Brigitte Macron, l’indispensable de l’Elysée

En un an, la « first lady » s’est imposée comme la coéquipière du président, discrète mais incontournable. Enquête et révélations sur son rôle, plus politique qu’on ne croit.

 Fusionnels… tous le disent à propos du président Emmanuel Macron et de son épouse Brigitte.
Fusionnels… tous le disent à propos du président Emmanuel Macron et de son épouse Brigitte. Picture-Alliance/AFP

    Ses vrais amis, ceux qui savent, ceux qui parlent non pas en « triple off » mais en « quintuple off », lèvent les yeux au ciel quand ils entendent parler d'une femme fragilisée par leur différence d'âge — vingt-quatre ans — et qui vivrait dans la hantise de perdre son homme. « C'est tout l'inverse, se marre l'un de ces initiés qui ont accepté de nous raconter. Emmanuel est très amoureux. Pas vraiment jaloux. Mais il fait attention à qui elle fréquente, à qui la regarde. Il la trouve tellement extraordinaire, il a peur qu'on la lui vole ! »

    « Elle, maternante ? C'est lui qui la protège ! se pâme une élue, repartie d'un dîner avec les Macron avec des yeux de midinette. Dès qu'elle n'est pas là, il la cherche. Il lui prend la main, il ne la laisse jamais en retrait, la valorise. Exactement l'attitude dont tu rêves venant de ton mec… »

    Brigitte est son ancre, sa moitié, sa meilleure amie, sa confidente…

    Fusionnels, tous le disent. Brigitte est son ancre, sa moitié, sa meilleure amie, sa confidente, sa famille, lui qui entretient une relation complexe à ses parents. Sa coéquipière aussi. On y reviendra. « Elle est la part non négociable de sa vie. Son principal soutien. C'est non seulement un couple, mais aussi une équipe », décrit l'animateur Stéphane Bern. « Elle est son tout. La phrase que j'ai le plus entendue du président pendant la campagne, c'est : Où est Brigitte? » sourit Marlène Schiappa.

    « Elle est forte de ce grand amour qui s'est construit envers et contre tout », encense Line Renaud. « Les Français sont préservés des atermoiements de la vie de couple du président », se félicite, moins romantique, un conseiller élyséen, jamais avare d'une pique contre François Hollande.

    « Maîtresse des horloges »

    C'est dire s'ils se manquent, depuis un an qu'ils sont enfermés dans les murs de ce palais vieillissant. Souvent, Emmanuel Macron écourte ses déjeuners de travail pour prendre le café avec son épouse dans l'aile Madame où elle est installée dans le salon des Fougères, en rez-de-jardin. De là, elle peut l'apercevoir quand il travaille dans le salon d'Angle où il a pris ses quartiers, un étage plus haut.

    « Ils se font un signe de temps en temps », raconte un intime. Souvent, Nemo, leur labrador croisé griffon noir, pointe son auguste truffe, qu'il pose sur les genoux de l'invité du jour, un peu embarrassé. Quand il n'est pas étalé de tout son long sur les moelleux tapis. Prière de contourner…

    « Brigitte Macron a construit Emmanuel Macron. Elle est sa première sparring-partner », décrypte un ministre à propos du couple présidentiel. AP/Christophe Ena
    « Brigitte Macron a construit Emmanuel Macron. Elle est sa première sparring-partner », décrypte un ministre à propos du couple présidentiel. AP/Christophe Ena Picture-Alliance/AFP

    Le premier rôle de la première dame ? Gardienne du temps. « La maîtresse des horloges, c'est elle », rigole un proche, qui l'a déjà vue se mettre en colère sur le mode « il faut qu'il se couche, il se lève à 4 h 45 » !

    C'est elle qui a tenu à ce qu'ils passent le week-end dernier à la Lanterne, près de Versailles, pour que le président prépare au calme son discours au Congrès américain. « Elle fait attention à ce qu'il ne casse pas son corps et son mental », dit un habitué de l'aile Madame. Ainsi leurs amis ont-ils remarqué que les SMS présidentiels se faisaient un peu moins tardifs. Mais ça n'a guère duré et leur téléphone s'est remis à vibrer à… 3 heures du matin. « Cet homme est fou », s'esclaffe l'un d'eux.

    Son arme de communication massive

    Ne lui dites pas qu'elle est la vice-présidente, ou qu'elle se pique de gouverner la France. « C'est mon mari qui a été élu, pas moi », répète-t-elle, veillant à rester à sa juste place. Mais, loin de l'image de papier glacé d'une première dame effacée, Brigitte, comme tous l'appellent, est bien plus politique qu'on ne croit.

    « On ne devient pas président si on n'a pas tous les jours quelqu'un avec qui on échange, qui est de votre niveau. Il teste ses idées avec elle. Elle l'a construit. Elle est sa première sparring-partner », décrypte un ministre. Quand elle reçoit des messages d'amis qui s'alarment d'une visite ratée du chef de l'Etat — dans les Vosges, sous les sifflets —, elle les relaie. « Et elle est d'accord », murmure l'un. « Il voit les éléphants, elle parle aux petites souris », plaisante un familier du Château. « Elle est la vigie, la dernière personne qui lui parle le soir », résume joliment Stéphane Bern.

    Qu'on ne s'y trompe pas, elle est aussi son arme de communication massive. Elle n'a fait, en France, que deux sorties officielles à ses côtés. Coïncidence ? Chaque fois, le président traversait un vilain trou d'air sondagier. A Rouen, par exemple, début avril, auprès d'enfants autistes. Comme si elle était son hémisphère gauche, quand l'étiquette de grand méchant loup libéral lui colle trop à la peau.

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    Reuters Picture-Alliance/AFP

    Les jeux de la cour

    Elle est aussi l'un des secrets les mieux gardés de la macronie. Longtemps, on a cru que Marielle de Sarnez était la seule femme conviée aux dîners politiques du premier cercle présidentiel du lundi à l'Elysée. Les fuites y sont traquées, les bavards sanctionnés. Autour de la table : Edouard Philippe, Christophe Castaner, Bruno Le Maire, Benjamin Griveaux, Gérard Collomb ou François Bayrou. Et, surprise, la first lady, qui salue tout le monde, a une attention pour chacun, tutoie facilement. Mais n'est pas là pour passer les plats. « Si l'un des convives l'interpelle : Qu'en pensez-vous, Brigitte ? Elle ne se prive pas de répondre ! » confie l'un des happy few. Elle est comme ça, cash.

    Jamais elle ne se mêle des réformes, ni des querelles de courtisans. Ce qui ne l'empêche pas de traiter avec des ministres. Le favori de l'ex-prof de français ? Jean-Michel Blanquer, bien sûr. Deux fous de littérature. « Pour elle, c'est la Rolls du gouvernement, elle est fan », s'extasie un ami. Ensemble, ils parlent de La Fontaine, Maupassant, Marivaux. Et des victimes de harcèlement scolaire, qui leur déchirent le cœur.

    « Elle reçoit comme moi des courriers de parents catastrophés », confie le ministre de l'Education. Elle apprécie Marlène Schiappa, avec qui elle partage une passion pour « Madame Bovary ». « Elle a aussi son mot sur la sélection des entourages à l'Elysée », affirme un initié. Elle, si vibrionnante, a peu d'affect pour le conseiller spécial Ismaël Emelien, si froid. Et préfère le porte-parole Bruno Roger-Petit et la plume Sylvain Fort, qui la fascine par sa culture livresque.

    La marcheuse de l'Élysée

    Souvent, l'Elysée l'étouffe. « C'est une caserne militaire », lâche-t-elle. A peine arrivée, elle a enlevé les vieilles tentures colonisées par les acariens pour ramener de la lumière. Et le couple, féru d'art, a fait venir du Mobilier national et de certains musées des Picasso, des Alechinsky, des Delaunay, un Nicolas de Staël, un Jean Dubuffet. Parfois, on croise des groupes d'écoliers. Ou Frédéric Mitterrand, venu la voir pour parler culture… et dégommer Jeff Koons. Il a eu droit à une visite personnalisée.

    « Plus qu'une touche de modernité, elle a ouvert les fenêtres sur le monde d'aujourd'hui, loue l'ancien ministre de la Culture. J'avais l'impression d'être comme les vieilles grands-mères qui reviennent dans les châteaux de leur enfance… » Elle réfléchit à d'autres idées. Pourquoi pas des produits dérivés, comme à la boutique de la Maison-Blanche ?

    Line Renaud a ouvert son carnet d’adresses à Brigitte Macron. LP/Philippe de Poulpiquet
    Line Renaud a ouvert son carnet d’adresses à Brigitte Macron. LP/Philippe de Poulpiquet Picture-Alliance/AFP

    Elle voit des artistes, de préférence franchouillards. C'est Line Renaud qui lui a ouvert son carnet d'adresses, « subjuguée par cette femme, sa drôlerie, son érudition, cette décontraction, ce côté cool, son style ». Elle leur a fait rencontrer Johnny. Maintenant que le « patron » a disparu, les deux clans Hallyday veillent à ne pas mêler les Macron à leurs tourments judiciaires. Mais Laura Smet était là jeudi, au palais, pour une soirée cannoise avec Jean Dujardin et Monica Bellucci.

    La première dame continue aussi, moins qu'avant, à organiser des dîners people, comme un soir avec Belmondo, que son mari adore. Son bureau voit défiler toute la planète VIP, d'Angelina Jolie à Anna Wintour, en passant par Florence Foresti ou Dick Rivers. Qui glisse : « Elle adore le rock'n'roll et le blues ! »

    « Dans quoi il m'a foutue ? »

    Mais ce que préfère cette femme éprise de liberté, c'est s'évader. Souvent, elle part marcher dans Paris avec Nemo, parle aux passants, aux SDF, même. Après le dîner du Crif, avec le président, ils sont rentrés à pied du Louvre. Et si le slogan En Marche ! était né de ces grandes balades ? Personne ne le sait, mais elle se rend parfois aux Galeries Lafayette ou au Printemps faire des courses. Et va dès que possible chercher ses petits-enfants. « Leur vie est une histoire de liberté, et ce n'est pas près de s'arrêter ! » parie Richard Ferrand, patron des députés LREM, dont elle est très proche. « Lorsque ma compagne et moi avons été salis, elle n'a jamais manqué », confesse-t-il, encore ému.

    Brigitte Macron, à son arrivée au Palais de l’Elysée pour l’investiture de son mari. LP/Arnaud Dumontier
    Brigitte Macron, à son arrivée au Palais de l’Elysée pour l’investiture de son mari. LP/Arnaud Dumontier Picture-Alliance/AFP

    Son rôle, parfois, est lourd à porter. Presque écrasant. Pendant la campagne, quand on lui parlait de l'Elysée, elle coupait court, comme effrayée : « Mais tais-toi ! » ou « Dans quoi il m'a foutue ? » « La fonction lui a donné une gravité supplémentaire, qui contraste avec sa joie de vivre », témoigne le réalisateur Jean-Marc Dumontet. Un jour, le patron de l'Organisation mondiale de la santé lui a lancé : « Il n'y a pas eu de femme comme vous depuis Lady Di. » « Vertigineux ! Les gens passent leur temps à vous solliciter pour que vous guérissiez la France de tous ses maux », poursuit Dumontet.

    Betty Boop

    Et il y a la violence, les « fake news », les malveillances. « Elle s'en sort bien, avec toutes les attaques qu'elle a subies sur son âge », salue Ségolène Royal, qui s'y connaît en misogynie. Elisabeth Guigou aussi l'avait mise en garde : « Les insultes, ça va avec la notoriété, j'ai connu ça. Vous allez être très attaquée. » La solidarité des femmes outragées. Les historiques de la campagne se souviennent d'avoir vu Macron s'énerver une fois seulement. Sur les rumeurs sur son homosexualité. « Il trouvait ça détestable. Pas pour lui. Pour elle. C'est pour elle qu'il les avait démenties », achève Dumontet.

    Vous avez dit iconique ? Elle le sait, elle incarne la revanche des femmes de tous âges et de tous horizons. Début mars, Brigitte Macron s'est rendue dans un lycée de Dijon. Il fallait voir les gamines hystériques en mode « wesh, je la kiffe trop » ! « C'est quelqu'un de profondément gentil. Il n'y a rien de fabriqué dans tout ça. Les jeunes le voient », dit Jean-Michel Blanquer.

    La romancière Gaël Tchakaloff, qui prépare une BD, a cette formule saisissante et un brin déjantée : « C'est une Calamity Jane, façonnée à coups de liberté et d'indépendance. Elle défend ses engagements avec la détermination d'une Golda Meir (NDLR : ex-Première ministre d'Israël), le tout dans un physique de Betty Boop. Elle est devenue un symbole, un drapeau. Un étendard. »