Chronique. La Commission européenne a annoncé, vendredi 27 avril, que trois des principaux insecticides néonicotinoïdes (imidaclopride, clothianidine et thiaméthoxame) seraient interdits dans tous leurs usages extérieurs. Rappelons que l’introduction de ces substances en Europe, au milieu des années 1990, et leur adoption massive par le modèle agricole dominant coïncident avec l’accélération du déclin des abeilles domestiques et, surtout, avec un effondrement de l’ensemble de l’entomofaune.
Pour les défenseurs de l’environnement, cette décision est une bonne nouvelle. Mais elle signale aussi une grave catastrophe réglementaire. Car il aura fallu attendre près de vingt ans avant que les autorités européennes tiennent pleinement compte des alertes lancées par les apiculteurs et les scientifiques travaillant sur le sujet.
« Dès 1994, des apiculteurs français signalaient des troubles graves de leurs colonies d’abeilles, allant jusqu’à leur mortalité, rappelle l’apidologue Gérard Arnold, directeur de recherche émérite au CNRS et l’un des premiers chercheurs à avoir expertisé la question. Ces troubles apparaissaient principalement au début de la floraison des tournesols, qui fournissaient à cette époque aux colonies d’abeilles une abondante quantité de nectar et de pollen. Après enquête sur le terrain pour en comprendre les raisons, les apiculteurs avaient constaté qu’un nouvel insecticide de la famille des néonicotinoïdes, l’imidaclopride, était utilisé pour le traitement préventif de cette culture. » Grande innovation : le toxique n’était pas pulvérisé, mais enrobait les graines de la plante qui, au cours de sa croissance, s’en imprégnait.
La boîte à outils des cigarettiers
Après les premières alertes des apiculteurs, il fallut attendre sept ans pour que le ministre de l’agriculture de l’époque, Jean Glavany, décide de la formation d’un groupe d’une vingtaine d’experts – le Comité scientifique et technique de l’étude multifactorielle des troubles des abeilles (CST) – pour trancher la controverse.
Il fallut à nouveau attendre deux années, c’est-à-dire 2003, pour que le groupe rende ses conclusions. Gérard Arnold, qui en fut membre, rappelle que ses conclusions étaient claires : une exposition au nouvel insecticide était cohérente « avec les observations de terrain rapportées par de nombreux apiculteurs en zones de grande culture (maïs, tournesol), concernant la mortalité des butineuses, leur disparition, leurs troubles comportementaux et certaines mortalités d’hiver ». En clair : les apiculteurs avaient d’excellentes raisons de se plaindre des « néonics ».
Il vous reste 55.52% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.