Mai 68. Il était policier face à Cohn-Bendit

Par Patrick Certain

La photo prise par le reporter Gilles Caron devant la Sorbonne, à Paris, est le symbole de Mai 68 : hilare, l’étudiant Daniel Cohn-Bendit défie un policier impassible. Cinquante plus tard, le premier est devenu célèbre, le second est resté anonyme. Aujourd’hui retraité, nous l’avons retrouvé à Vannes. Christian Le Padellec se souvient de cet événement qui a marqué sa vie.

La célèbre photo du reporter Gilles Caron où l’on voit le policier Christian Le Padellec face à Daniel Cohn-Bendit, en mai 68.  (Photo : François Destoc) 
La célèbre photo du reporter Gilles Caron où l’on voit le policier Christian Le Padellec face à Daniel Cohn-Bendit, en mai 68.  (Photo : François Destoc)  (Photo François Destoc)

Dans un coquet appartement d’un quartier populaire à Vannes, Christian Le Padellec coule, depuis 1996, une retraite paisible avec son épouse Monique. Comme une juste récompense à 74 ans, après avoir fait toute sa carrière de policier en région parisienne. Entre les photos de leurs enfants et petits-enfants, trône un cliché qui a fait le tour du monde et que l’ancien membre des compagnies d’intervention conserve comme l’un de ses biens les plus précieux.

Il a été pris le 6 mai 1968, devant l’université de la Sorbonne, par le reporter de guerre Gilles Caron : Daniel Cohn-Bendit, souriant, fait face à un policier, impassible. Comme une provocation à l’autorité, alors malmenée, de l’État, par le leader des manifestants étudiants. Raide sous le casque et l’imperméable noir du membre des forces de l’ordre, c’est Christian Le Padellec.

 

Historique sans le savoir


« Une semaine plus tôt j’avais connu le baptême du feu, à 24 ans, avec une première manifestation qui avait dégénéré boulevard Saint-Michel. J’avais été blessé à un œil par le jet d’un morceau de bitume », se souvient le retraité vannetais.

« Après ce premier incident, j’avais toujours peur pour lui quand il partait affronter les manifestants », renchérit Monique, qu’il venait récemment d’épouser. Ce 6 mai, l’atmosphère était de nouveau tendue. « Nous n’avions que des matraques et des bidules, des sortes de manches à balai en bois qui cassaient souvent dès qu’on frappait. On ne nous avait pas encore équipés de fusils pour tirer des grenades lacrymogènes. Ce jour-là, le préfet de police, Maurice Grimaud, nous avait donné comme consigne de ramasser tous les manifestants, sauf Cohn-Bendit. Sans doute parce qu’on craignait que son arrestation fasse tout dégénérer ».

« Dany le Rouge » n’est plus un inconnu. « Je le connaissais parce que les journaux commençaient déjà beaucoup à parler de lui. Je me suis retrouvé face à lui, sans bouger et sans rien dire. Nous avions quasiment le même âge mais j’étais plus grand. Je ne sais plus combien de temps cet instant a duré, ni ce qu’il m’a dit. Je n’ai pas vu le photographe. Je vivais un moment historique sans le savoir. Je l’ai compris les jours suivants quand mon père m’a montré la photo parue dans Paris Match et bientôt reprise par tous les médias ».

 

Il arrête des célébrités


Daniel Cohn-Bendit n’est pas interpellé ce jour-là, Christian Le Padellec n’a pas moins arrêté dans la foulée d’autres manifestants célèbres. « Avec deux autres policiers, nous avons embarqué une trentaine de personnes dans un car que je conduisais. Parmi elles, il y avait la romancière Marguerite Duras, le futur réalisateur Jean-Pierre Jeunet ou encore l’architecte Roland Castro. Sur le chemin vers notre caserne, ce dernier a réussi à s’échapper en brisant une vitre. J’ai tout stoppé pour le rattraper en courant dans la rue. Je l’ai fait remonter par là où il s’était enfui, même si sa clavicule était cassée ».

Depuis un demi-siècle, le policier n’a jamais recroisé la route de « Dany le Rouge », devenu un homme politique. « J’ai eu parfois envie d’en parler, de réagir, pourquoi pas de le rencontrer. Dans le cadre de son métier à Paris, mon fils l’a vu mais n’a pas eu le temps de lui en parler. Moi, j’ai préféré rester dans l’ombre. Une phrase m’a toutefois un jour interpellé : à un journaliste qui l’interrogeait pour savoir ce qu’était devenu le policier de cette photo symbole, l’ex-préfet Grimaud a répondu : Il doit sans doute être mort. Cela m’a glacé ».

 

Pas de royalties


En cette période de célébration du cinquantenaire de mai 68, Christian Le Padellec commence à accumuler les différents documents illustrés par cette fameuse photo. « On la retrouve même sur un CD collectant tous les tubes de cette époque. Je n’ai jamais touché le moindre centime pour ce cliché. Si tel avait été le cas, aujourd’hui je serais riche… Mais je n’ai pas de regrets. Cette photo m’a marqué mais elle n’a pas bouleversé ma vie ».

Une vie encore marquée, quelques années plus tard, par la rencontre d’autres futures célébrités, quand le policier était en poste dans la région de Trappes (Yvelines) : « J’y ai connu alors qu’ils étaient tout petits, l’humoriste Jamel Debbouze, le footballeur Nicolas Anelka et l’acteur Omar Sy, au milieu de leurs familles et copains ».

 

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