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Mers et océans

Le Gulf Stream est-il en train de disparaître ?

Deux études montrent que les courants océaniques de l'Atlantique Nord, dont fait partie le Gulf Stream, sont en train de s'affaiblir. Ce phénomène pourrait à l'avenir s’accentuer et devenir dramatique pour le climat.

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Modélisation du Gulf Stream

Transportant les eaux chaudes des Tropiques vers le nord, ce courant marin a perdu 15% de sa puissance au cours du siècle dernier.

ocean modeling group GEOMAR

« - Tu te souviens de ton exposé sur la fonte de la calotte polaire qui pourrait perturber le courant Atlantique Nord ? - Oui ? - C'est en train de se produire… » Et si ce dialogue, extrait du film Le Jour d’Après (2004), était prémonitoire ? Deux études parues dans Nature annoncent en effet que le système de courants océaniques de l’Atlantique Nord - qui comprend le Gulf Stream – est déjà en train de s’affaiblir. Ce système appelé Amoc (circulation méridienne de renversement de l'Atlantique) fonctionne comme une courroie de transmission qui transporte en surface les eaux chaudes des tropiques vers le nord. Lorsqu’elles parviennent dans les mers nordiques, elles se sont refroidies. La formation de la banquise rejette le sel dans l’eau de mer qui se densifie et plonge de 1000 à 2000 mètres pour repartir vers le sud, où elles vont à nouveau se réchauffer. Cette circulation océanique joue ainsi un rôle clé dans le climat, les énormes masses d'eau déplacées (de 30 à 130 millions de m3 d’eau par seconde) échangeant leur température avec l'atmosphère. Elles contribuent notamment au climat tempéré de l’Europe de l’Ouest.

Le Gulf Stream et les courants de l'Atlantique. © C. Kersten, Geomar

Le bon fonctionnement de ces courants repose sur un équilibre subtil entre température et salinité. Or, du fait du réchauffement planétaire en cours, "les glaces de l’Arctique canadien et des calottes glaciaires fondent et libèrent de grandes quantités d’eau douce, qui abaissent la densité des eaux de surface. Celles-ci ont plus de mal à plonger. On assiste donc à un ralentissement de la circulation profonde", explique Gilles Reverdin, chercheur à l’Institut Pierre et Simon Laplace. Le déclin serait actuellement de 15%... De plus, poursuit l’océanographe, "le Gulf Stream tend à aller plus au nord, du côté des Etats-Unis, et l’on observe un dipôle d’anomalies chaudes au large des côtes nord-américaines et d’anomalies froides au sud du Groenland. Nos propres données de température et salinité des eaux de surface sur 120 ans montrent aussi ce dipôle. Et nous remarquons également cette tendance au déplacement, depuis 100-150 ans, du Gulf Stream le long des côtes américaines, ainsi que la moindre pénétration des eaux chaudes dans le nord-ouest de l’Atlantique."

 Si les conclusions des deux études convergent pour constater l’affaiblissement de l’Amoc, elles divergent cependant sur le moment où le processus s’est enclenché. L’équipe menée par David Thornalley, de l’University College de Londres, a analysé des carottes de sédiments provenant d'un site situé au large du cap Hatteras, en Caroline du Nord. Ils ont ainsi reconstitué l’intensité des courants profonds sur 1600 ans, cette intensité étant corrélée à la taille des grains d’argile. Ils en ont conclu que la convection profonde de la mer du Labrador et l'Amoc a commencé à décliner vers 1850, soit de manière abrupte en raison de l'afflux d'eau douce provenant de la fonte des glaces de l'Arctique à la fin du Petit Âge Glaciaire, soit de manière progressive et continue au cours des 150 dernières années. L’étude menée par l’équipe de Levke Caesar, de l’Institut pour la recherche sur l’impact climatique à Potsdam, a utilisé des modèles climatiques globaux et des séries de données de températures de surface de la mer afin de dater le début de l'affaiblissement de l’Amoc, qu’elle situe au milieu du XXe siècle. Contrairement à la première datation, qui implique une variabilité précédant l’ère anthropique, ce scénario indique que ce changement est une conséquence probable du changement climatique dû à l'homme. Et cela devrait aller en s’amplifiant au cours des prochaines décennies, préviennent les auteurs, qui parlent de « point de bascule du système climatique ».

 

Modélisation du Gulf Stream. © Nasa

"Mais est-ce que cela va être une réduction régulière ou catastrophique, s’interroge Gilles Reverdin. Cette baisse pourrait à terme être de 40%, ou d'un arrêt total de la circulation océanique dans le scénario catastrophe. Il n’y a pas de consensus sur ce sujet. Si l’on perdait de 60 à 80% du transport d’eaux chaudes, par exemple, cela induirait un changement significatif, avec une boucle de rétroaction négative : le froid qui règnerait aux hautes latitudes pourrait réduire la fonte de la calotte groenlandaise. Attention, c’est très hypothétique. Il y a consensus en revanche pour dire que même s’il n’y a pas de changement climatique majeur dans l’Arctique, à nos latitudes -de 45°N à 60°N -, il y aura un refroidissement et des conséquences fortes sur le climat. Nous subirons des étés particulièrement chauds et secs en Europe de l’ouest. En hiver, certains modèles montrent qu’il y aura plus de vents d’ouest et de tempêtes."

Un affaiblissement de l’Amoc peut aussi conduire à des hausses ou des baisses de températures de plusieurs degrés. Cela affectera nécessairement la distribution des espèces de poissons, du plancton, des oiseaux, etc. Les courants transportent aussi des nutriments, de l’oxygène, des larves. S’ils disparaissaient, même en partie, certaines régions souffriraient d’anoxie et deviendraient des déserts océaniques. Enfin, les courants contribuent à l’absorption et le stockage du dioxyde de carbone atmosphérique, principale cause du changement climatique. Sans eux, le CO2, puissant gaz à effet de serre, s’accumulera dans l’atmosphère… Un cauchemardesque cercle vicieux !

 

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