Christian Makarian est directeur délégué de la rédaction de L'Express.

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Bruno Levy pour L'Express

La politique, outre-Rhin, est-elle en train de devenir une affaire de femmes ? La question paraît provocatrice, mais elle se pose après la consécration d'Andrea Nahles, élue à 66% le dimanche 22 avril présidente du SPD, le mythique parti social-démocrate (fondé en 1875 sous le nom de SAP, renommé SPD en 1890). L'ascension de cette fille de maçon, qui milite dans les rangs de son parti depuis la bagatelle de trois décennies, vient souligner le profond besoin de renouvellement du personnel politique auquel chacune des démocraties européennes répond à sa propre manière. Après le Brexit britannique, l'élection disruptive d'Emmanuel Macron et la dislocation de l'échiquier politique italien, le pays traditionnellement dévolu aux "trois K" (Kinder, Küche, Kirche - enfants, cuisine, Eglise) se rénove brusquement. De fait, Andrea Nahles, 47 ans, est divorcée, mère d'une petite fille de sept ans et catholique fervente, tout en cultivant un franc-parler sans complexe dans un milieu dominé par les hommes...

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"Le seul vrai mec du SPD"

Ce n'est pas par hasard qu'Andrea Nahles se voit ainsi plébiscitée ; le 24 septembre 2017, lors des dernières élections générales, le SPD, alors dirigé par Martin Schultz, a enregistré un des pires résultats de son histoire. Obstiné, le leader vaincu s'est maintenu en place le plus longtemps possible en affirmant qu'il refuserait de participer à une nouvelle coalition avec la CDU d'Angela Merkel. Après plusieurs mois de blocage, la solution a été trouvée... dans la conclusion d'une nouvelle coalition entre la CDU et le SPD. Exit Martin Schultz. Pour lui succéder, face au courant plus radical représenté par les jeunes du SPD (les Jusos), Andrea Nahles incarne les repères de la classe dirigeante classique tout en affichant une image proche du peuple susceptible de faire pièce aux sirènes populistes auxquelles cèdent de plus en plus d'électeurs allemands séduits par l'extrême-droite. Ministre du travail dans le gouvernement issu de la précédente coalition CDU-SPD (2013-2017), qui était également dirigé par la Chancelière Merkel, Andrea a mis en place le salaire minimum, au terme d'un long débat social en Allemagne, ce qui a fortement contribué à son aura et atténué sa réputation de "tueuse de rois". A titre de couronnement en tant que "Königin und Retterin" (reine et sauveuse) de la social-démocratie allemande, l'onction est venue du quotidien aussi fort en vulgarité qu'en tirage, Bild, qui n'a pas hésité à qualifier Nahles de "seul vrai mec du SPD".

"AKK" contre les "trois K"

Cette reconnaissance vient poursuivre la transformation du paysage politique par le truchement des femmes : sur les sept formations actuellement représentées au Bundestag, cinq sont désormais dirigées par des figures féminines. C'est le cas de l'AfD (Alternative für Deutschland), qui a fait une percée frappante lors des dernières élections (en obtenant 12,6 % voix) ; sa dirigeante, Alice Weidel (39 ans), vit en couple avec une Suissesse d'origine sri-lankaise. Autre exemple, l'écologiste Annalena Baerbock (37 ans), est coprésidente de l'Alliance 90/Les Verts depuis le mois de janvier dernier et montre sa détermination à rénover son mouvement. Quant au parti le plus à gauche du Bundestag, Die Linke (La Gauche), c'est Katja Kipping (40 ans) qui en tient les rênes depuis 2012.

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Reste le plus grand parti allemand, la CDU ; il est aux mains d'Annegret Kramp-Karrenbauer, âgée de 55 ans, alias "AKK", une responsable énergique qui jouit de la confiance totale d'Angela Merkel - au point qu'elle est parfois surnommée la "Chancelière de réserve". Elle a été élue à la tête de la CDU, en février 2017, avec le score jamais vu de 98,6 % des suffrages. Elle dispose d'une forte popularité et jouit de l'image d'une femme calme, courageuse, fine et compétente. Annegret a de sérieuses chances de succéder un jour à Angela - mais cette phrase doit s'arrêter là : en Allemagne, comme sans doute en France, les femmes qui exercent des responsabilités importantes ne supportent pas qu'on les appelle par leur prénom !

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