Un quartier de Berlin veut dire “fuck off” à Google

Le géant américain veut installer un incubateur de start-up dans le quartier populaire et militant de Kreuzberg, au grand dam de nombreux habitants. Ils craignent une accélération de la gentrification et la fuite des populations les plus modestes.

Par Christophe Bourdoiseau (à Berlin)

Publié le 27 avril 2018 à 19h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h25

Nulle part dans le monde Google n’a été reçu aussi froidement qu’à Berlin. Il faut dire que le géant américain n’a pas choisi n’importe quel quartier pour implanter dans la capitale allemande son « campus », un lieu de développement pour les start-up. Il a choisi Kreuzberg, l’ancien quartier rebelle et révolutionnaire qui défend contre vents et marées sa tradition anticapitaliste.

Et si le maire de la ville, le social-démocrate Michael Müller, a salué l’arrivée de Google, les écologistes qui gouvernent l’arrondissement sont beaucoup moins enthousiastes. « Nous avons appris la nouvelle par les journaux. Nous n’avons rien pu faire pour stopper cette installation dans un bâtiment privé », explique Julian Schwarze, le président du groupe parlementaire des écologistes de Friedrichshain-Kreuzberg.

Google débarque en conquérant, dénonce le voisinage. « Google veut profiter de l’image branché et hype du quartier pour attirer les jeunes des start-up. Il se moque bien de savoir qu’il détruit la mixité sociale qui caractérise le quartier depuis toujours », dénonce Stefan Klein, porte-parole du mouvement de protestation locale « Fuck off Google ». « Le défi n’est pas celui de l’emploi mais celui de la cohésion sociale », ajoute Julian Schwarze.

En quelques années, Berlin est devenue la Mecque des start-up en Europe. La ville a l’avantage de disposer de beaucoup de place pour accueillir à bon prix les petits génies de l’Internet qui sont payés 30% moins cher qu’ailleurs. A Kreuzberg, justement, le plus grand incubateur de start-up d’Europe a notamment vu le jour dans les anciennes usines d’Agfa (produits photographiques) avec 3 000 bureaux disponibles. Situé aujourd’hui au milieu de la ville (autrefois au bord du Mur), ce quartier est soumis à une pression sur les prix de l’immobilier qui oblige les populations les plus modestes à déménager en périphérie. La crèche, le petit café et la gentille coutière turque sont remplacés par des bars à cocktails, des restaurants mexicains et des start-up. Les logements sont transformés en appartements de touristes. Au point que 25 000 personnes ont manifesté le 14 avril à Berlin contre cette « hausse délirante des loyers ».

Pour les habitants de ce quartier populaire qui regorge encore de petites boutiques et de bars de nuit bon marché, l’arrivée de Google est une vraie provocation. « Le problème de l’éviction des familles modestes et des commerçants en périphérie va encore s’aggraver avec l’installation d’une pléthore de start-up qui vont graviter autour de Google, dit Stefan Klein. A Varsovie, le groupe américain s’est installé dans un quartier abandonné, ce qui a été très apprécié par les habitants. Ici, c’est un lieu vivant ! ».

“Google qui est soupçonné de surveiller la population, de participer à la censure en Chine est mal perçue en Allemagne.”  Ilja Wolf-Bauwens, patron d’un restaurant

L’installation de ce « campus » sur 2 500 m2 dans une ancienne bâtisse en brique du XIXe siècle s’interprète donc comme une nouvelle accélération de la « gentrification » déjà en cours. « Les gens sont très remontés contre Google qui cristallise les protestations, confirme Ilja Wolf-Bauwens, le patron du restaurant Volt installé dans le même bâtiment que le géant américain. Par ailleurs, cette entreprise soupçonnée de surveiller la population, de participer à la censure en Chine est mal perçue en Allemagne parce qu’elle ne paie pratiquement pas d’impôts. »

Cette année, le cortège des manifestations du 1er mai, où des affrontements entre la police et les militants d’extrême-gauche sont courants, va passer près du campus Google qui symbole déjà l’éviction des populations modestes à Berlin. « Fuck Off Google » sera l’un des slogans du cortège. « Je ne crois pas que Google fera marche arrière. Le groupe a déjà investi beaucoup d’argent. Par ailleurs, la mobilisation n’est plus aussi forte qu’avant », estime Ilja Wolf-Bauwens qui voit le dernier sursaut d’orgueil de ce quartier rebelle en phase de « boboïsation ». En 2012, BMW avait renoncé à son projet de laboratoire d’idées à Kreuzberg après une vague de protestation très importante. Le constructeur automobile bavarois s’était finalement implanté quelques kilomètres plus loin dans le quartier de Prenzlauer Berg, l’ancien repère des dissidents et défenseurs des droits de l’homme de la dictature est-allemande. Un quartier lui aussi devenu « bobo ».

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