vers le Parquet.

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