Macron vu par les Français, un an après : “arrogant, directif” mais “pugnace”

Macron vu par les Français, un an après : “arrogant, directif” mais “pugnace”
Emmanuel Macron , l'an I. (AFP PHOTO / ERIC FEFERBERG)

Aux yeux des Français, le style du président imprime plus que le fond.

Par Adelaide ZULFIKARPASIC et Adrien ABECASSIS
· Publié le · Mis à jour le
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Une analyse d'Adrien Abecassis, chercheur invité à Harvard au Weatherhead Center for International Affairs, ancien conseiller opinion de François Hollande à l'Elysée. Avec Adélaïde Zulfikarpasic, directrice de BVA opinion.

Le printemps est bien arrivé, le soleil est de retour, et une forme de bienveillance avec... Quasiment toutes les personnalités testées dans le baromètre BVA pour Orange RTL "la Tribune" gagnent des points de popularité ce mois-ci. Comme un effet de décompression générale – paradoxal en période de grèves et de blocage. Effet qui s'applique aussi au président de la République, dont 43% des Français nous ont dit avoir une bonne opinion (+3 points depuis mars).

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Après 3 mois de baisse consécutive c'est donc, à nouveau, un petit retournement. Qu'il ne faut sans doute pas trop surinterpréter, même après deux longues interventions télévisées, dans le contexte de fluctuations de l'opinion que nous connaissons : près de 40% des Français disaient le mois dernier "attendre de de voir quels seront les résultats de l'action menée par Emmanuel Macron et le gouvernement avant de se prononcer".

Il reste, manifestement, de grandes marges.

Reste que cette malléabilité dit, en elle-même, beaucoup de choses sur le pouvoir un an après l'élection. Et d'abord, qu'il est très difficile à fixer.

Un an après, le macronisme est toujours, pour beaucoup de Français, indéterminé.

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Il est ainsi frappant de voir, dans les propos des Français que nous avons interrogés, un contenu idéologique en réalité assez faible assigné au "macronisme". Il y a, bien sûr, l'accusation d'être "au service des plus riches", de "ne penser qu'aux plus aisés et ne rien faire pour les plus modestes , ainsi qu'un peu (surtout aux extrêmes du spectre) le soupçon d'une soumission à "la grande finance" d'être "sous la coupe des lobbies et de l'UE". Mais en comparaison avec ce que l'on avait l'habitude de voir sous les mandats précédents, ces assignations idéologiques semblent faibles.

Pour la majorité des Français qui nous ont confié leurs sentiments, définir le macronisme reviendrait plutôt à parler d'un mouvement continu. Avec ce que cela a de rassurant pour certains, d'inquiétant pour d'autres.

Beaucoup des Français que nous avons interrogés à travers toute la France, en particulier ceux qui saluent l'action du président de la République, nous ont ainsi parlé du style, du rythme, de l'impression, davantage que du fond.

"J'aime bien son envie de faire évoluer la France, mais je trouve son style trop brutal et pas assez dans la négociation", nous dit cet électeur qui s'était abstenu l'année dernière. "Il reforme enfin la France qui était en retard", relève ce sympathisant écologiste. "Il est jeune, dynamique, ne s'occupe pas des journalistes et fait ce qu'il a dit", rajoute un électeur de la République en Marche.

Des Français critiques pointent le revers de la même médaille. Un autre, plutôt sympathisant des Républicains juge :

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"Je le trouve arrogant, directif, il confond les rôles de manager et de président et instrumentalise la communication en mode de gouvernement."

Les traits, le mouvement, le style...

De tous les côtés, c'est de cela que l'on parle : du flux, du style, davantage que de la substance. Outre les traits d'image que nous entendions habituellement (dynamique, réformateur, tient ses engagements), on nous a ainsi dit que le président était "pugnace", "persévérant", "tenace", qu'il allait "au bout malgré la contestation", qu'il "ne cédait pas".

Des jugements sans doute renforcés par le contexte social. L'effet de contraste avec les pratiques précédentes semble également jouer :

"Même si je ne partage pas toutes ses idées, il est le seul président qui a le courage de faire modifier certaines règles pour que la France avance, alors que les précédents présidents ont trop tergiversé" est un motif que nous entendons encore souvent – ce qui, un an après l'élection, est significatif.

A l'inverse, de la part des électeurs critiques, on entend : "il veut faire passer toutes ses réformes à la fois coûte que coûte", il est "trop sec", "arrogant", "trop sûr de lui"…

Les traits, le mouvement, le style, s'ancrent, pour le meilleur ou pour le pire selon les Français rencontrés. Mais toujours assez peu de discussions sur le projet politique lui-même, au-delà des critiques de quelques mesures emblématiques mais finalement ponctuelles (APL, ISF, CSG, limitation de vitesse à 80 km/h).

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Même les longues heures d'explications télévisées par le président lui-même du projet politique qu'il défend, ne semblent pas avoir fait bouger ces représentations. Les quelques Français qui nous en ont parlé ont ainsi surtout évoqué… la forme ! L'un nous dit :

"J'apprécie sa capacité à répondre aux questions qui lui sont posées et la clarté de ses explications."

"Il montre un certain courage dans sa rencontre avec le public", dit un autre. "Je le trouve cultivé", a-t-on également entendu.

Mais de réactions sur le fond, très peu. A l'issue de ces deux grandes interviews, les gens avec qui nous avons parlé semblent ainsi davantage avoir relevé la prouesse, que de la promesse (quelle France construire ? Pour la saluer ou la critiquer, d'ailleurs).

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Un mouvement permanent qui protège ?

Cette forme d'indétermination de la finalité du projet politique inquiète assurément ("on ne sait pas où il va", " je ne comprends pas bien ce qu'il veut faire "). Mais si elle était aussi, peut-être, l'une des forces du macronisme… ?

Reprenons. Si les milliers de Français avec qui nous avons échangé depuis des mois décrivent surtout l'action du gouvernement à travers "un mouvement", plus que la définition d'un objectif, ils semblent néanmoins assez bien savoir, pour leur part, où ils veulent aller : schématiquement, vers plus d'unité dans la société (ce qui penche plutôt vers l'approbation des postures d'autorité, de verticalité, de décision : il faut un chef pour maintenir l'unité d'un groupe), et "en même temps" vers plus d'égalité (ce qui penche plutôt vers davantage de redistribution, et une grande sensibilité aux efforts demandés aux uns et pas aux autres).

Les contours imprécis de l'horizon formulé soulèvent des craintes, mais permettent également de croire que ce qu'il va se passer sera finalement conforme à leurs attentes.

Le "en même temps" tend à fonctionner de la même façon pour l'opinion. Il semble poser moins de problèmes aux Français qu'aux commentateurs. Il y a sans doute plusieurs raisons à cela. L'une d'elles est que le temps de l'opinion n'est pas celui des médias. La plupart des gens, au-delà de réactions à l'actualité, se donnent bien souvent quelques années pour juger de l'ensemble d'une action : ils savent qu'un mandat dure cinq ans, à quoi bon chercher à se former maintenant un jugement définitif ? Cela pourrait être compris comme une sorte de grande patience dans l'opinion : c'est en fait davantage un rapport différent au temps politique – qui cadre mal, certes, avec les bilans annuels.

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Et puisque l'horizon est flou, on se réfugie sur le mouvement en soi pour donner du sens. Il est intéressant de noter que ces sentiments se retrouvent sur tout le spectre politique : c'est cet électeur de Jean-Luc Mélenchon qui nous dit avoir une image "plutôt positive" d'Emmanuel Macron :

"parce qu'il a fait quelque chose… même si je ne suis pas d'accord avec sa politique !"

Ou cet électeur de Marine Le Pen qui note : "Il tient ses engagements. Même s'il n'a pas une bonne cote, il est bien possible qu'il arrive à désendetter la France". Ou cet électeur de Benoît Hamon qui "malgré ses désaccords" souligne qu'il "ne se laisse pas impressionner, il continue sur sa lancée. Pour ça, je lui reconnais une posture présidentielle".

A une condition : que le mouvement soit vu comme cohérent

En un sens, en chamboulant les repères politiques avec la dernière élection, les Français ont aussi accepté d'inverser la notion de temps politique, en suspendant l'impatience de l'attente de résultats. Les résultats ne sont pas encore là mais, en étant toujours en mouvement, Macron laisse à penser qu'il agit et que les résultats suivront.

Il y a cependant une condition à cela : que le mouvement soit vu comme cohérent : si les mouvements deviennent désordonnés, tout peut s'effondrer très vite. Car alors, on n'aurait plus le sentiment d'avancer (même sans être au clair sur la destination), mais de s'agiter. D'où l'importance de la " cohérence ", que l'on voit revenir de plus en plus dans les verbatims. Ce sentiment de cohérence permet de lire l'avenir à l'aune du passé. Et ainsi, d'imaginer la suite du chemin, si peu formulée ou entendue par les Français.

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An I : le macronisme, comme une bicyclette

Un an après l'élection, le macronisme, aux yeux des Français, semble être comme une bicyclette : un mouvement qui tient d'abord par lui-même. Il pourrait nous emmener vers plusieurs endroits : la destination n'est pas encore bien fixée. Mais la mécanique du vélo implique qu'il est impossible d'arrêter de pédaler (réformer), et que des embardées (incohérences) risqueraient rapidement de faire perdre l'équilibre.

Laissons la parole, pour finir, à quelques Français rencontrés qui résument assez bien les sentiments généraux de ce premier anniversaire :

"Il applique son programme. Il n'a pas peur d'aller sur le terrain discuter avec les grévistes", nous dit ce sympathisant de droite. "Il fait ce qu'il a annoncé, mais s'il passe toujours en force ça va causer des déboires à son gouvernement. Il vaudrait mieux que les grèves ne s'éternisent pas… sinon gare à la grogne générale, et là on ne contrôlera plus rien. Le peuple est comme ça…", développe cet électeur qui nous dit avoir voté pour Jean Lassalle en 2017. "Moi, ses idées me plaisent. Certes, elles ne plaisent pas à tout le monde, mais pour avancer il faut bien faire des efforts", résume un dernier qui s'était abstenu l'année dernière.
Adelaide ZULFIKARPASIC et Adrien ABECASSIS
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