Les îles Féroé sont le lieu d’une tradition qui déplaît fortement aux militants pour le droit animal du monde entier. Chaque année, les habitants de l’archipel situé dans l’Atlantique Nord se retrouvent pour chasser par centaines les baleines-pilotes aux abords de leurs côtes. Cette tradition a un nom : le Grind. Un documentaire ambitieux souhaite exposer les différents points de vue qui l’entourent, sans prendre position. Un regard inédit sur une tradition complexe que les locaux sont bien décidés à conserver envers et contre tout.

Une tradition controversée

Ils sont nombreux, les activistes internationaux, à souhaiter voir disparaître la tradition du Grind, jugée sanglante, inutile et inhumaine. Chaque été, les Féringiens se retrouvent en mer afin de perpétrer une tradition ancestrale dont la chasse à la baleine en est le pilier central. Au large des côtes, ce sont des centaines de baleines-pilotes qui sont traquées et rabattues vers le rivage. Acculées, les animaux font l’objet d’une boucherie à ciel ouvert où une foule se jette sur eux pour leur trancher la tête. Leur viande, considérée comme un plat de fête, est ensuite consommée dans tout l’archipel.

Remontant à l’époque où les baleines constituaient l’un des seuls mets accessibles aux habitants de l’archipel, la tradition du Grind est aujourd’hui dénoncée par de nombreuses associations comme Sea Shepherd car jugée inutile. Pour ses détracteurs, il s’agit d’une coutume ancestrale devenue tout à fait obsolète et dénuée de sens, à une époque où les pénuries alimentaires font partie du passé. Une vision à laquelle s’opposent naturellement les habitants de l’île, qui dénoncent un ethnocentrisme aveugle à l’heure où les conditions de vie animales induites par la consommation de masse en supermarchés témoignent de l’inhumanité des modèles moins traditionnels. À titre d’exemple, la FAO estime à 27 millions de tonnes la quantité de créatures rejetées sans vie en mer, tortues, dauphins, poissons, méduses,… Dans ces filets, 300 000 cétacés y meurent chaque année loin des objectifs des caméras. Un désastre systémique malheureusement beaucoup moins visible et médiatisable.

Deux philosophies qui s’opposent

Afin de confronter les deux points de vue, Vincent Kelner s’est attelé à la réalisation d’un documentaire complet et ambitieux. Pendant plusieurs mois, le documentariste a suivi les équipes de Sea Shepherd en alternance avec ces habitants de l’île décrits comme responsable d’une « Shoah des dauphins » par certains activistes. En 2014, il suit les militants au cours de l’opération « Grindstop 2014 » et assiste à leurs tentatives de mettre un frein à la pratique. Tentatives qui se solderont par une arrestation par les forces de l’ordre danoises. Cette année-là, 33 baleines seront tuées. En 2016, Vincent Kelner décide de retourner sur les îles, notamment afin de filmer le Grind de plus près. Deux ans après sa première visite, les choses ont quelque peu changé : Sea Shepherd n’est plus autorisé à entrer sur le territoire. 135 baleines trouveront la mort.

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Si ces chiffres sont impressionnants, et si la réalité des faits justifie probablement l’intervention d’ONGs, la force du documentaire « Le goût de la baleine » réside dans son approche impartiale, tentant de donner la parole aux deux parties, même si les propos peuvent sembler dérangeants. Par ailleurs, les images ne sont pas focalisées sur le sang et la souffrance. Le spectateur n’est pas pris en otage par les sentiments, ce qui sort des habitues en la matière. Ainsi, le documentaire tente également d’approcher le point de vue des Féringiens, qui ne comprennent pas l’hypocrisie d’un monde moderne où les abattoirs et la consommation de masse donnent lieu à des pratiques cruelles et inhumaines. Pour ces habitants de l’île, la tradition du Grind est, selon eux, leur moyen de se reconnecter à la nature, d’apprécier l’origine de nos aliments et diffère d’un modèle industriel où les animaux ne sont mis au monde que pour être consommés. Impossible à ces nuances de couleurs de coexister tant elles sont antinomiques. Et pourtant, le reportage expose énormément de similarités et d’humanité dans les deux camps.

Afin de donner la dernière touche esthétique à son documentaire, Vincent Kelner espère financer un ultime voyage sur les îles. Quoiqu’il en soit, la réflexion sur cette tradition féringienne mérite d’être tenue tant elle déchaine les passions. D’un bord comme de l’autre, militants et habitants locaux semblent questionner un modèle industriel déconnecté du vivant dont le souffrance animale en est le moteur. Dépassant le cadre du simple débat déontologique, elle nous interpelle donc sur la validité d’un système de pensée influencé par nos modes de consommation, et invite à porter un nouveau regard sur la séparation qui existe entre tradition et modernité.


Sources : Ulule.com / VincentKelner.com

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