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Fascinante ou flippante, Shudu Gram est une femme virtuelle influente

La mannequine, créée en avril 2017 à partir d’effets spéciaux numériques, est suivie par plus de 100 000 personnes sur Instagram.

Publié le 23 avril 2018 à 20h19, modifié le 24 avril 2018 à 07h29 Temps de Lecture 4 min.

Plus d’un an que cela dure. Plus d’un an que le compte d’une mannequine attire « likes » et « followers ». Cette mannequine, c’est Shudu Gram, dont l’âge annoncé est de 28 ans. Elle est suivie par plus de 100 000 personnes sur Instagram.

Sur son compte, une vingtaine de publications ont suscité 10 000 réactions par post en moyenne. Pour certains, elle est la diversité, elle est fascinante. Pour d’autres, elle est un danger, une impostrice, carrément flippante.

Car la particularité de Shudu Gram, c’est qu’elle est une mannequine virtuelle au corps redimensionné et au cou princier, qui prend racine dans un vieil archétype : la poupée. Beauté figurative et insondable. Peau ébène sans aucun défaut.

Créée à partir d’effets spéciaux, 100 % générée par ordinateur, Shudu Gram est la « création artistique » du photographe londonien Cameron-James Wilson, qui a souhaité donner vie à « un fantasme qui deviendrait la réalité dans notre monde filtré, où le réel devient faux ».

Inspirée de la Barbie sud-africaine, et des mannequines comme Alek Wek, Duckie Thot ou Grace Jones, Shudu Gram « n’est pas vouée à remplacer qui que ce soit », précise son créateur.

📸 @cjw.photo . . #3dart

Une publication partagée par Shudu Gram (@shudu.gram) le

Comme le souligne la revue de tweets du Huffington Post, la démarche a provoqué un « tollé sur les réseaux ». Sur Twitter, des internautes ont déploré une approche jugée parfois raciste : « Un photographe blanc a trouvé le moyen de tirer profit des femmes noires sans jamais avoir à en payer une » ; « Les modèles noires, en particulier celles qui ont la peau foncée, ne sont pas une mode. Nous devrions être la norme » ; « Ça montre à quel point aussi les peaux noires sont toujours aussi exotiques aux yeux des médias. »

Interrogé par le Harper’s Bazaar, le photographe dit avoir « juste » souhaité « ajouter quelque chose en plus au mouvement du moment des mannequines à la peau foncée ». Et il insiste : Shudu Gram ne fait pas que s’en inspirer, elle les « représente ».

Pour Julien Fournié, couturier français à la tête de la maison de couture homonyme et désigneur au FashionLab de Dassault Systèmes, un éditeur de logiciels spécialisé dans la conception 3D, il n’y aurait pourtant rien de bien nouveau : « La diversité n’est plus un problème dans le monde de la mode. Les barrières sont baissées. Il n’y a plus de diktat. Des noires, des métisses, des rousses, des blanches. Des grandes, des petites, des rondes. Des femmes qui portent le voile… » Alors, pourquoi pas des avatars ?

« Ça ne va rien enlever à personne. Chacun voudra et pourra suivre son univers. Suivre sa mode. (…) Les canons de beauté ont changé. Ils ont explosé, et nous, désigneurs — à part les vieux dinosaures — avons pris conscience que toutes les femmes peuvent exister sur un podium. »

Pas vraiment nouveau mais sérieusement émergent, ce phénomène de mannequines 2.0, recensé par le site du magazine Vogue, n’étonne ni n’inquiète Julien Fournié, qui constate qu’un buzz existe et dure autour de la virtualité :

« Bon, et après ? A une époque, il y avait ce qu’on appelle les “licornes”, des top-modèles comme Linda Evangelista ou Naomi Campbell, qui ne sont pas virtuelles. Mais qui ne sont pas réelles non plus. A l’époque, on les a aussi balancées aux jeunes filles en leur disant : “C’est ça la femme de demain.” Et des dérives, il y en a eu, on ne peut pas avoir le même corps que Naomi Campbell ou Linda Evangelista. Quels que soient le régime ou la torture que l’on s’inflige. »

Le phénomène de dématérialisation des ambassadrices de la mode ne semble ainsi pas en être un aux yeux du couturier. « Il y a toujours eu des phénomènes. Et des gens avec des histoires de gros sous — dont je n’ai pas envie de parler — pour s’emparer des nouvelles choses », soupirerait presque Julien Fournié, faisant référence à la marque de maquillage de Rihanna, Fenty Beauty, qui a utilisé Shudu Gram comme égérie pour mieux vendre son rouge à lèvres.

Shudu Gram est-elle meilleure ou pire qu’un mannequin réel ? Qu’un influenceur réel ? Car « Instagram, ce n’est pas vous. Pas eux. C’est juste la version numérique d’une personne », comme l’explique à la BBC Justin Rezvani, le fondateur de TheAmplify, une agence marketing qui met en relation les marques avec des influenceurs.

D’un point de vue technologique, la création de mannequins virtuels donne l’occasion aux créateurs de pouvoir rêver n’importe quel corps et de mieux s’adapter aux corps réels qui changent. « Les femmes grandissent, prennent des épaules, des hanches, et c’est génial. Le virtuel, c’est juste une avancée de plus. On est obligé de travailler avec les nouvelles technologies, dit Julien Fournié. Mais l’essence de la couture et de la mode restera toujours la quête de définir ce qu’il y a de meilleur chez chacun(e). »

Avant de revenir à celui dont les compétences techniques créent plus de polémiques que d’éloges véritables :

« Cameron-James Wilson est un photographe probablement obsédé ou fasciné par le virtuel, peut-être dira-t-on de lui qu’il fut un visionnaire. Il faut laisser ce créatif explorer son univers. Il a commencé par une femme noire imaginaire, qui sait ce qu’il inventera après ? »

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