Extinctions animales : 125 000 ans d'influence du genre humain

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Extinctions animales : 125 000 ans d'influence du genre humain

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Des Hommes de Néandertal chassant des mammouths.
Des Hommes de Néandertal chassant des mammouths.
© Getty - Science Photo Library

D'après une récente étude, l'influence de l'être humain sur la nature s'exerce depuis 125 000 ans. Le genre Homo serait à l'origine de la disparition de la méga faune. Et l'impact des hommes, étudié depuis le XVIIIe siècle, se fait encore sentir aujourd'hui sur les mammifères terrestres.

Et si, d’ici quelques centaines d’années, le plus gros mammifère terrestre était la vache ? C’est ce que se demandent des scientifiques, en conclusion d’une étude parue dans la revue américaine Science, dans laquelle ils démontrent que depuis 125 000 ans, la taille moyenne des animaux n’a eu de cesse de diminuer. Le responsable ? L’être humain.  

Selon l’étude Diminution de la taille du corps des mammifères à la fin du Quaternaire  (Body size downgrading of mammals over the late Quaternary), le genre Homo aurait conduit à l’extinction des mammifères de grande taille depuis la fin du quaternaire jusqu’au temps présent. Au rang de ses victimes ? Les mammouths, les rhinocéros laineux ou encore les tigres à dents de sabre ou encore les paresseux géants.

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La dissémination du genre Homo hors du continent africain, qu’il s’agisse de Sapiens, Denisovensis ou Neanderthalensis, aurait eu pour conséquence la disparition des espèces de grande taille. En comparant les fossiles antérieurs à la dispersion de l’espèce humaine et ceux coïncidant avec l’arrivée des hominidés sur un lieu donné, les chercheurs ont pu constater une diminution drastique du poids des mammifères, quand il ne s’agissait pas directement de leur anéantissement.

Il y a une controverse scientifique sur l'impact de l’Homme sur son environnement et sur la grande faune, car il s’agit d’une extinction très ciblée sur la mégafaune, c’est à dire les animaux de plus de 40 kilos, qui vont disparaître par dizaines”, précisait déjà Valérie Chansigaud, docteur des sciences de l’environnement, en 2013 dans La Marche des Sciences :

Il y a un argument en faveur du rôle de l’Homme, c’est le caractère asynchrone de ces disparitions. Elles se produisent à des moments différents lorsqu’on est en Amérique, aux Caraïbes, en Australie, à Madagascar… Le seul élément commun c’est l’arrivée de l’Homme. Il y a une concomitance entre l’arrivée de l’être humain et la disparition de cette mégafaune. 

L'homme et la nature : histoire d'une domination (La Marche des sciences, 23/05/2013)

57 min

D'après l'étude, à mesure que les techniques de chasse des premiers hominidés se perfectionnent, la masse des animaux diminue de plus en plus drastiquement : en Eurasie, la masse moyenne des mammifères est quasiment divisée par deux quand l’Homme s’y trouve, puis en Australie, elle chute de 35 kg à 4,6 kg. En Amérique du Nord, c’est de 98 kg à 7,6 kg. “Ce degré de sélection était sans précédent en 65 millions d’années d’évolution des mammifères”, précise l’étude, qui explique que la dernière extinction massive d’une telle ampleur date de la fin du crétacé.

L'impact de l'être humain sur la nature : un constat récent 

Selon Valérie Chansigaud, on a longtemps eu une vision assez "floue" des choses, et il faut attendre la moitié du XIXe siècle pour que l'on commence à s'en inquiéter : "Il n'y avait pas encore de certitude absolue de disparition d'espèces du fait de l'Homme. Il va falloir attendre 1829, avec l'extinction du dodo, qui est reconnue du fait de l'impact humain. Et là encore, le premier texte qui en parle va dire que c'est un exemple exceptionnel. On revient très vite dessus au milieu du XIXe siècle, on commence à faire paraître des listes rouges d'espèces disparues. Là les choses se sont établies. L'inquiétude de l'érosion de la biodiversité existe avant d'avoir les preuves".

Le dodo est le premier animal qui a été considéré disparu du fait de l'influence de l'être humain.
Le dodo est le premier animal qui a été considéré disparu du fait de l'influence de l'être humain.
© Getty - Becker

"Buffon, dans Les Époques de la nature_, définit une septième époque de la nature, qu’il appelle l’époque de l’Homme_" racontait Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l'environnement, en 2014 dans l'émission La Marche des sciences, consacrée à l'anthropocène, cette époque caractérisée par l'influence de l'être humain sur la Terre. En 1778, le naturaliste écrit ainsi que "La face entière de la Terre porte aujourd'hui l'empreinte de la puissance de l'Homme" :

Peut-on parler d'Anthropocène ? (La Marche des sciences, 13/06/2014)

55 min

Un siècle plus tard, en 1870, dans La Revue des deux mondes, le zoologiste français Emile Blanchard dressait la liste des Animaux disparus depuis les temps historiques, comme des espèces de cerfs ou de pingouins, en raison de l'activité de l'Homme :

Depuis le jour où les derniers grands phénomènes physiques ont été accomplis à la surface de la terre, peu d’animaux ont disparu. Quelques grandes espèces seules ont été anéanties, et l’homme est l’unique auteur de cet anéantissement regrettable. [...] La destruction des grands animaux, accomplie par les Hommes dans l’espace de quelques siècles, fait présager un immense appauvrissement de la nature dans un avenir plus ou moins lointain. L’extinction d’une foule d’espèces s’est opérée avec une rapidité désespérante aux îles Mascareignes ; elle se produit sur beaucoup d’autres points du globe. Chose étrange, partout où pénètre la civilisation européenne, la dévastation commence et s’achève plus ou moins vite. Les peuples les plus industrieux sont les plus grands ravageurs. Encore quelques milliers d’années, et la terre entière présentera un aspect uniforme et misérable.

Pour Lévi-Strauss, "il n'y aura plus que les espèces que l'Homme aura sélectionnées"

Plus récemment, l'anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss, dans l'émission Radioscopie en 1981, affirmait la nécessité d'une distinction entre "des individus que les fatalités de notre condition nous amène à détruire, et les espèces qui doivent être radicalement protégées" : 

Les droits de l’espèce humaine s’arrêtent devant les droits d’autres espèces. Qu’est-ce que c’est une espèce vivante ? C’est une synthèse incroyablement complexe, qui a mis des millions d’années à se constituer d’un certain nombre de propriétés du monde naturel, qui sous cette forme sont totalement irremplaçables. Irremplaçables dans la chaîne des êtres vivants où chacun remplit sa fonction, et irremplaçables aussi d’un point de vue esthétique car chacun constitue une sorte de chef-d’oeuvre, a une beauté particulière. L’existence d’une espèce est aussi importante que l’oeuvre d’un grand peintre, que pourtant nous employons tous nos efforts à protéger dans des musées, alors que quand il s’agit d’une espèce vivante nous la traitons avec une désinvolture et un mépris incroyables. 

Claude Lévi-Strauss (Radioscopie, 15/04/1981)

45 min

Claude Levi Strauss, en août 1988.
Claude Levi Strauss, en août 1988.
© Getty - Eric BRISSAUD

La chercheuse Felisa A. Smith, dans l'étude publiée dans la revue Science, alertait ainsi sur l'impact de l'être humain à notre époque : “si la tendance actuelle se poursuit, la taille des mammifères terrestres deviendra plus petite qu’elle ne l’a jamais été au cours des dernières 45 millions d’années”, prévient l'étude qui vient d'être publiée dans la revue Science. Un bouleversement qui se traduirait par des bouleversements durables de notre écosystème. Ce qu'entrapercevait déjà Claude Lévi-Strauss :

Il est certain que nous nous dirigeons, si on veut extrapoler, vers un monde où il n’y aura plus d’une part que l’Homme, et d’autre part les espèces animales et végétales que l’Homme aura sélectionnées et protégées pour ses propres besoins. Tout le reste aura disparu. 

Dans une étude publiée en juillet 2017 dénonçant un "anéantissement biologique" et alertant sur l'imminence d'une sixième extinction des espèces, les sombres prévisions de l’anthropologue semblaient d'ores et déjà en voie de réalisation. Sur 177 espèces de mammifères étudiées, 32 % d'entre elles déclinaient en terme de population et d'étendue :

Alerte à la 6ème extinction des espèces (Matières à penser, 20/09/2017)

44 min