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ZAD For Ever

« Pourquoi je défendrai la ZAD jusqu’au bout »

A 20 ans, coincée dans une société consumériste qui la décevait, « Camille » a choisi de s’installer à Notre-Dame-des-Landes. Elle y a trouvé une autre vie, un combat à mener et une famille. Qu’elle ne quittera pas - quelque soit le prix à payer.
CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les négociations continuent entre la préfète de Loire-Atlantique et les zadistes qui ne comptent pas lâcher ces hectares de nature. Vice a rencontré l’une de ces irréductibles.

Un havre de paix, un petit coin de paradis, un endroit comme il n’en existe plus ailleurs… Voilà ce qu’est Notre-Dame-des-Landes pour nous, les zadistes. Les gens ne semblent pas comprendre que notre vraie lutte ne s’est jamais résumée à l’aéroport en lui-même. Bien sûr, nous y étions opposés, puisque cela signifiait exproprier des agriculteurs et raser des hectares de végétation. Mais que le projet ait été officiellement abandonné ne change rien pour nous. Dénoncer un monde dans lequel nous n’acceptons plus de vivre et proposer une alternative : voilà le fond du combat zadiste.

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Je m’appelle « Camille », comme tous mes camarades. J’ai 20 ans, j’ai un Bac STMG, j’ai fait des petits boulots, je viens de passer le permis et j’aime un peu trop les tacos et les pizzas… Mon arrivée sur la ZAD et sa vie atypique est le fruit du hasard. Il y a un an, je suis partie voir la jungle de Calais parce que je voulais comprendre la réalité de cet endroit dont on parlait tant à l’époque. Pour rentrer chez moi, j’ai fait du co-voiturage avec des gens qui, justement, allaient à Notre-Dame-des-Landes. Comme tout le monde, j’en avais entendu parler dans les médias. Alors, par curiosité, j’ai fini le trajet avec mes nouveaux compagnons. Je pensais ne rester que quelques jours – j’y suis restée un an.

« Ne plus avoir à me forcer à entrer dans un moule m’a libéré d’un poids »

Ça a été une révélation pour moi. Depuis toujours, j’ai du mal à me sentir à l’aise et épanouie dans ce que je faisais. A l’école, par exemple, j’ai redoublé deux fois. Moi, j’ai besoin de faire des choses – potasser des bouquins et de la théorie, ça n’est pas pour moi. Je pourrai lire des milliers de pages sur la plantation de patates, ça ne changerait rien. Par contre, laisse-moi trois patates, montre-moi la première et dès la deuxième, je ferai parfaitement. J’ai toujours pensé que la société n’était pas faite pour moi. Alors, sur la ZAD, j’ai trouvé ma place. Depuis que j’ai les mains dans la terre, j’ai trouvé du sens à ce que je fais : mon travail, c’est de me permettre de manger. Ne plus avoir à me forcer à entrer dans un moule qui ne me correspond pas m’a comme libéré d’un poids. Être dans un environnement respectueux de la nature m’a permis de mieux me sentir dans ma tête. Maintenant, je sais que ce que je fais va dans le bon sens, qu’il permettra de léguer une planète viable aux prochaines générations.

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Le président affirme que la ZAD est une zone de non droit ? Mais c’est pour nous un compliment ! Puisque c’est, précisément, pour cette raison que nous la défendrons jusqu’au bout. Ici, personne n’a besoin d’une loi pour lui dire comment se comporter : c’est le bon sens et l’humanité qui dictent nos choix. S’il nous prend l’envie de planter un coin de terrain et bien, on commence à planter. Mais pas où quelqu’un est déjà installé. Non pas parce que le terrain lui appartiendrai et que l’on risquerai un procès - mais parce que le bon sens nous l’indique. C’est une règle essentielle. Par exemple, on voit souvent des rats sur la ZAD. On ne va pas les chasser : il ne faut pas oublier que la forêt est autant à eux qu’à nous. S’ils se montrent, cela veut simplement dire que l’on a mal rangé la nourriture. Alors, on fait un petit ménage, on ferme bien tout, et ils retournent dans la forêt. Question de bon sens.

« La ZAD, c’est tout ce qu’on a »

Pour les trois cents habitants permanents de la ZAD, il n’y aura pas de retour à la vie normale. Avant de s’installer ici, tous ces gens étaient des marginaux. En s’installant à Notre-Dame-des-Landes, ils ont découvert la vie simple : produire sa propre nourriture, vivre en harmonie avec la nature et les animaux, ne pas subir la peur de perdre son travail et son salaire… Même si la zone finissait par être rasée, la plupart d’entre eux finiraient probablement SDF. Parce qu’après dix ans de cette vie-là, ce serait tout simplement impossible de revenir à un quotidien métro-boulot-dodo, où on salue poliment son voisin quand on le croise dans l’ascenseur.

La ZAD, on ne la perdra pas. On est beaucoup trop nombreux, et en parfaite connaissance du terrain. On maîtrise tout : les petits chemins, les tunnels, les maisons cachées dans les arbres ou sous la terre… Soyons clairs : cet endroit, on a le temps de le défendre, puisqu’on n’a pas de travail. Bref, la ZAD, c’est tout ce qu’on a. Ils peuvent bien détruire nos maisons trente fois, on en reconstruira d’autres, on a déjà commencé à le faire. D’ailleurs, même si on espère toujours pouvoir régler ça pacifiquement, la défense est en train de s’organiser. De trois cents, on sera plusieurs dizaines de milliers.

C’est pourquoi j’ai accepté de vous parler : pour m’adresser à ceux qui sont dans la situation dans laquelle j’étais, avant. Alors, peut-être qu’elle sera sensible à ce que je dis et au fait que j’y crois très fort. Et ça fera une personne de plus dans le combat, un pas de plus vers la victoire de la ZAD sur la société qu’elle dénonce depuis dix ans. Alors je continue mon combat et je n’arrêterai pas.