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Jean-Michel Clément, député LREM : "La loi asile-immigration de Collomb sera plus répressive et ne va rien régler"
Gérard Collomb défend une loi sur l'asile et l'immigration très contestée dans les propres rangs de la majorité macroniste.
FRANCOIS GUILLOT / AFP

Jean-Michel Clément, député LREM : "La loi asile-immigration de Collomb sera plus répressive et ne va rien régler"

Entretien

Propos recueillis par

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La loi sur l'asile et l'immigration entre en débat à l'Assemblée cette semaine. Pour la première fois, la majorité se fracture ouvertement : un groupe de députés LREM "humanistes" se dit prêt à voter contre le texte porté par Gérard Collomb. "Marianne" a interrogé l'un d'eux, l'ancien socialiste Jean-Michel Clément.

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Le texte a été adopté à la majorité ce dimanche 22 avril. Jean-Michel Clément a été le seul député LREM à voter contrer. 14 autres se sont abstenus. Une soixantaine ne s'est pas déplacée dans l'hémicycle. Menacé d'exclusion, le député frondeur s'est lui-même mis en congé du groupe LREM.

Et si ce mercredi 4 avril marquait le début officiel d'une fronde au sein de La République en Marche ? On en est encore loin, mais l'entrée en commission des Lois du texte controversé sur l'asile et l'immigration, porté par Gérard Collomb, provoque les plus gros remous au sein de la majorité depuis l'élection d'Emmanuel Macron. Parmi les marcheurs, un groupe d'une quinzaine de députés "humanistes" s'oppose fermement au contenu du texte, jugé trop répressif. Prêts à voter contre la loi, ces élus de l'aile gauche de LREM sont déterminés à mener la bataille parlementaire pour infléchir les positions du gouvernement article par article. Marianne a interrogé Jean-Michel Clément, ancien socialiste élu sous l'étiquette macroniste dans la Vienne, qui est un pilier du petit groupe des "humanistes".

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Marianne : Que reprochez-vous au projet de loi sur l'asile et l'immigration, porté par le gouvernement ?

Jean-Michel Clément : Beaucoup de points posent problème. Mais je crois surtout que la question des réfugiés n'est jamais abordée dans toutes ses dimensions. Il faut avoir le courage politique pour le faire. Regardons les chiffres : si vous regardez les données globales, la courbe n'a pas vraiment bougé depuis 1975, période lors de laquelle la France a accueilli des dizaines de milliers de boat people venus d'Asie. Autre biais : on oublie souvent de dire que des gens viennent aussi en France sans forcément vouloir y rester. Ils préfèreront largement retourner dans leur pays quand les conditions seront réunies. En résumé, on s'apprête à faire une loi de plus qui ne va rien régler, sinon installer une situation encore plus régressive qu'avant.

"On s'apprête à faire une loi de plus qui ne va rien régler, sinon installer une situation encore plus régressive qu'avant"

Vous avez conscience qu'un discours aussi ouvert concernant les migrants peut paraître en décalage, dans le contexte politique européen et même français...

Pour justifier la réforme, on nous parle sans cesse de la montée des populismes dans les pays voisins. Mais ce n'est pas une bonne idée. Chez moi, dans ma circonscription rurale, de la Vienne, si vous trouvez 50 migrants je vous félicite ! Au contraire, on a ouvert un premier centre d'accueil et d'orientation, et les associations sont ravies et mobilisées. La manière dont on aborde ce débat va même à l'inverse des intérêts de La République en Marche. Plus on alimente le débat sur une prétendue submersion migratoire, plus on entretient l'idée même que d'autres forces politiques traitent cette question mieux que nous ! Alors qu'on aurait tout à gagner à prendre le contrepied, en ayant une ligne ouverte.

Avant le passage de la loi en commission, qui débute ce mercredi 4 avril, de nombreuses discussions ont été menées entre le groupe parlementaire LREM et le cabinet de Gérard Collomb. Ces échanges ont-ils été utiles pour infléchir la position du ministre ?

Florent Boudié, le député responsable du texte pour le groupe En Marche, a fait un travail de pédagogie intéressant. Mais il l'a effectué avec les marges de manœuvre très faibles qui lui étaient laissées... Quand on joue une partie avec un handicap dès le départ, c'est compliqué. Le ministre avait décidé qu'un certain nombre de points forts n'étaient pas négociables. C'était donc un exercice difficile... Et nos revendications n'ont pas été entendues.

"Nos revendications n'ont pas été entendues"

Il se dit que beaucoup de députés LREM seraient choqués par les aspects répressifs de la loi. Mais combien essaieront réellement de peser dans le débat parlementaire ?

C'est pour cela que j'ai hâte que les discussions commencent à l'Assemblée : on va pouvoir se compter précisément quand on va arriver dans le débat ! Il y a forcément des gens avec des sensibilités plus humanistes ou sociales que d'autres dans la majorité, nous sommes un certain nombre à partager cette sensibilité. Et ce sur tous les sujets. J'attends avec impatience le débat, pour que tout le monde puisse se dévoiler. Pour l'heure, nous avons un petit groupe d'une quinzaine de députés, qui a déposé une cinquantaine d'amendements. Pour ma part, j'en ai réécrit une vingtaine. On va tourner à 80, 90 amendements, qui concernent tous le sujets phares de la loi.

Venons-en à la loi, justement. Une mesure clef est celle qui prévoit d'augmenter la durée maximale pendant laquelle un étranger peut être enfermé dans les centres de rétention administrative. On devait passer de 45 à 135 jours. Finalement, il semble qu'un compromis à 90 jours doive être adopté...

Moi, je reste sur ma base de 45 jours ! Si vous allez dans un centre de rétention, vous verrez les personnes qui y sont, privées de liberté. Concrètement, la question est celle des laissez-passer consulaires : les autorités attendent ces documents, qui viennent du pays d'origine, pour pouvoir renvoyer les personnes. Mais s'il n'y a pas de laissez-passer consulaire, combien de temps on reste en détention ? Certaines personnes viennent de pays dont l'Etat est défaillant, qui n'ont plus d'administration : soyons, clairs, on ne recevra pas d'autorisation consulaire pour eux. D'autres sont originaires de pays qui ne veulent pas en délivrer pour des raisons qui leur sont propres, notamment liées aux relations diplomatiques avec la France... Que doit-on faire, lorsqu'on ne peut pas avoir de laissez-passer ? Maintenir en rétention des gens ad vitam eternam ? Si vous gardez en rétention des gens plus longtemps dans ces lieux confinés, vous allez créer une vraie cocotte-minute ! Ce n'est pas la solution.

"Si vous gardez en rétention des gens plus longtemps dans ces lieux confinés, vous allez créer une vraie cocotte-minute !"

Autre mesure prévue par Gérard Collomb : diviser par deux la durée du délai accordé aux migrants pour déposer un recours lorsqu'ils sont déboutés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Ils n'auraient plus que quinze jours, contre un mois actuellement.

Comment, en quinze jours, arguer d'une réelle défense lorsque les délais sont autant raccourcis ? Mais la vraie question, et elle n'est pas du ressort de cette loi, c'est celle des moyens de l'OFPRA. On ne prend jamais en considération l'accueil en préfecture. Si on avait un accueil qui était parfaitement organisé partout, on aurait peut-être déjà traité une partie des difficultés. Les employés des préfectures n'ont pas forcément les moyens, ils sont constamment sous pression, ils ne peuvent travailler à flux tendus et dans des délais contraints en permanence. On est face à une situation de délivré de récépissés qui demandent beaucoup de temps, on crée des problèmes dès le départ et on les additionne. On est là à l'origine des vices de tout le système : quels moyens on donne aux services de l'Etat pour faire face aux contraintes qui pèsent sur eux.

Un autre volet du projet de loi prévoit d'introduire le recours à la visioconférence, plutôt qu'au face-à-face, lors du passage des réfugiés devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). En clair, les demandeurs d'asile parleront désormais à un juge par écran interposé...

La visioconférence est un point dur. On porte tout simplement atteinte à un élément fondamental du procès : l'unité de lieu et de temps. Tous ces éléments-là sont battus en brèche, et on va nous dire : "sauf si la personne le demande". Mais concrètement, comment voulez-vous qu'un Irakien qui parle uniquement le sorani demande expressément à ne pas faire de visioconférence ? C'est méconnaître la réalité du monde, de la situation de ces gens (qui bien souvent ne parlent qu'un dialecte), du manque d'interprètes... C'est tout sauf humain !

Le groupe LREM a toutefois obtenu une avance : un amendement devrait donner aux migrants le droit de travailler six mois après l'introduction de leur demande de titre de séjour, contre neuf mois aujourd'hui. Est-ce une avancée suffisante ?

C'est un minimum : si vous n'autorisez pas les gens à travailler, ils vous coûtent en hébergement, en nourriture... Là, ces personnes vont pouvoir disposer de ressources, retrouver leur dignité. Il faut directement leur donner ce droit de travailler, ce "ticket" qui leur permet de se loger de s'éduquer, de travailler, indépendamment de l'obtention ou non d'un titre de séjour.

"Si d'autres décalages surviennent avec le gouvernement, nous verrons quelles conséquences en tirer le moment venu"

Sur un plan plus politique, la politique menée est-elle conforme à vos attentes ? On a tout de même le sentiment que concernant les réfugiés mais aussi d'autres thèmes, les attentes de ceux qui ont adhéré au projet d'En Marche sont pour le moins éloignées de la ligne politique du gouvernement...

Il y a effectivement un décalage sur le sujet de l'asile et de l'immigration. Pour l'instant, il faut se bagarrer sur les sujets auxquels on croit. Après, si d'autres décalages surviennent avec le gouvernement, nous verrons quelles conséquences en tirer le moment venu. Il y a le temps du débat, ensuite viendra le temps de la réflexion politique plus globale.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne