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« Parce que je suis une “femme, jeune, surdiplômée”, on ne m’a pas embauchée »

Issue d’un milieu modeste, Léa a eu une scolarité exemplaire, d’un grand lycée parisien jusqu’à Sciences Po Grenoble. Mais une fois passé son concours, elle est tombée de haut.

Le Monde

Publié le 23 avril 2018 à 12h21, modifié le 27 avril 2018 à 11h32

Temps de Lecture 4 min.

Après avoir brisé des plafonds de verre, Léa, 25 ans, doit faire face à une autre réalité, celle des jeunes surdiplômés.

Voix d’orientation. Le Monde Campus et La ZEP, média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants sur leurs parcours d’orientation. Cette semaine, Léa, 25 ans, salariée à Rêv’Elles, à Paris.

Je travaille pour une association qui aide les jeunes femmes des milieux populaires dans leur orientation. Et si mon boulot me parle particulièrement, c’est parce que mon parcours est un peu particulier.

J’ai été élevée uniquement par ma mère, j’ai grandi dans une HLM, dans une zone dite « ZEP renforcée », à Paris. J’ai eu une scolarité exemplaire, toujours première de ma classe, poussée par ma mère, en reconversion professionnelle, qui travaillait six jours sur sept pour que je puisse avoir la stabilité nécessaire pour poursuivre mes études. Aujourd’hui, elle est cheffe des travaux d’arts au ministère de la culture, et restaure les meubles de la France.

J’ai intégré un grand lycée parisien, où j’ai décroché un bac L mention bien. Ma mère et mes professeurs m’ont tirée vers l’excellence, me disant que je pouvais tout faire si je m’en donnais les moyens. J’ai décidé d’intégrer une classe préparatoire pour entrer à Sciences Po, avec un double cursus pour valider une première année de licence d’histoire à côté. Durant cette première année d’études supérieures, j’ai continué à entendre le leitmotiv qui m’avait bercée durant toute ma scolarité : « Je ne m’en fais pas, toi, tu vas réussir, tu as de l’ambition, tu es brillante. » Et j’ai réussi, j’ai défoncé un premier plafond de verre. Je suis entrée en deuxième année à Sciences Po Grenoble.

Fière de moi, je pouvais tout faire

« Vous êtes l’élite de la France », « vous trouverez un travail rapidement à la sortie de l’école », « des profils comme les vôtres, c’est ce que recherchent les recruteurs ». Ces refrains, je les ai entendus sans cesse à Sciences Po. J’étais fière de moi, je pouvais tout faire. J’ai travaillé sans relâche pour avoir les meilleurs résultats. Je voulais avancer et rendre fière ma mère.

J’ai vécu pendant quatre ans à Grenoble, grâce aux bourses sur critères sociaux du Crous, à l’APL, aux jobs étudiants, et grâce à ma maman qui travaillait toujours d’arrache-pied pour m’offrir mes études. J’ai d’abord eu un bachelor de sciences politiques spécialisé en économie sociale et solidaire, avec mention ; puis j’ai fait le choix d’un double master en politiques publiques, avec une spécialisation en direction de projets culturels.

On me répétait que j’avais choisi un des meilleurs masters de France, que je n’avais pas de souci à me faire. J’ai fait d’excellents stages, j’étais une des meilleures de ma classe et l’équipe pédagogique qui m’encadrait avait confiance en mon avenir. A ma soutenance, à la fin de l’IEP de Grenoble, mon directeur de master m’a confié que s’il y avait bien une personne pour qui il ne se faisait pas de soucis pour son avenir, c’était moi.

J’ai ensuite travaillé pendant un an dans une compagnie de théâtre, c’était intéressant, mais précaire, et la précarité, je n’en voulais plus, je l’ai assez connue. J’ai décidé de passer un concours de cadre administratif de la fonction publique territoriale. J’ai travaillé dur, passé plusieurs épreuves pour attester de mes connaissances, et de mes capacités à diriger une équipe, et je l’ai eu. On était plus de trois mille inscrits, et un peu moins de trois cents à le réussir. Je n’avais plus qu’à répondre à des offres et à faire une longue et brillante carrière dans le service public. En tout cas, c’est ce qu’ils m’ont dit à la réunion des lauréats du concours : « Ne vous inquiétez pas, tous les lauréats trouvent un poste de cadre, et assez rapidement. »

« Vous allez faire des jaloux »

J’ai postulé à une cinquantaine d’offres et là, très peu de réponses. Pourtant, j’avais le « profil parfait », et une motivation sans égale. J’ai fini par décrocher quelques entretiens. Je m’attendais à avoir beaucoup plus de questions sur mes capacités managériales, mon caractère, que sur mes connaissances. Mais je pensais naïvement qu’on allait me donner ma chance. Et là, ce n’est plus un plafond de verre que j’ai rencontré, mais un mur en béton armé. « Une jeune femme de 25 ans, surdiplômée avec un concours de cadre de la fonction publique territoriale, vous allez faire des jaloux. »

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Trop diplômée, trop jeune, trop ambitieuse, pas assez expérimentée, trop « femme » pour gérer une équipe… Je pensais qu’avec les études, les stages, les boulots et le concours, on allait au moins me donner une chance, surtout dans le service public, qui prône la lutte contre les discriminations. « Vous êtes encore un bébé, donc si on vous donne l’opportunité de travailler avec nous, le salaire sera bas », comme si c’était un cadeau qu’on me faisait.

Complètement dépitée, j’ai laissé tomber la fonction publique, pour l’instant en tout cas. J’y reviendrai probablement, si je trouve une collectivité et une équipe prêtes à accueillir une jeune femme ambitieuse à un poste de cadre.

Ce qui me dégoûte, c’est qu’on me traite comme ça parce que je suis une jeune femme de 25 ans. A l’école, on essaie de te préparer au marché du travail, mais moi, je me demande si le monde du travail est prêt à laisser leur chance aux jeunes.

Aujourd’hui, je travaille dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, à Rêv’Elles. Une association qui accompagne des jeunes femmes, notamment sur la confiance en elles, et ça fait du bien.

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La Zone d’expression prioritaire (ZEP) accompagne la prise de parole des jeunes

La Zone d’expression prioritaire (ZEP) est un dispositif d’accompagnement à l’expression des jeunes. La ZEP organise des ateliers d’écriture animés par des journalistes, dans des lycées, universités, associations étudiantes ou dans des structures d’insertion.

Tous leurs récits sont à retrouver sur Le Monde Campus et sur la-zep.fr.

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