MAI 68 - Des poings levés, des CRS ridiculisés, l'ORTF piétiné, des usines qui se soulèvent, et des slogans qui s'élèvent... Les affiches de Mai 68 font partie de notre mémoire collective. Et 50 ans plus tard, la nouvelle génération ne les a pas oubliées.
Qu'ils soient engagés politiquement ou non, qu'ils vivent en France ou à l'étranger, qu'ils soient graphistes professionnels, artistes de rue, dessinateurs ou illustrateurs, ils sont tous attachés à cette iconographie si particulière, créée collectivement, à la demande des grévistes, en deux mois à peine.
Pour le cinquantenaire de Mai 68, Le HuffPost a donné la parole à la nouvelle génération d'artistes, résolument tournée vers les réseaux sociaux pour faire passer ses messages. Combo, Lucille Clerc, Janevsky, Livio Bernardo, Théo Haggai, Marion Nail, Dugudus, Jaeraymie et Manor Askénazi ont choisi une affiche de l'époque, une affiche qui les a marqués. Puis ils l'ont transportée dans notre millénaire et dans leur univers.
DUGUDUS
L'affiche de Mai 68 qu'il a choisie
Sa version 2018
"En 1968, De Gaulle gouvernait un pays en pleine transformation à coup de réformes, aujourd'hui Macron nous impose ses ordonnances. C'est un drôle de concept démocratique qui arrive en France. La crainte d'une l'opposition montante, et soucieux de plaquer sa politique libérale aux réformes dictées par l'Union européenne, notre président a dorénavant pour habitude de passer en force via ces ordonnances. Ce fut le cas pour la réforme du code du travail concoctée l'été dernier, c'était bien parti pour la réforme de la SNCF et ce sera peut-être le cas l'année prochaine avec la réforme des retraites. Quelle est cette nouvelle manière de faire de la politique? À quoi servent nos parlementaires s'il n'y a plus de débats? À quoi servent les partenaires sociaux s'ils ne sont plus consultés? À quoi sert une démocratie si le président devient monarque? À l'heure où l'abstention augmente dangereusement, il serait temps que notre république réagisse. Il faut effacer rapidement du visage de Monsieur Macron ce sourire méprisant pour redonner au peuple confiance en la politique. En agissant ainsi, le rejet de la politique sera croissant et poussera les plus déterminés à agir de manière plus radicale pour se faire entendre."
Régis Léger alias Dugudus est graphiste illustrateur, il vit à Paris et se passionne pour la représentation de l'image sociale et politique française. Il expose ses "Affiches en lutte" au Point Ephémère à Paris, fin mai.
COMBO
L'affiche de Mai 68 qu'il a choisie
Sa version 2018
Le "kidnappeur de culture" Combo est un street-artist parisien. Son travail se concentre essentiellement sur le détournement puisqu'il manipule des visuels connus de tous auxquels il intègre des éléments étrangers. Avec Jaeraymie, il expose le 7 juin à la galerie Young Artists Montmartre des œuvres sur les États-Unis.
MARION NAIL
L'affiche de Mai 68 qu'elle a choisie
Sa version 2018
"En 1968 on cherchait à sortir l'art de l'académisme et des musées. Qu'il devienne synonyme de renouveau et de jeunesse. On voulait faire descendre l'art dans la rue, le sortir de son carcan et l'imposer au regard de tous.
En 2018 les images sont partout. Dans la rue, dans les écrans, sur les réseaux sociaux. Mais cette variété et cette disponibilité des supports ne rime finalement pas avec un art plus démocratique et accessible à tous. Nos yeux sont submergés et finalement saturés. Sommes-nous capables de faire le tri et d'être encore sensibles aux images?
Chaque nouveauté artistique est récupérée presque instantanément à des fins commerciales. Les publicités sont détournées et reprennent les codes artistiques pour se faire passer pour des images décalées et créatives. Finalement les véritables images artistiques, après avoir été récupérées, sont vidées de leur essence."
Marion Nail est graphiste et illustratrice, vivant à Paris. Elle brouille les pistes entre photographie, dessin, fait-main et numérique.
LIVIO BERNARDO
L'affiche de Mai 68 qu'il a choisie
Sa version 2018
"J'ai choisi cette affiche 'La police vous parle tous les soirs à 20h" comme support de référence car l'idée de non neutralité du mass media et du danger de son influence sur le libre arbitre est tout à fait actuelle selon moi. On échange simplement le pouvoir en place contre la finance et ses armes de communication massive. Alors vous me direz, c'est facile de taper sur Hanouna! C'est vrai... mais il faut un symbole, comme les caricatures de De Gaulle, du patron avec son cigare, du sombre CRS anonyme ou de Marianne qui peuplent les affiches représentatives de Mai 68."
Illustrateur, Livio Bernardo crée des affiches de films comme des BD. Sur Instagram, il dessine avec humour "la vie moderne" des Parisiens. Il expose jusque mi-mai au Pop-Up du Label, à Paris.
LUCILLE CLERC
L'affiche et le slogan de Mai 68 qu'elle a choisis
Ses versions 2018
"C'était le pavé balancé sur la France de 68, celle de L'ORTF, du pouvoir policier, des cadences infernales, des combats non médiatiques mais quotidiens de nos mères et de nos grand-mères pour se libérer du corset social et vivre leur vie de femmes, travailler, avoir un compte en banque, décider d'être mère ou pas, libres de leur corps et leur destin.
En 50 ans il est devenu un symbole, un héritage à chérir et protéger mais aussi un relais que l'on se passe de génération en génération.
'C'était mieux avant'? Non c'était différent, c'était une autre France. Aujourd'hui il serait injuste de dire que rien n'a changé. Mais s'il a ouvert la porte aux luttes sociales, aux mouvements féministes et écologistes, il faut rester vigilant pour conserver les acquis et aller plus loin. L'esprit de Mai n'est pas mort, il a permis la liberté d'expression, il nous a donné à tous le pouvoir de monter des barricades sur la toile, de se réunir malgré les distances.
Les pavés se sont changés en hashtags mais les convictions sont bien réelles et les révoltes sont mondiales.
Naïf? Utopiste? Peut être, mais les barricadiers de Mai ne l'étaient ils pas eux aussi? Not in my name, Not Afraid, March for our Lives, Me too, Time's Up, ces mouvements sont présents à la fois sur les réseaux et dans la rue avec une amplitude jamais vue. Les mentalités et l'establishment continuent d'être secoués et c'est là encore le signe prometteur que le collectif peut tout changer."
Lucille Clerc a également revisité cette autre affiche célèbre de Mai 68. Elle montre des ouvriers, des hommes, clamant qu'ils sont le pouvoir. Voici sa version, inspirée du mouvement Me Too:
Lucille Clerc vit et travaille à Londres. Après une formation de graphiste, elle met en pratique sa passion du dessin. Vous avez sans doute déjà vu le travail de cette illustratrice en hommage à Charlie Hebdo, sur des affiches ou dans des livres.
JAERAYMIE
L'affiche de Mai 68 qu'il a choisie
Ainsi que le célèbre slogan "Sous les pavés la plage".
Sa version 2018
"J'ai voulu travailler sur le sens que pouvait avoir aujourd'hui ce fameux slogan, "Sous les pavés la plage", avec cette idée en tête: 50 ans ont passé, que sont devenu les pavés? Après quelque recherches je suis tombé sur un article du Parisien traitant du business des pavés. En effet depuis plusieurs années le macadam est préféré aux pavés dans les rues parisiennes, qui sont donc ensevelis sous des tonnes de béton bitumeux. Mais depuis peu, les pavés sont extrait des rues et revendus par la mairie de Paris. Ce fameux granit est reconditionné pour faire des routes loin des rues parisiennes et cédé pour quelques euros le kilo aux marchands malins qui sauront 'marketer' et vendre un peu de rébellion soixante-huitarde...
Petit rappel historique : De la Révolution Française à la Révolution de Juillet en 1830, en passant par la Révolution de 1848, la Commune en 1871 et jusqu'à Mai 68, le pavé parisien symbolise la seule arme que les Parisiens ont eu pour faire entendre leur voix. Les pavés à la main, ils ont exprimé leurs désaccords sur les politiques économiques et les décisions jugées arbitraire contre le peuple, face à l'État et aux gouvernements successifs. Ils les ont aussi utilisé pour se défendre face à l'autorité... Matière première des barricades, les pavés parisiens ont succombé, eux aussi, avec le temps, à la modernité. Disparaît aussi le symbole de résistance - la lutte -, et d'espoir - la plage - qu'ils représentaient. Depuis, sous les pavés des quais, Paris Plage est né...
A la toute fin, si il n'y a plus de pavés, il n'y aura plus de problèmes?"
Street artist, Jaeraymie "vandalise les murs à but artistique", comme il dit. Avec Combo, il expose le 7 juin à la galerie Young Artists Montmartre des œuvres sur les États-Unis.
THÉO HAGGAI
L'affiche de Mai 68 qu'il a choisie
Sa version 2018
"Cette image de Mai 68 correspond, de par les éléments utilisés, à mon univers. Je dessine régulièrement des mains, des poings, la mer et des vagues. J'ai eu naturellement envie de me l'approprier et de l'adapter à ma vision d'aujourd'hui, du monde en 2018.
Alors je ne peux que penser aux milliers d'humains qui meurent entre la Libye et Lampedusa, entre la Turquie et Lesbos. Ces vagues aiguisées qui les font disparaître à jamais, des humains qu'on oublie instantanément et qui deviennent des chiffres.
En France, pays de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, on prône l'égalité des chances. Mais au vu de la situation, de l'actualité nationale et internationale, l'égalité déchante et on continue de voir la mer rougir."
Théo Haggai dessine, peint et réalise des fresques à Lyon. Il exposera dans sa ville en mai et sera présent lors des "extras" du festival des Nuits Sonores.
JANEVSKY
Les affiches de Mai 68 qu'il a choisies
Sa version 2018
"Dans les rues on fait l'éloge du sexe libre, on voit des publicités qui encouragent à être libertin, à s'assumer et à faire des rencontres. Dans le même temps on voit défiler des religions et des associations qui veulent interdire le droit à l'avortement, empêcher les filles de prendre la pilule, revenir en arrière,...
Étant illustrateur érotique, je suis concerné par cette bipolarité car l'érotisme et le libertinage, qui ont le vent en poupe, font face à une censure de plus en plus forte. On ne sait plus faire la différence entre beauté et obscénité.
Hier la libération sexuelle était essentielle puisqu'elle n'existait pratiquement pas. Désormais il faut lutter pour la préserver.
J'ai choisi l'affiche "la beauté est dans la rue" car l'érotisme est l'éloge de la beauté et que sa place dans l'art est aujourd'hui à défendre. Le libertinage, par son opposition aux répressions religieuses et sociales est déjà une manière de se battre. Malheureusement si la censure s'accroît il faudra descendre dans la rue pour lutter.
La deuxième affiche a été ma base graphique. Sa simplicité et le cercle orange font écho à plusieurs dessins que j'ai réalisés ces derniers temps."
Alexis Janevsky est graphiste, spécialisé dans les dessins de science fiction, les comics et les illustrations érotiques. Très présent sur Instagram, il y défie la censure avec ses créations interdites aux moins de 18 ans.
MANOR ASKÉNAZI
L'affiche de Mai 68 qu'il a choisie
Sa version 2018
"C'est le constat de l'échec du dialogue. D'une triste soumission. Comme si toutes ces luttes étaient condamnées à finir dans le sang d'une charge des forces de l'ordre. La récente évacuation de Notre-Dame-des-Landes laisse ce goût amer d'un regrettable 'retour à la normale' pour les occupants de la ZAD. Celui-ci donne une résonance à l'affiche de Mai 68 contenant cette énonciation 'Retour à la normale... '. Après un court écart, le troupeau rentre dans la bergerie sous les coups de bâtons.'
Unsighted est un nouveau média en ligne faisant collaborer, sur chaque article, un artiste et un rédacteur. Cette illustration a été réalisée par l'un de ses co-fondateurs, Manor Askénazi.
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