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Congrès scientifiques: la difficile percée des femmes

A l’aide d’une base de données regroupant plus de 65 000 personnes, des chercheurs mettent en évidence le manque d’opportunités qu’ont les femmes de présenter leur travail durant des congrès scientifiques

Au-delà des conférences, la disparité entre les hommes et les femmes touche aussi la répartition des offres de révision des papiers scientifiques. — © Dave and Les Jacobs
Au-delà des conférences, la disparité entre les hommes et les femmes touche aussi la répartition des offres de révision des papiers scientifiques. — © Dave and Les Jacobs

Pour ses 20 ans, Le Temps met l’accent sur sept causes. Après le journalisme, notre thème du mois porte sur l’égalité hommes-femmes. Ces prochaines semaines, nous allons explorer les voies à emprunter, nous inspirer de modèles en vigueur à l’étranger, déconstruire les mythes et chercher les éventuelles réponses technologiques à cette question.

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Plus d’un siècle après avoir reçu son Prix Nobel, Marie Curie devrait-elle encore craindre pour la place des femmes dans la science? Une étude parue ce mardi dans Nature Communications souligne la disparité de genres encore existante au sein des colloques scientifiques. A l’aide d’une base de données regroupant plus de 65 000 personnes dans 137 pays différents, les auteurs se sont intéressés aux probabilités qu’ont les chercheuses de présenter leur travail lors de congrès.

Le bilan est plutôt mitigé car si, en apparence, leurs chances sont les mêmes, la réalité des chiffres est tout autre. Seule une portion congrue des intervenants feraient en effet partie de la gent féminine. Reste encore à déterminer si ces proportions inquiétantes sont le fruit des barrières historiques d’antan ou un manque réel d’initiatives favorisant la sélection des femmes aux conférences.

Base de données améliorée

L’étude s’appuie sur des données provenant de la plus importante communauté internationale de géoscience, the American Geophysical Union (AGU), qui doit sélectionner parmi environ 22 000 résumés de travaux scientifiques les heureux élus qui présenteront leur travail durant sa conférence annuelle. Depuis 2013, l’organisation demande à ses membres de spécifier leur genre, le niveau académique ainsi que d’autres informations démographiques, permettant ainsi de construire une base de données extrêmement complète pour étudier la parité des sexes dans ce milieu.

«La disparité femme-homme ne se limite malheureusement pas aux conférences, mais également à la révision des papiers scientifiques, qui est plus souvent attribuée à des hommes», regrette Heather L. Ford, chercheuse au Département de la Terre à l’Université de Cambridge (Royaume-Uni) et auteure principale de l’étude.

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Barrières historiques

Le nombre de participantes aux conférences organisées par l’AGU entre 2014 et 2016 est relativement faible, soit 32% du nombre total de participants (environ 21 000 sur 65 000). Ces chiffres expliquent, en partie, pourquoi la gent féminine est moins représentée pour les présentations orales. «Le domaine des géosciences est majoritairement occupé par des hommes, appuie Allison Daley, professeure de l’Institut des sciences de la Terre à l’Université de Lausanne. A ma grande surprise, j’ai été la première femme nommée au poste de professeure dans mon institut.»

Si cette réalité semble fortement associée à des barrières historiques qui ont longtemps limité la présence féminine dans ce secteur, certaines mentalités semblent néanmoins encore à la traîne. Les auteurs mettent notamment en évidence la tendance qu’ont les conférenciers masculins, faisant partie des comités de sélection, à inviter significativement moins de femmes pour faire des présentations. «Il est toujours possible de trouver une femme compétente dans un domaine, malgré notre faible proportion, souligne Allison Daley. Peut-être devrait-on recourir à des règles un peu plus strictes et obliger les organisateurs à se rapprocher de la parité au sein des conférenciers.»

Pistes d’amélioration

Plus nombreuses que les hommes lors des études, puis en début de carrière, les femmes sont par ailleurs moins représentées au fur et à mesure que l’on gravit les échelons hiérarchiques. Le problème? Il est moins probable d’être sélectionné pour présenter son travail lorsque l’on se trouve au début de son parcours académique. Pour faire face à cet écueil, les auteurs de l’étude proposent d’augmenter le nombre de présentations faites par des gens moins avancés dans leur carrière, afin de donner une meilleure visibilité aux femmes.

Ils suggèrent également de donner davantage de place aux femmes au sein des comités de sélection, l’étude ayant démontré qu’elles avaient tendance à choisir elles-mêmes davantage de scientifiques féminines. «Cette étude est intéressante mais les auteurs manquent malheureusement le coche dans leur conclusion», explique Allison Daley. Selon cette dernière, privilégier les étudiants en début de carrière pour les présentations orales aux conférences n’est pas pertinent: «Les gens plus avancés dans leur parcours sont plus à même d’amener des résultats aboutis que des étudiants qui commencent   leurs études. Il faut se poser les bonnes questions, notamment comprendre pourquoi en remontant la hiérarchie, il y a de moins en moins de femmes.»

La professeure de l’Université de Lausanne fait notamment référence à la vie de famille pouvant représenter un frein pour les femmes voulant faire carrière dans ce milieu compétitif qu’est la recherche. «C’est compliqué, mais pas impossible», conclut en souriant Allison Daley, mère depuis peu de temps.