« J’ai essayé de m’enfuir mais ils m’ont rattrapée et battue »

Yannet

Employée de maison au Liban

La jeune Éthiopienne de 21 ans a travaillé huit mois au Liban, comme employée de maison dans une famille qui lui a fait subir un véritable enfer.

Yannet raconte : « Je suis arrivée au Liban il y a un peu moins d’un an. J’avais trouvé un travail par une agence à Addis-Abeba dont une amie m’avait parlé. On m’avait promis plus de 1 000 dollars par mois et je pensais envoyer une partie de l’argent à mes parents. J’ai été placée dans une famille à Beyrouth. Il y avait un couple, leurs trois enfants et le grand-père. L’appartement était très grand mais ils m’ont dit de dormir sur le balcon, à même le sol. Il fallait que je m’occupe de tout : de la cuisine, du ménage, des courses, des enfants, du vieux monsieur. Parfois, je terminais la journée à 3 heures du matin pour recommencer le lendemain à 6 heures. Je n’ai jamais eu un seul jour de congé. La dame me criait tout le temps dessus. Elle me reprochait d’être bête et de ne pas parler arabe.

Après un mois, ils m’ont donné 150 dollars. J’ai protesté mais la femme s’est énervée et m’a frappée au visage. Puis tout est allé de mal en pis. Je n’avais plus le droit de sortir seule et ils ne m’ont plus jamais payée. Je ne pouvais rien faire car ils gardaient mon passeport. Les enfants étaient très agités. Au début, le grand-père était gentil mais un jour il a tenté de m’agresser sexuellement. J’ai hurlé. La femme a dit que c’était de ma faute et pour me punir, m’a rasé le crâne. Un soir, j’ai essayé de m’enfuir mais ils m’ont rattrapée et battue, j’ai eu des marques pendant plusieurs semaines.

Un jour, j’étais seule à la maison avec le grand-père. Il s’est endormi, j’en ai profité pour m’échapper. Grâce à une Éthiopienne rencontrée dans la rue, j’ai été mise en contact avec l’association Kafa. Ils se sont tout de suite occupés de moi. Ils m’ont logée et m’ont fait voir un médecin. Aujourd’hui, je ne souhaite qu’une chose : rentrer en Éthiopie. Mais ce n’est pas facile car mon passeport est resté dans la famille et, selon la loi, je dois retourner chez eux. J’ai très peur. Tous les jours, je prie Dieu pour qu’il me protège de ça. »

Comme Yannet, 250 000 personnes venues du Sri Lanka, des Philippines ou d’Éthiopie travaillent comme employées de maison au Liban. Ces femmes sont soumises au régime du Kafala, une forme de tutelle qui les prive des droits les plus élémentaires et les exposent aux maltraitances. Des scandales à répétition – dont plusieurs meurtres –, ont suscité l’indignation dans la société libanaise. Sans avancées majeures cependant.

Marwan Chahine

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« On devait répandre du poison, sans protection »

Nerisvan da Silva

Ouvrier agricole au Brésil

Nerisvan da Silva, 36 ans, est originaire du Pernambouc, un État du Nordeste brésilien. En 2014, son frère Elias, lui propose de venir le rejoindre dans une « fazenda », une grande ferme qui exploite du bétail dans le Tocantins, à la frontière de l’Amazonie. « Mon frère y était arrivé quelques mois auparavant. On devait désherber et débroussailler le terrain pour que le bétail puisse y paître. On devait aussi répandre sur les champs du “poison” (un puissant herbicide, NDLR), sans aucune protection. On travaillait de 5 heures du matin à 17 h 30, et le soir on dormait dans une baraque en bois qui prenait l’eau quand il pleuvait. L’eau sortait toute boueuse d’un vieux tuyau. On devait la passer à la passoire pour la boire.

Pour manger, on n’avait le droit qu’à du riz blanc. Le fils du patron, qui habitait la fazenda, avait des poules mais on n’avait pas le droit d’y toucher. J’ai perdu cinq kilos en quelques mois. Il nous humiliait. Quand on a commencé à protester, c’était trop tard. Il menaçait de ne pas nous payer notre salaire si on partait.

Mon frère était déjà intoxiqué à cause du “poison”. Un employé de la fazenda m’a conseillé de dénoncer la situation. Cinq mois après être arrivé dans la ferme, je suis allé en cachette à Araguaina, la ville la plus proche et j’ai prévenu les agents du ministère public du travail, qui nous ont libérés. La Commission pastorale de la terre locale nous a recueillis, donné des conseils et emmenés voir un médecin. On nous a donné un médicament contre les effets du “poison”, que je prends encore aujourd’hui.

Depuis que j’ai été libéré, il y a trois ans, j’ai déjà dû subir trois opérations chirurgicales, dont une de la vésicule biliaire, à cause de ça. La justice a condamné notre employeur et nous avons reçu une compensation de 10 000 réais chacun (2 400 €). Nous sommes repartis dans le Pernambouc, près de notre famille. Je reçois une indemnité maladie qui nous permet de survivre, ma femme, mes deux filles et moi. Mon frère est au chômage. Il habite chez mes parents, qui ont des terres, et les aide à la travailler. C’était le pire moment de ma vie. Sans l’employé qui nous a aidés, la justice et la CPT, nous serions encore là-bas, vivants ou morts. »

Le Brésil reconnaît l’existence de l’esclavage moderne depuis 1995, grâce à de nombreuses campagnes menées par des ONG, et notamment par la commission pastorale de la terre, organisation liée à l’Église catholique. Plus de 50 000 personnes en situation d’esclavage ont été libérées par les agents du ministère du travail.

Aglaé de Chalus

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« À la rentrée de septembre, nous avons trouvé l’usine fermée »

Basma Marzouk

Ouvrière du textile en Tunisie

« Où est ma sueur, bande de voleurs ? », proclame une banderole à l’entrée d’un des multiples ateliers de confection de Ksar Hellal, petite bourgade des environs de Monastir. Basma Marzouk, 37 ans, dix-huit ans d’ancienneté, se fait la porte-parole de la cinquantaine d’ouvrières de l’usine, à l’arrêt depuis janvier.

« Notre usine a été créée en 1989, elle travaille pour le groupe Roger Zannier, un des leaders mondiaux de la mode enfantine. En 2003, l’usine a été transférée à une société gérée par un employeur français, avant d’être cédée, en juillet 2016, à une société tunisienne. C’est là que les gros problèmes ont commencé.

D’abord des retards de salaires, puis plus de salaires du tout à partir d’août 2017. À la rentrée de septembre, nous avons trouvé l’usine fermée. Nous avons manifesté, nous avons alerté les autorités. Sous la pression, le patron a payé l’électricité. Le directeur de notre ancien propriétaire, que nous continuons à fournir, a payé deux fois les salaires, mais sans les primes, ni les cotisations sociales.

Depuis décembre, nous avons perdu notre couverture sociale. Et en janvier, nous avons à nouveau trouvé l’usine fermée. Nous ne sommes plus payées (le salaire avec vingt ans d’ancienneté s’élève à 480 dinars, soit 160 €, NDLR). Nous nous relayons depuis cette date pour exiger de l’administration qu’elle contraigne l’employeur à respecter ses engagements. Mais le gouverneur de Monastir ne voit pas, n’entend pas, ne parle pas. Depuis la révolution en 2011, l’État s’efforce en priorité de ne pas faire fuir les entrepreneurs étrangers.

Le nouveau gérant tunisien a pour mission de se débarrasser de nous. Il a pris les nouveaux moteurs des machines pour les installer sur un autre site où il fait travailler des filles plus jeunes, en contrat précaire, qu’il nous a demandé de former. Même si nous obtenons un jugement en notre faveur, il n’y aura plus rien à saisir pour nous payer.

Je travaille pour nourrir et éduquer mes enfants. Certaines de mes collègues ont des crédits à la banque, des loyers à payer. Nous n’avons pas d’autre solution que de faire redémarrer cette usine. »

Le secteur textile, qui représente 20 % du PIB tunisien, subit de plein fouet depuis 2005 les conséquences de la suppression des quotas d’exportation tunisiens vers l’Union européenne. Les fermetures d’usine sans préavis sont devenues monnaie courante. Le secteur a perdu 40 000 emplois.

Thierry Brésillon

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« L’exécution était la seule punition »

Fabrice Masirika

Ancien enfant soldat en République démocratique du Congo

Fabrice Masirika*, est un jeune ancien enfant soldat rencontré dans le centre de réinsertion pour ancien enfant soldat tenue par l’ONG Catholique Caritas à Minova, agglomération frontalière entre la province du Nord-Kivu et celle du Sud-Kivu à l’est de la RDC.

Dans la cour de ce site de transit et orientation situé dans la concession de la paroisse de Bubandano, il est au cœur de l'animation d'autres enfants soldats regroupés dans cet endroit pour suivre un programme de réintégration.

« Les chants et les mouvements que nous faisons, consistent à marquer une rupture avec les atrocités que nous avons subies et avons fait subir aux membres de communautés et groupes armés rivaux durant notre activisme en tant qu'enfant soldat », relate-il à La Croix après une séance de Capacitar, une nouvelle thérapie proposée par Caritas, dans le cadre de l'assistance psychologique aux ex enfants soldats.

Dans la salle où va se passer notre entretien, Fabrice relate avoir passé quatre ans dans un groupe armé dont trois dans l'exploitation minière, après avoir été enlevé en 2012 dans son école par un groupe armé, alors qu'il avait 12 ans.

« Aujourd'hui, je crois maîtriser tout le circuit, tournant sur l'exploitation minière. Mais cela a été une mauvaise expérience malheureuse. Après une année passée dans le centre de formation du groupe armé, mon chef a apprécié mes aptitudes aux chiffres et m'a envoyé dans le carré minier de la rébellion pour apprendre le métier d'exploitation minière », se rappelle-t-il.

Fabrice déclare que son travail consistait à extraire les minerais tels que le coltan et l'or qui était souvent échangés par les chefs rebelles contre toute denrée dont ils avaient besoin et les armes. « Après, j'ai été élevé au rang de superviseur d'une de mines d'extraction du coltan. Les chefs nous disaient que c'était notre seule ressource pour avoir les équipements nécessaires pour libérer notre territoire de l'emprise de groupes armés étrangers et d'autres rébellions locales, ayant conquis notre territoire. »

Les conditions de vie dans cette région étaient extrêmement dures témoigne l'ex enfant soldat, qui aujourd'hui s'exerce à la menuiserie dont il rêve de poursuivre après sa réintégration dans son village, situé en territoire de Masisi. « Toute personne qui tentait de s'enfuir de la zone d'exploitation minière était envoyée dans une galerie souterraine pour y rechercher des minerais pendant les jours qui seront définis par le commandant. L'exécution était la seule punition, si cette fuite était accompagnée du vol des pierres précieuses », raconte Fabrice.

Il doit son évasion à une proposition d'un commandant qui voulait détourner une cargaison d'armes après un échange de ces munitions contre de minerais. « Un jour, on a été envoyé aux heures nocturnes pour livrer des minerais à un groupe qui nous rapporta une importante quantité d'armes. À la fin de l'opération, le chef d'équipe nous a demandé de ne plus retourner dans notre base. Il venait de créer sa propre rébellion et nous a contraint à lui suivre. C'est lors de la séance de la présentation des objectifs de son groupe, le lendemain matin qu'il nous a dit qu'il était prêt à libérer toute personne ne voulant plus faire partie d'un groupe rebelle. J'ai saisi cet occasion et c'est ainsi que je me suis retrouvé dans un centre de la mission de l'ONU en RDC, qui m'a orienté dans ce centre », se souvient-il.

Fiston Mahamba

*Le nom a été changé